Amour et mariage

12 Pages·2015·12.42 MB·French

182 Jos Fallu, amour La « grande de- Grand-
et humour mande » d’Abel maman
Page 12 Maldemay Blanche
Page 42 Page 48
Magazine d’histoire Mars - Juin 2015 / 9,75 $
DOSSIER
Amour et mariage

.
ESTELLE ALLARD, PHOTOGRAPHE DE MARIAGE
.
KATHLEEn RObSOn, éPOuSE DE GuERRE
.
MARIAGES à RIvIèRE-Au-REnARD
.
LETTRE D’éMILE à FERnAnDE SOuS L’OccuPATIOn ALLEMAnDE
Magazine gaspésie
www.museedelagaspesie.ca
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Mars - Juin 2015
182, Vol. 52, no 1
SOMMAIRE
2 Le mot de l’éditeur
Dossier
AMOUR ET MARIAGE
3 AMOUR ET MARIAGE
Jean-Marie Fallu
9 ESTELLE ALLARD, PHOTOGRAPHE DE MARIAGE
Jean-Marie Fallu
12 JOS FALLU, 1908 : AMOUR ET HUMOUR
Jean-Marie Fallu
15 FRÉQUENTATIONS ET NOCES À SAINT-MAURICE
Maurice Joncas
19 SE MARIER DURANT LA GRANDE CRISE
Alcide Roy
Chroniques 22 KATHLEEN ROBSON : DE MARRAINE DE GUERRE
42 « Archives » À ÉPOUSE DE GUERRE
LA GRANDE DEMANDE D’ABEL Kathleen Robson-Fournier
MALDEMAY
27 MARIAGES À RIvIèRE-AU-RENARD
Jeannot Bourdages
Ginette Roy et Francine Cotton
44 « Objets de musée »
DES ROBES POUR CHAQUE 29 LETTRES D’ÉMILE À FERNANDE SOUS
ÉvÉNEMENT! L’OCCUPATION ALLEMANDE
vicky Boulay Hélène Leclère
46 « Anniversaires » 33 TROIS DOUZAINES DE DOUBLES COUSINS GERMAINS
DES ESPOIRS INDUSTRIELS : Yvan Landry
DE LA MINE DE PLOMB DE PETIT-
GASPÉ À LA GASPÉSIA 34 UNE GRANDE DEMANDE ET UN TRIPLE MARIAGE
Jean-Marie Fallu À vAL-D’ESPOIR
48 « Personnages » Réal-Gabriel Bujold
GRAND-MAMAN BLANCHE 37 ROSE ET GÉRARD : 70 ANS D’AMOUR
Liane Coolidge Thibault
Christine Cassin
53 « À lire »
40 FABIEN SINNETT : L’AMOUR AU TEMPS
L’INSPIRANTE GASPÉSIE
DE LA TUBERCULOSE
Jean-Marie Fallu
Jean-Marie Fallu
55 « Le Magazine et vous! »
LES PASSONNÉS DE LA CHASSE
Jean-Marie Fallu
PAGE COUvERTURE
À leur sortie de l’église, les mariés Jean-paul Labbé et Marie-Béatrice-gilberte
Édité par le LeBlanc sont accueillis par une pluie de confettis, new richmond, 11 juillet 1959.
Photo : Musée de la Gaspésie. Fonds Charles-Eugène Bernard et Estelle Allard. P67/B/3a/1/590.
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Mars – Juin 2015
No 182, volume 52, numéro 1
Éditeur : Musée de la Gaspésie
Le mot de l’éditeur
Fondé en 1963, le Magazine Gaspésie est publié trois fois l’an par le Musée de la Gaspésie.
Par sa mission, le Magazine vise la diffusion des connaissances relatives à l’histoire, au patrimoine
culturel et à l’identité des Gaspésiennes et des Gaspésiens. Il est membre de la Société de C’est à travers les différents textes de nos précieux colla-
développement des périodiques culturels québécois (SODEP).
