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Amazigh / Berbère / Tamazight PDF

19 Pages·2016·3.27 MB·French
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221 «Amazigh/Berbère/Tamazight: danslesméandresd’unedénomination»1 SalemCHAKER Lacnad,Inalco/Iremam,AMU On voudrait revenir ici sur (et interroger) la concurrence des dénominations qui s’est progressivement mise en place depuis 30 à 40 ans dans le champ berbère (ou amazighe!), en Afrique du Nord surtout et, secondairement, au plan international. Comme l’on sait, dans les langues occidentales et en arabe, les termes «Berbères / (langue) berbère – al-barbar/al-barbariyya» étaient traditionnels et exclusifs depuis le Moyen âge pour désigner les populations autochtones de l’AfriqueduNordetleurlangue.Onyreviendrademanièreunpeupluspréciseplus loin. Or, depuis le milieu des années 1970, les dénominations «Amazigh/Imazighen» (pour l’individu et le peuple) et «tamazight» (pour la langue)ontprogressivementeutendanceàremplacerenfrançaisetenarabe,d’abord enAfriqueduNordoùellessontdésormaisdevenuesprédominantes,puis,defaçon beaucoup moins hégémonique, au plan international, y compris académique, où il n’est plus rare d’entendre ou de voir écrit «les Imazighen» (pour le peuple), le «tamazight»ou«l’amazighe»pourlalangue.Unindicenetdecetteévolution,est l’apparition de ces termes dans les éditions récentes des dictionnaires usuels de languefrançaise(Larousseetautres). Ce changement de nom, comme tout changement de nom, n’est pas anodin. L’acte de (re)nomination est (a été) toujours et en tout lieu significatif d’un 1Cetarticleestissud’unséminairedonnéauCentredeRechercheBerbère(INALCO-Paris), le9octobre2013etàlaMMSH(Aix-en-Provence),le7mai2013. 222 changement social, politique, historique ou ethnique; lorsqu’il est initié par des acteurs (groupes d’individus ou institutions) bien identifiés, il est toujours le reflet de déterminations idéologiques et porteur d’un projet, politique ou autre. Il n’est pointbesoind’illustrerplusavantcetteréalitéuniverselle:lesexempleshistoriques abondent,àtoutesépoques.Lepouvoirdenommerleslieux,lesêtresetlespeuples, au-delà de la fonction de désignation-identification, est aussi (et peut-être surtout) unemarqued’appropriation,d’intégrationoudedomination. Mais avant d’émettre quelques hypothèses interprétatives, revenons aux donnéesfactuelles,tropsouventignoréesouoccultées. 1. Amaziɣ/tamaziɣt = «Berbère/(langue) berbère», est d’abord un néologisme enlangueberbère,précisémentdatéde1945. On le doit aux militants kabyles «berbéro-nationalistes», des lycéens et étudiants,engagésdanslecombatanticolonialauseinducourantindépendantistedu nationalisme algérien (PPA-MTLD, ancêtre direct du FLN). Cet épisode est finementdocumentéparlestravauxdel’historienneMelhaBenbrahim(cf.bibl.),et on trouvera trace précise chez tous les historiens sérieux du nationalisme algérien (Harbi, Stora, Carlier…). Ces jeunes gens composent à l’époque toute une série de chants patriotiques, des chants de marche, en langue berbère, pour le mouvement scout (Scouts Musulmans Algériens), fortement implanté en Kabylie et acquis à l’objectif de l’indépendance de l’Algérie. Ces auteurs sont nombreux et divers (Laïmèche,Aït-Ahmed…;cf.Benbrahim2001),maisleplusimportantd’entreeux estAït-Amrane(1924-2004),auteurducélèbrekker a mmi-s umaziɣ,«Lève-toifils de Berbère», devenu ultérieurement un sorte d’hymne berbériste. Comme je l’ai souligné depuis longtemps (Chaker 1987b, 1989/1998), idéologiquement cette productionétaitambivalente,voireambigüe2:onychantaitl’Algérieindépendante 2Mêmesisesauteurssesonttoujourspositionnéscommed’authentiquespatriotesalgériens (voirplusloin);cepositionnementsubjectifn’exclutpasquecetteproductionpeut/pouvait recevoirplusieurslecturesetétaitporteused’undiscoursautreetdepotentialitéspolitiques alternatives:les«Berbéro-nationalistes»chantaientuneautreAlgériequecelledescourants dominantsdunationalismealgérien. 