ALGÈBRE COMMUTATIVE ET INTRODUCTION À LA GÉOMÉTRIE ALGÉBRIQUE Antoine Chambert-Loir Antoine Chambert-Loir Laboratoire de mathématiques, Université Paris-Sud, Bât. 425, Faculté des sciences d’Orsay, F-91405 Orsay Cedex. E-mail : [email protected] Version du 9 septembre 2013 La version la plus à jour possible de ce texte est en principe accessible sur le Web à l’adresse http://www.math.u-psud.fr/~chambert/enseignement/ 2013-14/aceiga/aceiga.pdf ©1998–2013, Antoine Chambert-Loir TABLE DES MATIÈRES Au lecteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . v 1. Préliminaires d’algèbre commutative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.1. Anneaux, idéaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.2. Localisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1.3. Chaînes, anneaux noethériens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1.4. Anneaux artiniens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 1.5. Éléments entiers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 1.6. Produit tensoriel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1.7. Limites inductives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 2. Préliminaires de topologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 2.1. Faisceaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 2.2. Espaces annelés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 2.3. Espaces annelés modelés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 2.4. Composantes irréductibles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 3. Variétés algébriques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 3.1. Ensembles algébriques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 3.2. Le théorème des zéros de Hilbert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 3.3. Topologie de Zariski. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 3.4. Variétés algébriques affines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 3.5. Variétés algébriques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 3.6. Anneau local, corps des fonctions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 iv TABLEDESMATIÈRES 4. Exemples. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 4.1. Espaces projectifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 4.2. Produits. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 4.3. Grassmanniennes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 4.4. Quotients. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 5. Théorie locale des variétés algébriques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 5.1. Le lemme de normalisation de Noether. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 5.2. Dimension. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 5.3. Codimension. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 5.4. Systèmes de paramètres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 5.5. Espace tangent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Épilogue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Index. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 AU LECTEUR Avant que tu n’entames la lecture de ces pages, L’auteur un peu coupable de leur aridité Voudrait par ce sonnet te donner du courage Afin que par l’étude tu ne sois rebuté. L’algèbre commutative est certes un peu austère Mais en en dénouant les belles subtilités, Tu entendras souvent le nom d’Emmy Noether Dont les anneaux jouissent de grandes propriétés. À la géométrie, elle offre des méthodes Dont je ne puis, hélas, dans cette petite ode Louer comme il se doit la force inégalée. Et j’espère dans ce cours par trop accéléré Te guider sûrement parmi ces équations Qui par l’algèbre trouvent une démonstration. CHAPITRE 1 