Comité de gestion borateurs que vous serez transportés dans le quotidien des
Claude Camirand, Jean-Marie Fallu, Marie-Pierre Huard et Nathalie Spooner.
Gaspésiens et Gaspésiennes pour y découvrir leurs compor-
Comité de rédaction
Jules Bélanger, Jeannot Bourdages, Jean Carbonneau, Jean-Marie Fallu, Ginette Roy tements, coutumes, croyances et valeurs en ce qui a trait à
et Nathalie Spooner.
l’amour et au mariage. Des Micmacs à aujourd’hui, on voit
Coordination, abonnements et ventes
Marie-Pierre Huard / Tél. : [phone] poste 102 qu’une certaine tradition du mariage a persisté dans le temps,
Courriel : [email protected]
bien qu’au cours des dernières décennies, le concept du
Rédacteur en chef
Jean-Marie Fallu, Patrimoine 1534 mariage a été remis en question par certains et redéfini par
1155, boulevard de Douglas, Gaspé (Québec) G4X 2W9
d’autres suivant l’évolution des relations entre les hommes et
Téléphone : 418 360-1245 / Courriel : [email protected]
Recherche iconographique les femmes. Si le nombre de divorces a atteint un record en
Jean-Marie Fallu et Jeannot Bourdages.
1990, l’institution du mariage a su malgré tout s’adapter aux
Auteurs
Vicky Boulay, Jeannot Bourdages, Réal-Gabriel Bujold, Christine Cassin, Liane Coolidge Thibault, valeurs contemporaines. Amour et mariage font-ils maintenant
Francine Cotton, Jean-Marie Fallu, Maurice Joncas, Yvan Landry, Hélène Leclère,
Kathleen Robson-Fournier, Alcide Roy, Ginette Roy. meilleur ménage? L’avenir nous le dira… Bonne lecture!
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Nathalie Spooner, Musée de la Gaspésie
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Courriel : [email protected] Pour une première fois depuis mon arrivée au Magazine
Distribution en kiosque
Camille Leduc Gaspésie, nous avons écoulé en peu de temps tous les exem-
Conception graphique et infographie plaires du dernier Magazine (numéro 181) « La chasse et la
TVA Accès
Révision linguistique trappe, une passion ». Ce numéro a plus que jamais déclenché
Roger Lavoie les passions pour notre magazine! Certains auraient bien aimé
Pelliculage et impression
Imprimerie des Anses se le procurer, mais en vain. Un moyen sûr d’éviter cette situa-
Plateformes numériques
tion c’est bien entendu de souscrire un abonnement à celui-ci.
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Gaspésie : Tabagies et librairies (liste sur le site web). bibliothèques de la Gaspésie durant toute l’année 2015.
Rimouski : Musée régional de Rimouski et Librairie L’Alphabet
Pour connaître les endroits où vous pouvez voir les vitrines
Sept-Îles : Musée régional de la Côte-Nord
La Pocatière : Librairie L’Option d’exposition et connaître quelles sont les expositions en cours,
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Magazine gaspésie – Juillet 2013
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DOSSIER
Mariage chez William Poirier à Bonaventure, vers 1900.
Photo : Musée de la Gaspésie. Fonds Sylvio Gauthier. P79/6/59.
Amour et mariage
Le besoin d’aimer et d’être aimé est vieux comme le monde. L’est tout autant ce désir de
concrétiser l’amour entre deux êtres par le mariage. Au fil du temps, le sentiment amoureux
s’exprime sous divers angles : le coup de foudre, les fréquentations, les interdictions, les doutes,
etc. Et que dire de cette tradition du mariage : la demande en mariage, les fiançailles,
la préparation au mariage, la publication des bans, la cérémonie à l’église, la noce, les photos
et sans oublier la nuit ainsi que le voyage de noces.