223 àvenir,enlangueberbèreetavecdesréférencesexclusivementberbères,ycompris au plan historique (Jugurtha, Massinissa…), l’Arabe et la langue arabe en sont totalementabsentsetl’islamtrèsdiscret. Mais pour notre problématique, le plus important est le travail linguistique menéparlesauteursdeceschants:c’estdecetépisodequedatelapremièrevéritable action d’aménagement linguistique du berbère (cf. Achab, 1996/2013), menée par desberbérophones.Elleaportéessentiellementsurlelexiqueparcequecesauteurs ont été confrontés à la nécessité d’exprimer un certain nombre de notions sociopolitiques dans leurs chants engagés: «nation», «peuple», «progrès», «liberté», et… «Berbère»! Concepts qui jusque-là, dans l’usage traditionnel du kabyle, ou bien n’existaient pas, ou bien étaient empruntés à l’arabe, voire au français. Ces jeunes militants, qui avaient accès à la littérature scientifique berbérisante abondante à Alger, vont se lancer, pour répondre à ces besoins tout à faitpratiquesetimmédiats,dansl’aménagementlexicaldeleurlangueetinitierune série de néologismes: néologismes par emprunt à d’autres dialectes berbères, principalement le touareg; néologismes morphologiques par création de mots nouveauxpardérivationàpartirderacinespréexistantes. C’est très précisément dans ce contexte, et d’abord dans le chant emblématiquedefeuIdirAït-Amrane,kker a mmi-s umaziɣ,quesontintroduitspour la première fois les termes Amaziɣ/imaziɣen et tamaziɣt pour désigner les Berbères dansleurglobalitéetlalangueberbèredanssonensemble,notammentdanslevers: Tamaziɣt ad tgem ad ternu «Leberbèrecroîtraetprospérera» Car dans l’usage linguistique traditionnel berbère,il n’existait pas enkabyle, ni dans aucune région berbérophone, un terme désignant l’ensemble des Berbères et leur langue: on ne connaissait que des désignations d’entités régionales/dialectales:«kabyle(s)»,«chleuh(s)»,«chaoui»,etc.Seulsleslettrés, arabisants ou francisants, connaissaient (ou pouvaient connaître) le concept et sa dénomination, arabe (al-barbar) ou française (berbère). Les faits, sur ce point ne souffrent aucune discussion: dans l’immense corpus de textes berbères collectéset publiés depuis le milieu du XIXe siècle, provenant de toutes les régions berbérophones,onne trouverajamais une mentiondesBerbèresdansleur globalité 224 ou de leur langue considérée comme un tout. On n’y nomme que des entités régionales,locales/dialectalesparticulières3. Situation qui n’a rien de surprenant et, en la matière, on doit se garder des anachronismes–certescourantsdanslediscoursidéologique–etnepasreconstruire les réalités traditionnelles ou anciennes à partir des données contemporaines: l’ensemble berbère est fragmenté depuis plusieurs siècles4 et constitué de groupes régionauxindépendantsquiontleurviepolitique,culturelle,économiquespécifique, leurusagelinguistiquepropre;cesontlesdénominationsrégionalesquisesonttout naturellementimposéesdanslapratiquesocialeetdanslaconsciencedesgroupeset desindividus,pourautantqu’ilexistaitauparavantunedénominationcommunedes Berbèresenlangueberbère5. 