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Alfred Jarry et la pensée des contraires PDF

690 Pages·2010·54.48 MB·French
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UNIVERSITÉ DU MAINE U.F.R. LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAINES Nº attribué par la bibliothèque _/__/__/__/__/__/__/__ THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR
DE
L’UNIVERSITÉ
DU
MAINE
 Discipline : Littérature Française présentée et soutenue publiquement par Diana BEAUME le mardi 15 juin 2010 Alfred Jarry et la pensée des contraires Directeur de Thèse : Monsieur Le Professeur Patrick BESNIER JURY M. le Professeur Émérite Henri Béhar, Université de Paris 3, Sorbonne Nouvelle M. le Professeur Yves Hersant, Directeur d’études, École des Hautes Études en Sciences Sociales M. le Professeur Franck Laurent, Université du Maine M. le Professeur Émérite Patrick Besnier, Université du Maine On ne peut étudier que ce qu’on a d’abord rêvé. Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu. Introduction Dans un beau chapitre de son Pantagruel, François Rabelais raconte comment son personnage a fait la rencontre de Panurge, « lequel il aima toute sa vie ». Le futur compagnon a une apparence paradoxale, qui attire tout de suite l’attention du « philosophe » Pantagruel : car il est beau et élégant « en tous linéaments », mais « tant mal en ordre » qu’il semble « échappé es chiens ». Pantagruel a immédiatement l’intuition de la « riche nature » de l’inconnu et tente de la vérifier en lui posant des questions. Il obtient une confirmation aussi paradoxale que la première impression, à travers une cascade de réponses polyglotes dont au début il « n’entend note », mais où à la fin il reconnaît les mots de son « langage de Utopie ».1 C’est une reconnaissance du même à travers le différent qui montre la façon dont l’esprit de Rabelais entend s’attacher aux sujets captivants. Mais c’est aussi une scène archétypale, qui illustre l’étrangeté de la rencontre entre l’auteur et « ce qu’il aimera » ; elle renvoie également à la l’ “énigme“ de la relation entre le lecteur et l’auteur, basée sur le même type de hasard heureux. C’est précisément à une telle rencontre que nous devons l’approche quasi simultanée de la coïncidence des contraires et de la littérature d’Alfred Jarry. L’étude qui suit en est d’abord une longue explication, qui tente de l’éclaircir non pas pour l’épuiser, mais pour déployer quelques- uns des mystères qui font sa plénitude. Elle est donc dépourvue d’intentions exhaustives et n’envisage pas une explication exclusive de l’œuvre de Jarry. Elle repose sur la conviction préalable qu’une idée qui 1 François, Rabelais, Les Cinq Livres, éd. critique de Jean Céard, Gérard Defaux et Michel Simonin, Librairie Générale Française, 1994, coll. La Pochothèque, Paris, p. 351. I traverse les âges est suffisamment importante pour qu’on tente de comprendre sa survivance et surtout pour qu’on ne la laisse pas tomber dans l’oubli quand elle parvient à influencer tous les aspects essentiels d’une œuvre littéraire. Sa forme, qui est celle d’une étude partiellement thématique, ne sacrifie pas aux exigences des diférentes thèmes abordés le but pricipale de la recherche. Il consiste dans la cohérence de la pensée profonde qui traverse l’œuvre de Jarry — un“ordre“ de type particulier, subordonné à la richesse conceptuelle et symbolique de la coincidentia oppositorum. C’est un travail qui peut être envisagé simultanément comme un recueil d’observations et comme une démonstration sans syllogisme d’un aspect provocateur de l’œuvre de Jarry : la parfaite et “incompréhensible“ homogénéité de son hétérogénéité, secrètement nourrie par la notion d’identité des contraires. La continuité de cette idée emprunte aux textes de Jarry l’apparence d’une “littérature à thèse“, bien qu’il s’agisse précisément du contraire d’une telle littérature — puisque la nature profonde de cette même idée