Jean-Marie Fallu
Rédacteur en chef
« La magie du premier amour, c’est d’ignorer qu’il puisse finir un jour. L’amour s’en vient…
l’amour s’en va! »
- Bernadette Babin-Bujold11.
Chez les Mi’gmaq qu’on voit chez les Gaspésiennes, les Blancs pour obtenir leurs faveurs
A
u 17e siècle, le père Chrestien Le « quelques filles & des femmes liber- sexuelles. « L’impureté, les adultères,
Clercq a observé les coutumes tines, qui vivent sans honneur » et les incestes, & plusieurs autres crimes
entourant l’amour et le mariage des hommes qui « sont naturellement que la pudeur m’empêche de nommer,
chez les Mi’gmaq. Il y règne une cer- volages ». Il note que le comportement sont les dérèglements ordinaires qui
taine liberté qui laisse libre cours au des femmes est gravement affecté se commettent par la traite d’eau-de-
libertinage. Ce missionnaire signale par les méfaits de l’alcool utilisé par vie, de laquelle plusieurs Traiteurs se
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DOSSIER
servent pour abuser des Sauvagesses,
qui s’abandonnent facilement durant
leur ivresse, à toute sorte d’impureté2. »
Lors des fréquentations et du
mariage, rarement on se querelle. S’il
y a incompatibilité entre l’amant et
l’amante ou le mari et l’épouse, on se
sépare ou on divorce. Le prétendant
ne peut marier une fille sans l’accord
du père qui évaluera si celui-ci est un
parti avantageux pour sa fille. Une fois
marié, il devra vivre un an sous le même
toit que sa belle-famille et lui fournir
toutes ses pelleteries et ses produits de
la chasse. Son épouse devra le seconder.
Les traces de l’amour
Le faible peuplement de la Gaspésie au
régime français a laissé peu de traces
relatives à l’amour et au mariage à cette
époque. Néanmoins, on sait que le pre-
mier mariage gaspésien inscrit dans
La princesse et le guide
un registre est celui de Pierre Langlois
Le marquis de Lorne, gouverneur général du Canada et son épouse, la princesse
(fils de feu Jean Langlois et de la
Louise, fille de la reine Victoria, font plusieurs séjours de pêche sur la Grande Cas-
défunte Périne Lefebvre de Saint-Malo
capédia, entre 1879 et 1883. On prétend même que la rivière aurait à ce point
en France) avec Anne Huart (fille de
envoûté la princesse qu’elle aurait succombé au charme « naturel » de son guide
Pierre Huart et de Catherine Capplan
Richard Duthie. La princesse immortalise leur liaison réelle ou imaginaire en don-
de Pabos) en date du 31 août 17523.
nant à deux fosses voisines les noms de « Duthie’s Pool » et « Princess Pool ». Après
Le sentiment amoureux est fort
cet amour impossible, Duthie réalise son rêve possible, un projet tant désiré : se
présent d’après la tradition orale issue
procurer un ranch en Alberta, cette nouvelle province nommée en l’honneur du
de cette période. Qui n’a pas rêvé à
prince Albert, frère de la princesse Louise.
rencontrer un jour son prince char-
mant ou sa princesse? Du conte de fée
au mariage malheureux, la chanson épousé. Je me rappelle de l’un d’eux qui Les préparations au mariage
est riche sur ce thème : aventures courtisait une jeune fille, qui n’était pas Les fréquentations se déroulent au
galantes (amante espiègle, amant et très belle. Il disait que les filles étaient domicile des parents de la fille. Les
amante volage ou jalouse), demande en rares et qu’il fallait prendre ce qu’on fiançailles deviennent un moment de
mariage, désir ou crainte du mariage, attrapait4. » réflexion entre les fréquentations et le
obligations du mariage. Dans les grandes familles, on incite mariage. On s’assure qu’on a fait le bon
particulièrement les filles à se marier choix. On réunit les deux familles au
Faire le bon choix jeunes. Le trop long célibat d’une fille cours d’une fête, on établit la dote et
Choisir l’être aimé est tout un défi. peut s’avérer une charge pour la famille. on s’entend pour voir comment on peut
Sachant que c’est le contrat de toute C’est moins le cas pour les garçons qui rendre viable le mariage.
