numéro spécial / www.acatfrance.fr COURRIER de l’ACAT # 327 magazine chrétien des droits de l’homme 40 ANS au service de la s o ur 5 e 7 . dignité 41 9 51- 01 n s s e. i ur ort a t humaine e l d n o oliti b a ur l' o p s n e éti hr c s e d n o cti a 40 portraits pour nos consciences, pour nos prières, pour nos actions. 40 ans d’action se célèbrent avec tous ceux qui contribuent chaque jour à élargir le champ des possibles pour les droits de l’homme. Amis, partenaires, témoins, porte-voix, législateurs, militants, soutiens, défenseurs, acteurs du monde, artisans du quotidien, tous sont sources d’inspiration, de réflexion et de changement. Nous partageons leur indignation féconde qui, comme un souffle puissant, nous pousse à porter haut nos convictions, toutes nos convictions. Qu’ils soient tous ici vivement remerciés. Pour l’ACAT, Séverine Durand, rédactrice en chef Florence Hervey, responsable de ce numéro spécial Coralie Pouget, création et conception graphique ACAT-France. action des chrétiens pour l’abolition de la torture COURRIER de l’ACAT | Directeur de la publication : François Picart, président de l’ACAT-France ([email protected]). | Rédactrice en chef : Séverine Durand | Comité de rédaction : Teresa Cal, Anne-Marie Delaporte, Nordine Drici, Séverine Durand, María Cecilia Gómez, Jean-Étienne de Linares | Correction : Blandine Fadhuile-Crépy | Impression : Corlet | Dépôt légal à parution. CPPAP n° 1112 G 82814. | ACAT-France, 7 rue Georges-Lardennois, 75019 Paris. www.acatfrance.fr Il faut que les chrétiens réagissent à la torture, en quelque lieu que ce soit, et qu’ils réagissent ensemble. Édith du Tertre et Hélène Engel, fondatrices de l’ACAT. Soeurs d’espérance ô femmes courageuses Contre la mort vous avez fait un pacte Celui d’unir les vertus de l’amour Ô mes soeurs survivantes Vous jouez votre vie Pour que la vie triomphe Le jour est proche ô mes soeurs de grandeur Où nous rirons des mots guerre et misère Rien ne tiendra de ce qui fut douleur Chaque visage aura droit aux caresses. Paul Éluard . ( # 327 | 4 ) 40 ans au service de la dignité humaine sommaire 6. Pierre Toulat François Picart édito 36. Pierre-Yves 40. Marie Daunay 44. Agnès Afnaïm 48. Daniel 52. L’oecumé- 58. Michel Forst Ginet « Ce sont les petits « La torture, cette tache Deuzoumbé Passalet nisme fait « Avec la force de conviction, « Je suis milliardaire ruisseaux qui forment aveugle de l’humanité » « Je regrette que le Tchad on arrive à faire changer les de toutes ces rencontres ! » les grandes rivières » n’ait pas changé… » partie de l’ADN choses. » de l’ACAT ! 88. Charles Don 92. Pascale 96. Biram 100. Bernadette 104. Louis Joinet 108. Louis Heuveline Flores Taelman Dah Abeid Forhan « Je préfère me battre « Beaucoup de jeunes « J’ai pu ouvrir au monde « On ne part pas de son « L’ACAT et nous procédons « Cet homme est mon frère auprès des gens qui, sont prêts à s’engager pour une fenêtre sur le couloir pays pour le plaisir ! » de la même conscience de en humanité. » eux, changent la vie que les choses changent » de la mort au Texas » l’engagement » au quotidien » 134 . Geneviève 138. Foromo 142. Antoinette 146. Alain Werner 150. Anne Marie 154. Gloria Silva Jacques Frédéric Loua Richard « Rester indépendant Delaporte « Tant que l’on continuera « L’engagement d’une vie » « Nous sommes fiers d’avoir « Arriver à ce que tout et rester un contre-pouvoir » « Rester des veilleurs, à persécuter ceux qui rêvent contribué à lever le tabou le monde dise non » ne pas s’endormir ». d’un monde plus juste, sur la question de la torture je continuerai à lutter. » en Guinée. » 40 ans au service de la dignité humaine ( # 327 | 5 ) 8. Marc Zarrouati 14. Estela 18. Gilbert 22. Brito 26. Henri Burin 32. Pierre Courcelle L’ACAT en de Carlotto & Thérèse Gras Fernando des Roziers « Comment peut-on rester « Encore aujourd’hui, on « L’ACAT, c’est le coeur « Quelle est la différence « C’est par la semence indifférent ? » missions continue de se soutenir de l’évangile » entre les larmes d’une que l’on jette au nom et de se donner la main mère tamoule et celles de la justice que peu à peu comme des soeurs » d’une mère cinghalaise les choses changent » lorsqu’elles pleurent la disparition de l’un des leurs ? » 62. Luiza Toscane 66. Anne-Isabelle 70. Robert Badinter 74. Armel Niyongere 78. Cyril Canetti 82. Danielle Mérian « Je n’ai oublié personne. » Tollet « Quand j’étais jeune, « Il ne faut pas avoir peur « Derrière chacune de ces « Mon engagement pour « J’irai montrer ou dénoncer il fallait se justifier d’être lorsque l’on défend des portes, il y a quelqu’un. » les droits humains est ma ce qu’il se passe à travers abolitionniste. Maintenant, choses justes ». raison de vivre » le monde, en étant témoin. » ce sont les rétentionnistes qui doivent se justifier » 112. Marie- 116. Joe Sacco 118. Joëlle Cabane 122. Miguel Angel 126. Philippe Muller 130. Véronique Monique Robin « Les migrations « Petits pas par petits pas, Estrella « Notre combat est Gaymard « Le droit humain sont la grande question on arrivera peut-être « La musique est une force » un grand témoignage « Nous sommes des fondamental, c’est le droit de ce siècle » à quelque chose » d’espérance » passeurs » de vivre sur cette planète dignement ! » 158. Delphine 162. Luce & Daniel 