empêche tout dogmatisme. Ainsi l’investigation que nous développerons ne repose pas sur une approche de type chronologique. La “méthode“, qui sera établie dans la première partie du travail, ne méprise pas la tradition biographique propre aux recherches littéraires françaises, mais elle s’apparente plus aux perspectives comparatistes et aux études philosophiques. Elle est ainsi plus problématique et plus évidemment menacée par les anachronismes. Ses autres défauts découlent certainement des a priori de l’auteur : les perspectives taxinomiques sont bannies et l’extrême égard pour la terminologie, si spécifique de l’époque contemporaine, fait volontairement défaut, d’où le risque d’une impression d’anarchie, que nous préférons au danger beaucoup plus redoutable des formes sans fond. Alfred Jarry est un écrivain déconcertant. Né en 1873 et mort en 1907, il vit une fin de siècle mouvementée dont les signes sont visibles dans tous les domaines de l’esprit. Bien que tout l’intéresse, il choisit la littérature. Et de toutes les variantes proposées par celle-ci, il se laisse attirer par la direction qui lui semble la plus révolutionnaire, celle du Symbolisme. Car au moment où il fait son apparition sur la scène de la littérature, les écrivains symbolistes véhiculent effectivement un certain nombre d’idées subversives, dont certaines sont déjà devenues des lieux communs. Mais Jarry s’attache davantage aux plus singulières. L’identité des contraires, qui deviendra son phare et qu’il exploitera dans des buts esthétiques, fait partie de cette dernière catégorie. II Les Symbolistes s’en servent pour argumenter des opinions paradoxales, liées soit à leur désir de promouvoir par tous les moyens l’originalité poétique, soit à la tentative de bouleverser les préjugés de leurs contemporains — comme Remy de Gourmont qui, en plaidant pour l’ « idéalisme », fait simultanément l’éloge de l’anarchie.1 Leurs contextualisations entraînent ainsi l’idée d’un “monde à l’envers“, qui est celui de la poésie. Mais ce monde se trouve en correspondance intime avec l’essence “véritable“ des choses et reflète une invisible harmonie universelle. Le lien entre les origines des contraires identiques et leur emploi “subversif“ n’est donc pas absurde, bien que les symbolistes qui en sont véritablement conscients ne soient pas nombreux. Car, comme nous le verrons, la coïncidence des opposés n’est pas, au départ, une idée conçue pour subvertir la vision cosmique du monde. Les philosophes antiques, qui sont les premiers à imaginer ses prémisses, croient avec une grande conviction à l’ordre universel. Mais, pour que l’ensemble de la création puisse être parfaitement figuré comme un système harmonieux, certains sentent le besoin d’une solution spéculative pour réconcilier les contrastes et les contradictions trop éclatantes et ineffaçables des vies humaines. La seule épine de cette idée consiste dans son incompatibilité avec la logique, et c’est pourquoi Aristote la bannira de la scène du savoir. Elle sera ressuscitée par des penseurs renaissants, qui s’opposeront à Aristote de façon plus ou moins formelle. Les écrivains symbolistes se soucient peu d’Aristote, mais ont leur “théorie“, qu’il faudrait pouvoir examiner de près pour saisir la façon radicale dont Jarry la fait fusionner avec le principe des contraires identiques. Or, toute tentative d’approcher convenablement la théorie symboliste se heurte inévitablement au peu de cohérence globale des traits fondamentaux du Symbolisme, que les Symbolistes eux mêmes ont du mal à systématiser. L’exemple le plus éclatant est celui de Paul Valéry, qui a eu l’occasion de connaître de près et même de participer, en quelque sorte, au Symbolisme (il est vrai, finissant). Valéry ira jusqu’à suggérer, en 1938, dans un texte intitulé Existence du Symbolisme, une morale semblable à celle de la fable enfantine de Robert Desnos : « ça n’existe pas ». Son scepticisme est provoqué