une vie, on hésitera parfois longtemps aident le père dans ses travaux et qui La bague de fiançailles représente
avant de dire oui à l’autre. ramènent à la maison des revenus la promesse de mariage. Dès lors
Il arrive qu’advenant que les filles gagnés dans les chantiers ou ailleurs. s’amorcent les préparations au mariage.
se fassent rares dans leur propre village, Les fréquentations durent rarement La future prépare son trousseau, sym-
les garçons aillent courir les jupons plus d’un an. L’église ne voit pas d’un bole de dépendance de la femme envers
ailleurs. « Dans le temps des fêtes les bon œil les dérives de trop longues fré- son futur époux. On se rencontre à
jeunes gens de Rivière-au-Renard, quentations, la fille tombant enceinte l’église pour suivre les cours de prépa-
Clorydormes, Madeleine, qui étaient et en état de péché. Une fille enceinte ration au mariage établis depuis 1939
presque tous consanguins, venaient voir avant le mariage subit un déshonneur devant la menace qui plane sur la struc-
les filles à Mont-Louis. Plusieurs en ont pour elle et sa famille. ture familiale par l’essor de la société
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Lors du congrès marial tenu à Caplan le 17 juillet 1954, on assiste à treize mariages célébrés le même jour. Cette photo
montre huit de ces couples. De gauche à droite, à partir du 3e couple : Hector Lévesque et Monique Côté, Évariste Leblanc
et Candide Leblanc, Léonidas Poirier et Éliane Babin, J.-Alonzo Lepage et Mariette Ferlatte, Héliodore Cyr et Gisèle Poirier
ainsi que Roland Babin et Jeanne Bernier. Au fond à gauche, Mgr Albini Leblanc, le prêtre agenouillé est l’abbé Charles-
Eugène Côté, curé de Saint-Alphonse-de-Caplan et le prêtre célébrant est le curé de Caplan, l’abbé Georges Rioux.
Photo : collection Candide Leblanc.
industrielle. Le cours précise les devoirs au mariage prendra fin en 1972. à l’homme responsable. Pour la fille,
de l’épouse (prendre soin du foyer et de La coutume de l’enterrement de on organise un shower ou une pluie
son mari et fonder une famille) et lui vie de garçon permet toutes les liber- de cadeaux, une tradition venant des
procure des conseils sur la sexualité et tés à l’homme qui, pour une dernière États-Unis. La rencontre se fait dans la
la procréation. Le cours de préparation fois, passe de l’état de l’homme libre famille de la future épouse. Les fiancés
tombe follement amoureuse, à dix-huit afin de sauver l’honneur de sa famille :
ans, de John Bignell, un protestant « […] j’ai eu le malheur de commettre
nouvellement arrivé comme ingénieur une faute grave en allant contracter ma-
forestier à la Compagnie St. Lawrence riage avec un protestant devant le mi-
Terminal. Désapprouvant les intentions nistre protestant, cela au mépris des lois
de sa fille qui n’a pas encore la majorité de Notre Sainte Mère l’Église catholique
(21 ans, à cette époque) et désireux de qui défend cet acte sous peine d’excom-
l’éloigner du péché, Rémi, de surcroît le munication […]. Ainsi je demande par-
bedeau de l’endroit, décide d’envoyer don du scandale que j’ai donné à tous
celle-ci à l’École ménagère de Chicou- mes frères dans la vraie foi […] et je veux
timi. Il se rend, accompagné de sa le réparer […] par la ferveur et la régu-
femme, la conduire en boghei à la gare larité de ma vie et le soin que je pren-
de Petit-Métis. Arrivée à Québec, Lydu- drai à faire baptiser, instruire et élever
vine déserte sa mère et se rend à New mes enfants dans la foi […]. » Son mari
Brunswick (New Jersey) rejoindre son John signera une promesse d’élever ses
amant qu’elle marie devant un ministre enfants dans la religion catholique. Et
protestant. Rémi fera le voyage jusqu’à comme toute belle histoire d’amour qui
Scandale à Sainte-Anne- New York pour y ramener sa fille… finit bien, John et Lyduvine auront trois
des-Monts et son gendre. Le 15 novembre 1908, enfants… et ils vivront heureux. (Propos
Lyduvine Pelletier crée tout un scandale Lyduvine sera obligée de faire des ex- traduits de Effie Molt-Bignell, 1912).