2. Amaziɣ/Tamaziɣt,unnéologismequiaunréelancrageethno-historique Mais ces néo-dénominations ne tombent pas du ciel et ne sont pas des inventions de leurs initiateurs. Elles existaient dans certains usages traditionnels, mais avec une extension géographique limitée et une signification plus restreinte, porteuse néanmoins d’une véritable potentialité d’élargissement. En termes 3 Pour le domaine touareg, le témoignage de Charles de Foucauld, au tout début du XXe siècle, est particulièrement explicite: «… Les Kel Ahaggar ne désignent par le nom d’Amâhaɣ que les Touaregs seuls ; ils ne donnent pas ce nom aux Berbères non Touaregs ; ilsn’ontpasdemotsignifiant«BerbèrenonTouareg»[…],nidemotsignifiant«Berbères» […]»; Ch. de Foucauld, Dictionnaire touareg-français (dialecte de l’Ahaggar), Paris, Imprimerienationale,1952,t.II,p.673. 4LecontinuumlinguistiqueberbèreestdéfinitivementdisloquéauplustardàlafinduMoyen âge (XVe), lorsque l’arabisation de larges espaces du territoire de l‘Afrique du Nord est accomplie. 5 On reviendra plus loin sur ce point, mais a priori, il n’est pas du tout acquis d’une telle dénominationexistaitenlangueberbère:aucunesourceancienne,grecque,latineouarabe, n’enporte témoignage;de plus, l’état sociopolitique (tribalisme généralisé, absence d’État ou d’institutions communes stabilisés…) et l’immensité du territoire rendent peu probable l’existence d’une conscience collective «berbère» et de la dénomination commune correspondante. 225 d’aménagement, il s’agit donc de «néologismes sémantiques»: Amaziɣ/Tamaziɣt existaient en berbère mais les «berbéro-nationalistes» leur ont affecté une signification(très)élargie. Auplansynchronique,amaziɣ/tamaziɣtserencontred’abordentantqu’auto- désignation, en berbère, de certains groupes berbères: principalement ceux du Maroccentral(Moyen-Atlas etlapartie EstduHaut-Atlasetleurspériphéries),qui sesonttoujoursdénomméseux-mêmes Amaziɣ/Imaziɣenetleurlanguetamaziɣt.Il s’agitdoncd’undestroisprincipauxensemblesberbérophonesduMaroc. Par ailleurs, les Touaregs se nomment eux-mêmes par le terme Amažǝɣ, Amašǝɣ, Amahăɣ (selon les régions), qui est issu de l’amaziɣ attesté au Nord; il s’agit d’un phénomène, régulier en touareg, d’évolution phonétique du /z/ berbère, retraitéparpalatalisation(icienraisondelaprésenceanciennedu/i/de amaziɣ)en [š](AdrardesIfoghas),[ž](Aïr,Azawagh…)ou[h](Ahaggar,Ajjer).LesTouaregs n’emploient donc pas l’endonyme Amaziɣ, mais le terme qu’ils utilisent en est directementissu. Enfin,toujoursauplansynchronique,letermeamaziɣconnaîtd’autresusages locaux,maisavecdessignificationsdifférentes(maisquinesontpassanslienavec l’usageethnonymique): – En znatiya du Gourara (Sahara algérien), il signifie «seigneur, maître», voire«Dieu».(Bellil2000,cf.Glossaire,p.229).Celas’expliquetrèsaisémentpar le fait que dans les oasis sahariennes les groupes autrefois dominants, guerriers et propriétaires des terres,étaient souvent des Berbères «blancs»,par oppositionaux agriculteurs «noirs», quasiment asservis. L’ethnonyme amaziɣ a donc dans ces régionsévoluéverslasignificationsociale«maître,seigneur». C’est un phénomène similaire qui s’est produit en touareg méridional, dans les régions où les populations asservies ou dominées étaient très nombreuses: l’ethnonyme Amažǝɣ y a pris le sens de «Touareg noble»et ne s’applique qu’aux nomades guerriers dominants, détenteurs des droits à commandement; alors que chezlesTouaregduNord(Ahaggar-Ajjer),oùlespopulationsasserviesétaientbien moins nombreuses, Amahăɣ signifie encore «Touareg (quelconque)», noble ou 226 vassal6.Onvoitbien,àtraverscecasexplicite,quec’estunestructuresocialelocale particulièrequiafaitévoluerl’ethnonyme