par une constatation développée amplement : 1 « Un individu est un monde ; cent individus font cent mondes, et les uns aussi légitimes que les autres : l’idéaliste ne saurait donc admettre qu’un seul type de gouvernement, l’an-archie ; mais s’il pousse un peu plus avant l’analyse de sa théorie il admettra encore, avec la même logique (et avec plus de complaisance) la domination de tous par quelques-uns, ce qui, d’après l’identité des contraires est spéculativement homologue et pratiquement équivalent. » (Remy de Gourmont, L’Idéalisme, Mercure de France, Paris, 1893, p. 14.) Nous soulignons. III entre ceux qui ont prêté leur concours au mouvement symboliste il n’y a jamais eu le moindre consensus théorique, tout l’accord intellectuel étant réduit à la « résolution commune de renoncement au suffrage du grand nombre »1, c’est-à-dire le mépris des goûts du grand public. Valéry choisit subjectivement les arguments qui conviennent à sa thèse, mais pour l’essentiel il ne se trompe pas : le mouvement symboliste se caractérise par un certain flou théorique qui résiste à toute tentative de globalisation. Remy de Gourmont avait déjà bien expliqué que cette inconstance n’était pas due à l’insouciance ou aux hésitations théoriques, mais à un principe adopté sans réserve par tous les participants : le Symbolisme est un « Art de liberté ». Il voulait dire par cela que tout écrivain symboliste était libre d’apporter à l’édifice collectif sa pierre originale et personnelle, en conservant sa propre esthétique. Mais, en même temps, il soulignait qu’au fond il s’agissait bel et bien d’une “théorie“, placée sous la coupole de l’Idéalisme : Si l’on veut savoir en quoi le Symbolisme est une théorie de liberté, comment ce mot qui semble strict et précis, implique, au contraire, une absolue licence d’idées et de formes, j’invoquerai de précédentes définitions de l’Idéalisme, dont le Symbolisme n’est après tout qu’un succédané. 2 Asseoir l’amplitude du Symbolisme dans la sphère notionnelle encore plus vaste de l’Idéalisme est un geste révélateur en soi. Il dénote l’intentionnalité qui préside à la constitution du recueil de Gourmont dans son entier, car L’Idéalisme rassemble des articles publiés auparavant dans des périodiques, qui traitent de sujets variables mais dont le fond thématique commun les rattache au questionnement du Symbolisme. Le terme est ainsi doté d’un statut particulier, qui consiste dans l'étonnante association d’une extension sans limites et d’une compréhension presque vide. Gourmont est assez malicieux pour se réjouir déjà du futur embarras des professeurs de littérature, mais il est obligé, comme tous ses confrères, de concevoir une définition qui explique au moins les raisons du nom 1 Paul Valéry, Existence du Symbolisme in Œuvres, tome I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1992, p. 691 (c’est l’auteur qui souligne). L’article date de 1938, donc il est bien postérieur à l’effervescence symboliste. Valéry considère que ce recul est bénéfique, parce qu’il lui permet d’y voir plus clair. 2 Remy de Gourmont, L’Idéalisme, Mercure de France, Paris, 1893, p. 24. IV qu’ils ont tous adopté. Or, la notion minimale de « symbole » impliquée par le symbolisme, est plus proche du sens de « carrefour » que lui donnera bien plus tard Gilbert Durand1, que de son sens étymologique : L’Idéalisme signifie libre et personnel développement de l’individu intellectuel dans la série intellectuelle ; le Symbolisme pourra (et même devra) être considéré par nous comme le libre et personnel développement de l’individu esthétique dans la série esthétique, et les symboles qu’il imaginera ou qu’il expliquera seront imaginés ou expliqués selon la conception spéciale du monde morphologiquement possible à chaque cerveau symbolisateur. D’où un délicieux chaos, un charmant labyrinthe parmi lequel on voit les professeurs désorientés se mendier l’un à l’autre le bout, qu’ils n’auront jamais, du