à Sainte-Anne-des-Monts lorsqu’elle cuses publiques sur le parvis de l’église
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DOSSIER
éviteront de se voir avant le mariage et, tard les voitures font place à de belles
comme gage de bonheur, le marié ne automobiles). À l’église, le père conduit Mariage clandestin
doit pas voir la robe de sa future. sa fille à la sainte Table et le garçon se à L’Anse-au-Griffon, 1902
On se marie de préférence en hiver, place à son côté à genoux. À leur sortie Le célèbre journaliste Olivar Asselin
souvent en janvier, et avant la guerre de l’église, les nouveaux mariés sont (1874-1937) qui ne fait jamais les
39-45, on choisit les jours de semaine, accueillis par une pluie de confettis qui choses comme tout le monde
évitant le dimanche et les fêtes litur- ont la propriété de chasser les mauvais se marie de façon clandestine à
giques. Une fois que la date du mariage esprits. On s’assemble sur le parvis de L’Anse-au-Griffon, le 3 août 1902. Il
est fixée, les pères du futur couple se l’église pour la photo officielle. épouse Alice, la petite-fille de John
rendent au presbytère pour la publi- Les deux familles se rendent à LeBouthillier. Ce mariage discret
cation des bans qui sera annoncée au la maison du père de la mariée pour semble convenir aux deux parties,
prône du dimanche et qui assure qu’il la noce. Le dîner se termine avec le car Asselin ne roule pas sur l’or et la
n’y a pas d’empêchement au mariage. gâteau de noce qui symbolise la perte de famille Le Bouthillier non plus, cette
Avant la cérémonie du mariage, pour virginité de l’épouse et sa fertilité. Plus dernière se relevant tout juste d’une
attester qu’ils ont l’âme en paix, les la tour est haute plus le bonheur sera banqueroute. Mais Asselin est sûr
futurs époux devront se confesser. grand. Il n’est pas rare que la noce dure de faire le bon choix : « La future est
plusieurs jours. Les mariés passeront une demoiselle LeBouthillier, pas
Le grand jour leur première nuit de noces chez les riche, mais intelligente, instruite,
Le mariage est célébré à l’église très tôt parents de la mariée. courageuse, foncièrement honnête,
le matin, soit à huit heures. Les deux Le mariage n’est pas toujours suivi et, ce qui ne gâte rien en pareille
familles des futurs époux s’y rendent d’un voyage de noces, ce dernier étant l’apa- affaire, jolie. » Des parents des
chacun de leur côté avec des voitures à nage des gens plus fortunés. Les voyages mariés, seule la mère de la mariée
cheval et des harnais bien décorés (plus de noces prennent de l’ampleur dans les est présente à ce drôle de mariage.
C’est par lettre que le journaliste
apprend l’heureux événement à
Quelques présages sa mère : « J’ai épousée, dimanche
- Il sera malheureux d’avoir une panne de moteur le jour de ses noces. matin, à l’Anse-au-Griffon, devant M.