Amaziɣverslesensde«Berbèrenoble/ hommelibre»,paroppositionà«vassal,serfouesclave».Lathèsecouranteparmi la militance berbère,«Amazigh = homme libre/noble», reprise par de nombreuses sources lexicographiques occidentales (notamment le Larousse), n’a donc aucun fondement étymologique, ni même de validité historique: c’est une évolution sémantiquelocaledéterminéeparunestratificationsocialepropreàcertainsgroupes berbères. – En chleuh, le syntagme nominal (Nom + Adjectif) awal amaziɣ désigne précisémentla«langue littéraire», «la langue dela poésie»(Galand-Pernet1972, p.11).UsagedontonretrouveunetraceprécocedèsleXVIesièclechezJean-Léon l’Africaindontilestimportantdeciterinextensolepassagepertinent(1956,t.I,p. 15): «Ces cinq peuples [berbères] qui sont divisés en centaines de lignées et en milliersdedemeures,utilisentuneseulelanguequ’ilsappellentcommunémentaquel amazig[=awal amaziɣ],cequiveutdirelangagenoble.» Il est difficile de prendre au pied de la lettre l’affirmation de Jean-Léon L’Africainetd’enconclurequ’auXVe-XVIesièclestouslesBerbèresappelaientleur langue awal amaziɣ, car il extrapolait sans doute à partir de son expérience personnelle,essentiellement«marocaine»,forcémentlimitéeetengrandepartiede secondemain;deplus,l’expressionn’apparaîtpasdanslessourcesalmohades,plus anciennes encore, et qui utilisaient abondamment la langue berbère (cf. Buresi & Ghouirgate2013etGhouirgate2014).Onpeutentoutétatdecauseenretenirquela dénominationawal amaziɣexistaitdéjà,avecunsenstrèsvalorisant,etdésignaittrès certainement la langue littéraire/poétique, la «belle langue». Mais chez Léon 6 Cette divergence sémantique régionale est bien documentée et clairement établie par les principales sources lexicographiques touarègues: pour le touareg du Nord (tamahăq), cf. Charlesde Foucauld, Dictionnaire touareg-français(dialecte de l’Ahaggar), Paris, 1952,t. II, p. 673; pour le touareg méridional (tamašǝq, tamažǝq), cf. Karl-G. Prasse et al., Dictionnairetouareg-français,Copenhague,MuseumTusculunanumPress, t.II,p.576. 227 l’Africain,amaziɣnequalifieetn’identifiequelalangue:ilneditnullementquele termeétaituneauto-désignationdesBerbères. Il est fort probable qu’il en existe d’autres attestations ailleurs, en rifain, en Tunisie…maislessourcesetlestémoignagessontsouventimprécisetapproximatifs et ne peuvent pas être considérés comme fiables7. Une enquête précise et méthodique, prenant bien soin d’écarter les néo-usages contemporains, mériterait d’êtreréaliséeàcesujet. Mais Amaziɣ/tamaziɣt était totalement inconnu dans l’usage traditionnel de nombreuxgroupesberbérophonesimportants:Kabyles,Chaouis,Mozabites…Pour laKabylie,régionpourlaquelleondisposedecorpusconsidérablesetvariés(poésie, contes, recueils lexicographiques) recueillis depuis plus de 150ans, on n’en trouve aucuneattestation. Destraceshistoriquesanciennes,maispartielles Les sources arabes médiévales, depuis toutes premières (Ibn ‘Abd Al- Ḥakam, Al-Ya‘qûbî, El-Bekrî…) jusqu’à la grande synthèse de l’histoire des Berbèresd’IbnKhaldoûn,emploientunedénominationexclusive:al-Barbar(«Les Berbères»), lisân al-barbarî («langue berbère») / al-barbariyya («le berbère»); parfois, dans les sources almohades, lisân al-gharbî («langue occidentale») (Buresi/Ghouirgate2013,Ghouirgate2014). Mais dans ces même sources, un certain Maziɣ est donné comme ancêtre de tout oupartie des Berbères (Ibn Khaldoûn,t.I, p. 184): «leur aïeul [des Berbères] senommaitMazîgh».Onsaitquel’historiographiearabemédiévalefonctionnaitsur lemodèlegénéalogiquebiblique,del’origineetdelareprésentationdespeuplesdu monde. 