2 ALI-KHODJA Jamel Maître-Assistant à l'Institut des Langues Romanes de Constantine Université de Constantine. L'ITINÉRAIRE DE MALEKSADDAD1-TÉMOIGNAGE ET PROPOSITION Thèse de troisième cycle Directeur de thèse présenté par Raymond Jean Jamel ALIKHODJA ei_ /1,1981 Pour Nadim Haddad, fils de Malek. 4 Je tiens à remercier trés vivement nen ma7"Ltre, le Profèsseur Raymond Jean pour les préciulx conseils qu'il m'a prodigués tout le long de cette :1-echerche. AVANT PROPOS La seule pensée de cette thèse me fut longtemps insupportable. Mne peine viscérale stérilisait tous mes efforts. Et pourtant, l'heure était venue oû je ne pouvais plus me dérober. Malek,/ j'ai eu la chance d'être ton neveu et ton ami. C'était ensemble que nous avions choisi le sujet de la thèse. Nous étions sur notre terrasse ensoleillée que tu aimais bien. Je me rappelle qu'en cet été 1977, tu peignais nos volets d'un beau bleu. Ce même bleu que tu affectionnais te faisait penser à la médina, à ses rues sages, aux odeurs de bonbons et de nougat.... Malek, c'était en juillet 1978 qu'on devait se revoir à Cons- tantine. Je me promettais de te poser certaines questions et élucidais ton engagement, ta philosophie, ton angoisse, ton écriture prémonitoire. A cette époque, Malek, je t'avais revu plusieurs fois non pas à Constantine mais à Alger. Tu souffrais déjà d'un mal à la poitrine. Je ne savais pas que tu t'en irais si vite! Je ne savais pas aussi que la médecine t'avait condamné et que ton opération plus tard en Suisse était un leurre! Les chirurgiens t'avaient opéré oour te cacher la vérité. Un cancEr ne s'opère pas! Un cancer ne pardonne pas. O Malek qu'il m'est bien pénible de parler de toi! J'étais prés de toi, dans ton appartement, à Alger en septembre 1977. Tu avais leiregard fatigué, tes cicatrices te faisaient atrocement mal. Tu ne voulais même pas me regarder en face. Tu me reprochais sans auoun doute de t'avoir laissé seul dans une clinique étrangère. La famille du même sang, pour toi, ça comptait! Plus tard, tu ne répond-ais à aucune de mes questions. Je sentais que je te dérangeais dans ton appartement qui sentait la solitude et la mort. Nous nous ennuyions un peu puisque les mots étaient rouillés, foutus et les silences si expressifs, si déprimants. Même la baie d'Alger engluée de brunie que nous regardions sans intérêt alourdissait l'atmosphère. Le poète se leva, s'agrippa au dossier du fauteuil et articula péniblement: - Le ciel n'est jamais bleu ici! 3.e ne répondis pas. Je savais qu'une partie de lui-même se dégradait. J'en souffrais. Je savais aussi que son coeur était à Constantine et qu'il n'avait jamais aimé Alger. Une même complicité nous rapprochait, une même complicité nous séparait. .. Le poète leva sa main th65tralemert et de l'in•ie?P tendu me dit sèchement. - Tu m'emmerdes, fais des gosses! tn janvier 1978, Malek fut hospitalisé à l'Hopital Mustapha. Je passais de nombreuses nuits prés de lui. Le mal empirait de - 7 jour en jour. Tout le côté droit était paralysé et il avait des difficultés d'élocution. Il regardait souvent sa main droite inerte et son visage se mouillait de chaudes larmes. Il n'avait mour communiquer avec ses nombreux amis que le modique langage des yeux. C'est là, dans cette pièce maudite, à l'odeur d'éther cwejet'ai vraiment compris, Malek. Il articulait souvent des paroles inaudibles, incompréhensibles, inachevées. Nous le regardions avec stupeur, retenant notre souffle, le même que nous retenions devant notre instituteur de l'école communale. Chaque parole qu'il Prononçait était une souffrance, un cri, . le cri de l'écorché. Malek, je n'oublierai jamais ton regard qui recherchait la vie. Je n'oublierais jamais ta main recroquevillée, morte déjà en automne. Malek, je n'oublierai jamais ce cri sorti de tes entrailles: "ORASSI". Malek, nous te regardions apeurés; et tu nous présentais un visage si beau, si angélique comme celui de tes vingt ans, de tes vingt ans où tu nous écrivis dans les merveilleux sables du Tassili: "Je t'offrirai une gazelle". Que voulais-tu nous dire? Nous le comprimes bien plus tard. ORASSI signifiait le terrible constat du damné, du maudit: "je vais mourir ici". Malek, je savais que l'angoisse te torturait comme de sales maux de dents dans la nuit froide. Malek, j'étais prés de toi et j'écoutais ta poitrine usée qui ronflait anormalement. Malek, tu