- La pluie le jour des noces est le présage d’une vie peu heureuse. le Curé Smith, Mademoiselle Alice
- Il est très malheureux pour une femme mariée d’enlever son anneau. LeBouthillier, dont la mère Madame
- Le soir des noces, le premier conjoint qui va au lit mourra le premier. Charles LeBouthillier, a passé là une
- Il est malheureux de se marier le 13, et malchanceux de se marier les lundi, mer- partie de l’été. […] nous serons cette
credi ou vendredi. Il faut se marier les mardi, jeudi ou samedi. semaine à Montréal […] Vous ferez
- Le garçon qui éprouvera quelque difficulté à ouvrir la porte de la maison chez les alors la connaissance de votre bru,
parents de son amie n’aura jamais la main de cette dernière en mariage5. qui vous plaira, j’en suis sûr6. »
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Le 19 juin 1993, l’aubergiste bien connu Sydney
Maloney (1923-2000) se marie avec Lise De Guire
avec qui il vit depuis les années 1970. Leur mariage
bien original sera remarqué pour son originalité
par la presse locale. Du Coin-du-Banc, ils se rendent
à l’église de Percé en voiture à cheval. Fier de ses
racines irlandaises, Sydney avait eu soin de peinturer
« Le mariage de trois sœurs, c’est une bonne façon de vider une maison », rappelle en 2014 Germain Rioux. en vert les sabots du cheval.
Mariage des trois sœurs Leblanc : Philippe Gallagher et Éthel Leblanc, Gérard Paquin et Noëlline Leblanc et Photo : collection Lise De Guire.
Germain Rioux et Olivette Leblanc, 7 juillet 1956, New Richmond.
Photo : Studio Charles Bernard, collection Germain Rioux.
décennies 1940 et 1950, une période de certain essor. Durant la crise des années
prospérité économique. C’est alors que la 1930, en encourageant la création de
Gaspésie devient pour les Américains et colonies dans l’arrière-pays gaspésien,
pour d’autres une destination prisée par les le clergé et les autorités gouverne-
nouveaux mariés. mentales favorisent les mariages. À la
On ne manque pas de jouer des tours aux suite de l’entrée en guerre du Canada
nouveaux mariés en attachant des « cannes » en septembre 1939, le parlement
sous leur auto ou encore en tentant de les canadien adopte le 20 juin 1940 une
débusquer lors de leur nuit de noce. loi instaurant le service militaire obli-
gatoire pour tout célibataire de 18 à
Des mariages mixtes, des 45 ans afin d’assurer la défense du pays
mariages inusités sur son territoire. Cette loi provoque
La proximité et le côtoiement des au Québec une course aux mariages
En lien avec cette tradition chantée,
francophones et des anglophones favo- durant l’été 1940. Assurément qu’elle
un contemporain, Gilles Bélanger,
risent les mariages mixtes qui, sans a pu avoir un effet en Gaspésie. Les
aborde le thème de l’attente de l’être
être monnaie courante, auront l’heur années d’après-guerre seront mar-
aimée dans l’extrait de cette chan-
de déplaire au clergé catholique qui quées par un baby-boom, une sorte
son en hommage à Adélard Roy, un
interdit de tels mariages. Dans le plus d’âge d’or du mariage. Il est courant
pêcheur légendaire de Miguasha, et
souvent des cas, ces mariages sont d’assister en un même jour à des
à sa femme Charlotte Connors.
formés d’anglicans – dont plusieurs mariages doubles ou multiples. Ainsi,
Ma mie attends-moi
Jersiais d’origine – qui se conver- en août 1930, un quintuple mariage
Ce s’ra pu ben long
tissent au catholicisme afin d’épouser est célébrée à Saint-Elzéar par
Mon amant je t’attends
des femmes francophones. Mgr François-Xavier Ross, assisté de
Même si c’est toujours trop long
l’abbé Edmond Plourde, et en présence
(Chanson La traversée, album
Les âges d’or du mariage du ministre de la Colonisation, Hector
La Traversée, 1981).