7 On doit se méfier notamment des travaux français anciens qui utilisaient souvent des dénominationsartificielles,issuesdeconceptionshistoriquesouethniques,empruntéesaux sourcesmédiévalesarabes;onpensenotammentàRenéBassetquiqualifiaitde«zenatiya» toute une série de parlers berbères dont les locuteurs n’employaient absolument pas cette dénomination. 228 Traduit en termes modernes, cela signifie probablement, qu’une partie des Berbèresmédiévauxsedénommaient(A)maziɣetavaientunecertaineconsciencede leur unité ethnique et linguistique. Mais on formule cette interprétation avec une grande prudence car, en la matière, on ne doit jamais oublier que tous ces témoignagesancienssontceuxdelettrésquiseréféraientàunehistoriographieetà unsystèmedereprésentationssavantessédimentéesquipeuventavoirétééloignées desusagesetpratiquessocialesréelles–voiresansaucunlienaveceux. Lessourcesantiquesn’ignorentpasl’ethnonyme:lethème Mazik-,réalisés sous de nombreuses variantes (Mazices, Mazaces, Mazax, Madices…) est un nom detribu(gens)largementrépandudansl’Antiquité.Précisonsquelacorrespondance phonétique latin /k/ – berbère /ɣ/ est bien établie et peut être considérée comme régulière8. On trouvera une étude précise de la répartition de cet ethnonyme chez Desanges (1962) et un examen approfondi chez Moderan(2010). Cette/ces tribu(s) Mazik-sontlocaliséessurtoutenMaurétaniecésarienneettingitane(Algériecentrale et occidentale, Nord du Maroc). À époque tardive, la forme Mazices apparaît dans les usages littéraires latins sur le même plan que les Mauri, Gaetuli, Afri… (Desanges, 1962, p. 113) et peut même, comme ces derniers, désigner l’ensemble des populations indigènes non romanisées de l’Afrique du Nord. Notons aussi que Mazik/Mazic est connu dans l’Antiquité comme anthroponyme, notamment dans l’épigraphielatine. Les données antiques semblent donc indiquer que Mazik- était un nom de tribu, assez largement répandu, dont l’usage a eu tendance à s’élargir au point de s’appliqueràdegrandsensemblesdepopulations9. 8 Elle est illustrée par plusieurs correspondances claires, notamment: lat. causa / ber. (ta)ɣawsa, «chose»… Au plan phonétique, il est en fait assez probable que le /k/ latin, devant voyelle ouverte /a/, a d’abord été retraité en [q] (on sait que [ɣ - q] sont les allophones d’un même phonème en berbère) avant d’aboutir à [ɣ] (causa>(ta)qawsa>taɣawsa). 9 Ce type d’élargissement sémantique est banal et très largement attesté: un groupe déterminé,dufaitdesonimportance(politique,démographique…),donnesonnomàtoutun ensemble d’autrespopulations apparentées;cf. le casde l’ethnonyme «Maures»à travers lessiècles,ouceluides«Allemands»quidoiventleurnomfrançaisaugroupegermanique desAlamans… 229 Au terme de cet examen synchronique et diachronique des usages de l’ethnonyme Amaziɣ, on peut conclure que Amaziɣ et tamaziɣt étaient des «prétendants» très légitimes pour la désignation, en berbère, des Berbères et de leur langue: ces termes avaient un ancrage géographique significatif et une historicité réelle; il suffisait d’opérer une extension sémantique pour obtenir des néologismesbienformésauplandelamorphologieetaisémentdiffusables. 