étais tout regard, que regard et tes yeux noirs désespérés recherchaient les miens, une sécurité, une présence surtout. Malek, je n'oublierai jamais tes yeux vitreux ce 2 juin 1978 et tes paupières qui ne voulaient pas se refermer même dans la mort. Malek, tu voulais nous regarder en face. Tes yeux voulaient dire quelque chose, tu voulais nous dire quelque chose, tu voulais me dire quelque chose . Tu me l'a jamais dit. Et maintenant, Malek, je vais entreprendre ma recherche seul. Je me promettaiS, une si fière joie de présenter ton oeuvre aussi fidèlement que tu l'aurais voulu de ton vivant. Aucun sanglot, je le sais, n'arrêtera ma volonté de respecter ton oeuvre et tes certitudes. Je me rappelle ton visage, tes mains potel6es ta voix si profonde et je sais qu'entre-nous la r même sève• féconde me permet de mieux te sentir, de mieux te comprendre. Lorsque, je noircis quelques réflexions sur mon cahier, j'ai soudainement peur, car au milieu de tes actions si éclatantes qui jalonna ta route, j'ai peur de te réssusciter, toi Malek Haddad, entier comme un chêne qu'on ne déracine pas; qu'on n'abat pas, qui ne meurt pas! Mais tu étais fragile, Malek! Le destin te choisit comme cible à cinquante ans, en pleine vie. Ai-je la force de t'arracher à la boue des temps et de te restituer dans ta chair, dans ton coeur, dans ton humanité? - 9 LL:k, je n'ai jamais connu une nature aussi riche que toi et jamais je ne connus de présence sur la terre aussi bienfe:. sante que la tienne. Je me sens effrayé, je l'avoue d'avoir àretracer ta vie et ton oeuvre. Je voudrais te dire Malek que tu étais un homme, non pas une statue, ni une institution. De là venaient ta grandeur, ta simplicité, ta leçon. Ai-je le droit de me servir de tes confidences, de tes confessions, de tes documents? Me retrouverai-je seul dans le partage de l'indiscrétion et de l'exigence du vrai? Je pense que rien n'est à cacher car tu fus un être si profond, si pur. Tu le pensais aussi. Mais les autres ont-ils fait resplendir ton humaine vérité? Non,je ne crois pas. Tu me disais qu'un jour, tu assistas à une série de conférences à l'université d'Alger. Tu t'étais assis au fond de la salle , trés seul, anonymement. Personne ne t'avais reconnu et tu écoutais attentivement le conférencier comme la plupart des étudiants(es). On parlait de toi, de tes oeuvres surtout. Tu me confiais plus tard, avec am--;-„me cette phrase: "Il ne m'a pas compris du tout - Personne ne m'a compris d'ailleurs". MaJrk, mon cher Malek, ensemble, nous aurions fait un tri de tes écrits. Mais maintenant... Lorsque, j'étais triste et découragé, quand j'étais prêt à renoncer à l'effort, à vivre égoïltement, je me disais: "Malek n'est pas mort. Je suis son - 10 - élève, il est une leçon". Alors, Malek, je t'en prie, aide-moi à me donner la force de te peindre un double à ton humaine mesure. Jamel ALI-KHODJA Exposé méthodologique L'éclosion au cours des années 1945-1950 d'une littérature maghrébine d'expression française fut un des faits les plus marquants de la colonisation française en Afrique du Nord. Elle fut l'oeuvre d'une élite indigène francisée: les évolués. D'abord folklorique et éthnocentrique, cette littérature devint militante à partir de 1954 et aux alentours des années 1956 plus précisément et "On devait s'apercevoir assez vite - nous dit Jean Déjeux.qu'il s'agissait d'une littérature de dévoilé- ment, de contestation, et bientôt d'une littérature nationale de combat. Les Algériens étaient d'ailleurs contents de la trouver et d'y recourir pour appuyer leur lutte et leur résis- tance".(1) Au fur et à mesure que les évènements politiques polarisaient les esprits, les écrivains maghrébins d'expression française se séparaient de l'Ecole Algérianiste et de l'Ecole d'Alger. Cette littérature nationale et militante a voulu montrer à la communauté européenne ses grandes déceptions; déceptions des couches paysannes les plus déshéritéee,des prolétaires, des intellectuels et des politiques sur leur propre statut en général, . un statut d'éternel colonisé et d'éternel damné - avE-t.; ce malheureux cortège d'injustices de toutes sortes, sans compter ces facheuses carences d'ordre sociale, politique, culturelle. (1) Jean:Déjeux: Littérature Maghrébine de LangueTran9aise, Canada, Editions Naeman, 2ème trimetre 1973, p. 12.
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