PRÉLIMINAIRES D’ALGÈBRE COMMUTATIVE 1.1. Anneaux, idéaux Nous supposons connues les notions de groupe, d’anneau, de corps, de module,ainsiquecellesd’homomorphismesdegroupes,d’anneaux,decorps, de modules, etc. Dans ce cours, un anneau est toujours commutatif et possède un élément unité, noté en général 1. On notera A ou A le groupe multiplicatif des ∗ × éléments inversibles de A. Si k est un anneau, une k-algèbre est un anneau Amuni d’un homomor- phisme d’anneaux f k A. Lorsque cet homomorphisme est injectif, ∶ → on considère souvent Acomme un sur-anneau de k (ou k comme un sous- anneau de A...). Si A, f k A et B, g k B sont deux k-algèbres, un ( ∶ → ) ( ∶ → ) homomorphisme de k-algèbres est un morphisme d’anneaux φ A B tel ∶ → que g φ f. = ○ Si X est une famille d’indéterminées, on définit une k-algèbre k X ( i)i I [ i] ∈ despolynômesenlesX .Cettealgèbrevérifielapropriétéuniversellesuivante: i pour toute k-algèbre A, l’application canonique Hom k X ,A Hom I,A , f i f X k-Alg( [ i] ) → Ens( ) ↦ ( ↦ ( i)) est une bijection. On ne détaille pas la notion de degré en une des indéterminées, voire de degré tout court si I est un singleton. On a une division euclidienne dans les anneaux de polynômes : soient f et g A X , le coefficient dominant ∈ [ ] de g étant inversible dans A. Il existe alors q et r A X uniques tels que ∈ [ ] f gq r et degr degg. = + < 2 CHAPITRE1.PRÉLIMINAIRESD’ALGÈBRECOMMUTATIVE Un idéal d’un anneau A est un sous-A-module de A. L’intersection de deux idéaux de A est un idéal de A. L’image réciproque d’un idéal par un homomorphisme d’anneaux est un idéal; en particulier, le noyau d’un homomorphisme d’anneaux est un idéal. L’idéal engendré par une partie de Aest par définition le plus petit idéal de Acontenant cette partie. Si I et J sont deux idéaux de A, les idéaux I J et I J (noté aussi IJ) sont les idéaux + ⋅ engendrés par les sommes a b (resp. les produits ab) pour a I et b J. + ∈ ∈ Si I est un idéal de A, la relation x y si et seulement si x y I est une ∼ − ∈ relation d’équivalence. L’ensemble quotient A , noté A I, possède alors /∼ / une unique structure d’anneau telle que la surjection canonique π A ∶ → A I soit un homomorphisme d’anneaux. L’anneau quotient A I vérifie la / / propriété universelle suivante : pour tout anneau B et tout homomorphisme f A Btelque f I 0 ,ilexisteununiquehomomorphismed’anneaux ∶ → ( ) = ( ) φ A I B tel que f φ π. ∶ / → = ○ L’application qui à un idéal J de A I associe π 1 J Aest une bijection / − ( ) ⊂ entre l’ensemble des idéaux de A I et les idéaux de Aqui contiennent I. / Onditqu’unélément a Aestundiviseurdezéros’ilexisteb A,b 0tel ∈ ∈ ≠ que ab 0.Onditque Aestintègres’ilestnonnulets’iln’admetpasd’autre = diviseur de zéro que 0. On dit qu’un idéal I de A est premier si l’anneau quotient A I est intègre. Cela revient à la proposition suivante : I Aet si / ≠ f g I, alors f I ou g I. On dit qu’un idéal I est maximal si A I est un ∈ ∈ ∈ / corps; cela équivaut à dire que I est un élément maximal pour l’inclusion parmi les idéaux de Adistincts de A. On déduit du lemme de Zorn que tout idéal est contenu dans un idéal maximal; en particulier, il existe des idéaux maximaux, et a fortiori des idéaux premiers. Un anneau qui ne contient qu’un seul idéal maximal est dit local. On démontre qu’un anneau A est local si et seulement si l’ensemble de ses éléments non inversibles est un idéal (exercice!). Lemme (1.1.1) (Lemme d’évitement). — Soient I, J et p des idéaux de A. Si p est premier et si IJ p, alors I p ou J p. ⊂ ⊂ ⊂ CHAPITRE1.PRÉLIMINAIRESD’ALGÈBRECOMMUTATIVE 3 Démonstration. — Si I p, il existe x I tel que x p. De même, si J p, ⊂/ ∈ ∈/ ⊂/ soit y I n’appartenant pas à p. Alors, xy IJ mais, p étant premier, xy ∈ ∈ n’appartient pas à p. Autrement dit, IJ p. ⊂/ Lemme (1.1.2) (Un autre lemme d’évitement). — Soient p ,...,p et I des 1 n idéaux de Atels que I p . Si Acontient un corps infini, ou si au plus deux ⊂ ⋃i i des p ne sont pas premiers, il existe i tel que I p . i ⊂ i Preuve (cf. Eisenbud (1995), p. 91). — Aucunespacevectorielsuruncorps infini n’est réunion finie de sous-espaces vectoriels stricts. Si Acontient un corps infini k, ce fait appliqué aux k-espaces vectoriels p I implique que i ∩ l’un des p I I. i ∩ = L’autre cas se montre par récurrence sur n, le résultat étant clair pour n 1. Supposons que I n’est contenu dans aucun des p . Par récurrence, = i pour tout i, I p , si bien qu’il existe x I tel que x p pour i j. En ⊂/ ⋃j i j i ∈ i ∈/ j ≠ ≠ particulier, x p . i ∈ i Si n 2, x x appartient à I, mais il est facile de voir qu’il n’appartient = 1 + 2 ni à p ni à p , d’où une contradiction. Si n 2, on peut supposer que p 1 2 > 1 est premier. Alors, a x x ...x appartient à I. Cependant, pour i 1, = 1 + 2 n ≠ x ...x p donc a p . De même, comme p est premier et que pour 2 n ∈ i ∈/ i 1 i 2, x p , leur produit x ...x p . Par suite, a p . On a encore une ⩾ i ∈/ 1 2 n ∈/ 1 ∈/ 1 contradiction. On note SpecA le spectre premier, ou spectre de A : c’est l’ensemble des idéaux premiers de A. Soit f A B est un homomorphisme d’anneaux. ∶ → Pour tout idéal premier q de B, f−1(q) est un idéal premier de A, d’où une application SpecB SpecA. Le spectre maximal de A, noté SpmAest → l’ensemble des idéaux maximaux de A. On prendra garde qu’un homomor- phisme d’anneaux f A B n’induit pas d’application SpmB SpmA ∶ → → car l’image réciproque d’un idéal maximal n’est pas forcément un idéal maximal. (Exercice : trouver un contre-exemple.) 4 CHAPITRE1.PRÉLIMINAIRESD’ALGÈBRECOMMUTATIVE 1.2. Localisation On dit qu’un élément a A est nilpotent s’il existe n 1 tel que an 0. ∈ ⩾ = L’ensemble des éléments nilpotents de Aest un idéal de Aappelé nilradical. Si cet idéal est égal à 0 , on dit que Aest réduit. Plus généralement, si I est ( ) √ un idéal de A, on appelle racine de I l’ensemble noté I des éléments a A ∈ tels qu’il existe n 1 de sorte que an I. C’est un idéal de I qui contient I. ⩾ ∈ Un idéal égal à sa racine est dit radiciel. Une partie multiplicative de A est une partie S A contenant 1 et telle ⊂ que si a, b S, alors ab S. L’anneau de fractions S 1A est le quotient de ∈ ∈ − l’ensemble A S parlarelationd’équivalence a,s a ,s sietseulement × ( ) ∼ ( ′ ′) s’il existe t S tel que t a s as 0. Notant a s la classe du couple a,s , ∈ ( ′ − ′) = / ( ) S 1Aest muni des lois − a s a s as a s ss , a s a s aa ss ′ ′ ′ ′ ′ ′ ′ ′ ′ ( / )+( / ) = ( + )/ ( / )⋅( / ) = / quienfontunanneau.L’application i A S 1Adonnéepar a a 1estun ∶ → − ↦ / homomorphismed’anneaux.Ilvérifielapropriétéuniversellesuivante:pour tout homomorphisme d’anneaux f A B tel que φ S B , il existe un ∶ → ( ) ⊂ ∗ uniquehomomorphismed’anneaux g S 1A B telque f g i.L’anneau ∶ − → = ○ S 1Aestnulsietseulementsi0 S.L’anneauS 1Aestappeléanneaulocalisé − ∈ − de Aen la partie multiplicative S. Donnons des exemples de parties multiplicatives : – si f An’est pas nilpotent, la partie S 1, f, f2,... est multiplicative ∈ = { } et ne contient pas 0; on note A l’anneau S 1A. f − – si p est un idéal premier de A, S A p est une partie multiplicative; = ∖ on note A S 1A; p = − – si I est un idéal de A, S 1 I a A; a 1 I est une partie = + = { ∈ − ∈ } multiplicative. – Si Aestintègre, S A 0 estunepartiemultiplicative.L’anneau S 1A = ∖{ } − est alors un corps, appelé corps des fractions de A. – L’imageréciproqued’unepartiemultiplicativeparunhomomorphisme d’anneaux est une partie multiplicative. Si I estunidéalde A,onnote S 1I l’idéal i I S 1A engendréparl’image − ( )( − ) de I dans S 1A. C’est un idéal de S 1A, égal à Asi et seulement si S I . − − ∩ ≠ ∅