3.LadiffusiondesnéologismesAmaziɣ/tamaziɣt et«Amazigh/tamazight» Enlangueberbère Et c’est bien ce qui s’est produit, en Kabylie d’abord, puis dans les autres groupesberbères:leterme,àtraversl’actiondelamilitanceberbèreetdesesécrits berbères,àtraverslaproductiondeschanteurs,desécrivainsdelangueberbère,aété approprié pour désigner en berbère les Berbères et leur langue – sans pour autant bien sûr que les désignations traditionnelles des entités régionales disparaissent (taqbaylit, tašelḥit, tumẓabt…).Unebelleillustrationenestfournieparletitredela première grammaire berbère écrite en berbère par Mouloud Mammeri (1976): Tajerrumt n tmaziɣt – Tantala taqbaylit[Grammaireberbère–Dialectekabyle]. Cette diffusion s’opère très progressivement dans les milieux kabyles, au cours des années 1960-70), puis marocains et autres (1970-80). Elle manifeste une dynamique de construction d’une identité alternative à l’arabo-islamisme dominant/officiel,toutàfaithégémoniqueàl’époque. Il est important pour la suite de l’analyse de souligner que cette dynamique identitaireprésentait,aucoursdecettepériode1960-1980,deuxcaractéristiquestrès marquées: – Elle est (ou se veut) de dimension nord-africaine (= pan-berbérisme): en Kabylie,parexemple,oùlarevendicationlinguistiqueberbèreestlaplusprécoceet laplusexplicite,c’estbientamaziɣt(etnontaqbaylit)quiestrevendiquée;en1980, lorsdu«Printempsberbère»,premièreprotestationdemasseenfaveurdelalangue et de la culture berbères, la revendication principale est: tamaziɣt di lakul, «Le berbèreàl’école!». 230 –Elle est focalisée sur la questionde l’identité culturelle(= culturalisme) de l’AfriqueduNord:oncontestel’exclusivismedelaréférencearabo-islamiquedans ladéfinitiondel’identiténationalemaisilnes’agitpasderevendiquerlerespectdes droitsdeminoritésethnolinguistiquesparticulières. Cette double orientation représente d’ailleurs une constante remarquable qui traverse tout le XXe siècle: pour tous les acteurs berbères, la «question berbère» estune«questionculturelle»etnonunproblèmeouunprojet«politique»;même les «Berbéro-nationalistes» kabyles des années 1940 seront globalement sur cette ligne; ils ne mettent pas en avant un «projet politique berbère» et ne remettent absolument pas en cause le projet national algérien. Le positionnement des principauxacteursdel’époqueestexplicite;l’und’entreeux,MabroukBelhocine– mais plusieurs autres: Aït-Ahmed, Aït-Amrane…, se sont exprimés dans le même sens–,écriten1987:«leproblèmequis’estposéen1949etseposeraen1980est un problème culturel, celui de la reconnaissance de la culture berbère comme une descomposantesdelaculturenationale.Arabitéetberbérité(etnonberbérisme)sont lesdeuxpagesdelamêmefeuillealgérienne.»10 «Amazigh/tamazight-amazighe»:l’appropriationprogressive,enarabe et en français, par les élites intellectuelles berbères (marocaines), puis par le discoursofficieletlesÉtats. EnAlgérie,lespremièresattestationsduterme«Amazigh»,enlanguearabe et/ou en français, semblent remonter aux débats idéologiques au sein de l’appareil d’État et de sesinstitutions,consécutivement au «Printemps berbère»de 1980.La toutepremièreoccurrencerepéréedatededécembre1983,àl’occasiondu5econgrès du FLN et de ses résolutions sur la culture. Un peu plus tard, en 1985, le président de la république, Chadli Bendjedid, déclare dans une interview: «Je suis un Amazigh que l’Islam a arabisé….». Et en 1986, le texte de la Charte nationale amendée, qui réactualise les orientations idéologiques du FLN et de l’État, évoque abondamment«Nos(glorieux)ancêtres,lesAmazighs». 10Préfaceàlabrochurede1949,L’Algérielibrevivra,publiéedansSou’al,6,1987.Voirla synthèse,trèsexpliciteetbiendocumentée,deM.Benbrahim(2001)surlesujet.

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Amazigh/Imazighen » (pour l'individu et le peuple) et « tamazight » (pour la langue) ont tamazight » ou « l'amazighe » pour la langue. Un indice net
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