On identifie trois périodes pendant LaFerté, qui offre aux cinq couples des
Photo d’Adélard Roy : collection Claude Bélanger.
lesquelles le mariage a connu un chapelets et cinq rouets.
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Les trois couples de mariés (sœurs Leblanc) prennent place dans de belles décapotables « Monack », une gracieuseté du garage Bert Dimock,
7 juillet 1956, New Richmond.
Photo : Studio Charles Bernard, collection Germain Rioux.
comme des personnes autonomes dans Le texte intégral, incluant les références et les sources,
est disponible au www.museedelagaspesie.ca
le mariage. Avec l’arrivée de la pilule
L’amour et la guerre
Notes
en 1968, la femme contrôle sa sexualité.
Les beaux militaires gaspésiens 1. Bernadette Babin-Bujold, L’envoi des ans, Laval,
exercent l’attrait de l’exotisme sur L’église perd peu à peu le contrôle du Éditions Le Grand Fleuve, 2002, p. 94.
mariage. À l’automne 1968, des lois sur 2. Chrestien Le Clercq, Nouvelle relation de la Gas-
les jeunes Anglaises. Plusieurs
pésie, Paris, Amable Auroy, 1691, p. 419-420.
le mariage civil et le divorce sont pro-
d’entre eux reviendront de la 3. Information recueillie du généalogiste Réjean
mulguées. À compter des années 1970,
guerre 39-45 avec une épouse, et Martel et confirmée par Michel Émard, Le registre
le mariage selon les rituels traditionnels de la Sainte Famille de Pabos, Gaspésie, 1751-
parfois même un enfant.
décline. Chez certaines, on délaisse 1757, Pointe-au-Geneviève, 1980, p. 35. (Cahiers
gaspésiens no 2)
la robe blanche, symbole de fidélité à
4. Timothée Auclair, « Gaspé-Nord en 1860 », dans
tout prix. Dans les années 1990 et 2000, Revue d’Histoire de la Gaspésie, vol. 1, no 4, (no 4),
Du mariage traditionnel le mariage civil prend le dessus sur le octobre-décembre 1963, p. 21.
au mariage libre mariage religieux. 5. Tiré de Carmen Roy, La littérature orale en Gaspé-
sie, Ottawa, Musée national du Canada, ministère
L’institution du mariage a perdu des Aujourd’hui, près de 40 % des du Nord canadien et des Ressources naturelles,
plumes au cours des dernières décen- couples vivent en union libre. Des chan- Division des parcs nationaux, 1955, p. 99-100.
(« Bulletin no 134 »).
nies. Avec la libération des mœurs des gements législatifs reconnaissent des
6. Hélène Pelletier-Baillargeon, Olivar Asselin et son
années 1960, on voyage davantage et on droits aux non-mariés. Depuis 2001, la
temps, tome 1, Le militant, Montréal, Les Éditions
s’ouvre aux expériences nouvelles. On loi permet de choisir un célébrant qui Fides, 1996, 777 p. 210 et 215.
questionne la pratique religieuse, on conçoit un mariage à l’image du couple.
Sources
prône la liberté sexuelle et l’émanci- On ne tolère plus d’être en couple « pour
- Minisérie documentaire À toi pour toujours : la
pation de la femme. Le modèle familial le meilleur comme pour le pire », on n’y petite histoire du mariage, chaîne Historia, 11, 18,
traditionnel dont le mariage est forte- est que pour le meilleur. 25 mars 2013
- Jean PROVENCHER, Les quatre saisons dans la
ment ébranlé.
vallée du Saint-Laurent, Boréal, 1996, chapitre
Un changement juridique impor- Merci de leur collaboration à Angèle Bélanger, Pierre « Les noces », p. 481-496.
Cyr, Jocelyne Fallu et Réjean Martel.
tant affecte le mariage en 1964 : les
femmes sont maintenant reconnues
8 MAGAZINE GASPÉSIE – Mars - Juin 2015
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