fil d’Ariane.2 Guy Michaud fera en 1947 une synthèse de ce « délicieux chaos », recensant un bonne partie des lieux communs véhiculés par la suite, pour leur tranquillité, par les « professeurs désorientés » : Visage du Symbolisme. Il est déjà fixé pour l’histoire : un air mi-précieux, mi-rêveur ; une atmosphère de légende, où dans des décors de forêts, de parcs et d’étangs, évoluent des princesses alanguies, entourées de colombes et de cygnes ; une âme « fin de siècle » qui se cherche, se sent malade, analyse son mal et trouve dans cette analyse même une jouissance perverse ; l’amour du rare, du raffiné, de l’artificiel ; le goût de l’arabesque et du fer forgé, des feuilles d’iris, des licornes et des améthystes ; la manie de ne pas s’exprimer comme tout le monde, d’écrire des vers obscurs et contournés, de parler par ellipses et par symboles. De Mallarmé à Henri de Régnier, de Verlaine à Samain et à Mæterlinck, on se transmet l’imagerie, les attitudes et les procédés comme s’il s’agissait d’une précieuse 1 « Confluence », « rencontre », « carrefour », sens « qui souligne le caractère fondamental de l’imaginaire humain, à savoir sa dualité constitutive ». (Gilbert Durand, Fondements et perspectives d’une philosophie de l’imaginaire in Religiologiques n°1, printemps 1990, p. 8.). 2 Idem. Nous soulignons. V découverte. Telle est l’image qu’on se fait généralement du Symbolisme, image de légende, déjà.1 L’auteur du Message poétique du Symbolisme souligne par la suite deux grands pièges impliqués par la réception d’un telle “légende“. Ils sont contradictoires : on peut, d’une part, ne voir du Symbolisme que son masque, réduit à un assemblage de clichés et le sentiment aigu de l’obscurité gratuite ; on est tenté, d’autre part, de se laisser fourvoyer par l’hétérogénéité d’un tel ensemble et de conclure hâtivement que le Symbolisme manque de toute unité. Ayant rigoureusement synthétisé ces deux pièges dans son introduction, le livre de Guy Michaud s’ingéniera, évidemment, à les contourner. Mais ils n’en resteront pas moins menaçants. Alfred Jarry fait son apparition dans le paysage du Symbolisme au moment où ce dernier vit ses dernières heures.2 Excepté Ubu roi, connu au-delà des cercles symbolistes moins par son texte que par le bruit que fit la première de sa représentation théâtrale — et qui restera presque indéfiniment le seul texte populaire de Jarry — toutes ses autres publications sont lues et connues par un cercle restreint. La raison première en est sa “formule“ littéraire, très peu avenante : abstraction, obscurité, style elliptique et paradoxal, et cela aussi bien lorsque le sujet est noble (l’amour, la mort, l’essence humaine) que lorsqu’il est ostentatoirement dérisoire (la bicyclette, l’ivrognerie, la stupidité ordinaire). Or, mis à part le goût du dérisoire, traduit habituellement par la pratique d’un comique de type particulier, ces aspects de sa poétique coïncident par ailleurs avec les traits notoires du Symbolisme. En tout cas, dans un paysage intellectuel obéissant à des principes comme ceux énoncés par Gourmont et confirmés, malgré les divergences, par toutes les conceptions contemporaines et ultérieures, son comportement auctorial n’a, en soi, rien de spectaculaire. En plus Jarry est radicalement idéaliste. Mais il adapte aux exigences généreuses de l’Idéalisme sa propre formule, qui est bouleversante même pour les canons flous du Symbolisme : car il y introduit l’identité des contraires non pas comme argument 1 Guy Michaud, Message poétique du Symbolisme, Librairie Nizet 195, p. 15-16. 2 Jarry publie son premier livre en 1894. Son activité littéraire se déploie pendant un peu plus d’une décennie. VI

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Alfred Jarry et la pensée des contraires. Directeur de Thèse : Monsieur Le Professeur Patrick BESNIER. JURY. M. le Professeur Émérite Henri Béhar,
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