166. Mandira 170. Jean-Étienne 174. Mutabar 178. Guy Aurenche Boesel Vérilhac Sharma de Linares Tadjibaeva « L’ACAT a changé ma vie » « Ce n’est pas parce qu’un « Est-ce que, parce qu’il « C’est la soif de justice « Vous m’impressionnez ! » « Je savais que ça allait homme a été puni qu’il faut n’y a pas de réponse, des victimes qui me être dangereux mais malgré le punir dans sa dignité. » la prière n’est pas arrivée pousse à continuer » le danger pour ma vie, quelque part ? » je voulais continuer parce que je ne pouvais pas supporter l’injustice » L’ACAT Action. Dès le départ, l’objectif est clair d’Édith du Tertre , et d’Hélène Engel : agir individuellement et en petits groupes l’utopie dans une action collective pour obtenir de réels changements, des changements concrets et durables des pratiques adminis- tratives et judiciaires et des évolutions dans l’ordre politique d’un qui favorise le phénomène tortionnaire. Pas simplement se la- menter, s’indigner, déplorer ou protester. Mais intervenir dans l’histoire, agir en faveur des personnes victimes des traitements appel inhumains cruels ou dégradants. Des appels urgents arrivaient de tout côté. En raison du témoignage d’une personne qui avait à vivre ! perçu un appel dans le récit des tortures au Vietnam par un pas- teur italien, Tullio Vinay, à son retour de mission en ce pays, les premiers militants de l’ACAT étaient appelés. Il fallait répondre. Ce terme de « l’appel » a été repris pour mobiliser les militants de l’ACAT. Il est spécifique à notre association. Aujourd’hui, les appels continuent à arriver. Si dans la masse des informations, il Pierre Toulat & est plus difficile de percevoir des appels précis, personnalisés, François Picart identifiés, des appels auxquels nous pouvons répondre de ma- nière adaptée, ces caractéristiques demeurent toutefois perti- nentes. Mais face à la complexité et au sentiment d’impuissance, Une action vers des bénéficiaires plus proches est à encoura- ger. C’est pourquoi le renforcement de notre vigilance en France pour appeler à un changement des conditions carcérales et une modernisation de la politique pénale est le bienvenu. Chrétiens. Dès le départ, l’Évangile est perçu par les militants de l’ACAT comme autre chose qu’un simple livre de méditation. Ils conçoivent leur association comme une réponse à l’appel de l’Esprit du Ressuscité qui annonçait la justice de Dieu par sa parole et par ses actes : il réveille, il relève, il remet debout. Trois verbes qui sont traduits du grec en français par le verbe ressusciter. Un rapport circonstancié adressé aux Églises par un congrès international d’Amnesty International sur la torture dans le monde fut l’une des mé- diations de cet appel. Il invitait les Églises à mobiliser leurs ressources spirituelles et institutionnelles pour prendre part à la lutte contre la torture. Depuis, les militants de l’ACAT ont la conviction mettre en acte l’Évangile face aux misères, face aux infirmités, face aux injustices, mais aussi face aux Églises endor- mies alors que dans le champ des droits de l’homme, les appels affluent de toutes parts. Qu’est-ce qu’une Église qui ne s’inté- resserait pas à l’homme, qui le laisserait dans le fossé ? ADN de l’association, la référence chrétienne alimente ainsi une base militante œcuménique qui porte le souci d’une Église vivante et attentive à l’humanité, témoin d’un salut qui ne se réduit © ACAT / Florence Hervey 40 ans au service de la dignité humaine ( # 327 | 7 ) édito pas au salut éternel, un salut qui est entendu comme santé, vigueur d’existence et comme joie de vivre. Elle fonctionne comme une utopie porteuse d’espoir et moteur de l’action. Elle favorise le développement de liens entre les baptisés de différentes Églises et confessions chrétiennes dans le de l’impunité et pour démonter les mécanismes désor- champ des droits de l’homme qui rassemble les chrétiens mais connus de formation des tortionnaires. Personne ne autour du Christ qui fonde la dignité humaine. En même nait bourreau ou le devient selon un processus naturel. Les temps elle nourrit sa réflexion sur la dignité humaine en bourreaux le deviennent en raison d’une volonté politique prenant en compte les pratiques qui dégradent la per- de responsables qui mettent sur pied des programmes qui ception commune véhiculée à partir de critères principa- dépersonnalisent et instrumentalisent l’être humain. Avoir lement esthétiques et commerciaux. Enracinée en Christ, documenté et identifié le processus par lequel la tor- notre conception s’appuie sur la personne désignée avec ture est rendue possible permet d’agir en amont. Sans ces mots « Ecce homo », un homme prisonnier torturé. Sa se contenter d’un travail de repérage et de collecte de résurrection fonde une conception chrétienne de la di- situation de torture, nous pouvons agir. gnité humaine qui résiste et transfigure toute impression produite par un regard rapide et superficiel sur un prison- Torture. nier dont l’apparence ne correspondrait pas aux canons La définition retenue par les fondatrices esthétiques et moraux du moment. En outre, la démarche s’inspire de l’article 5 de la Déclaration Universelle des œcuménique positionne les chrétiens ensemble devant Droits de l’Homme, qui associe la torture avec les « traite- le Christ, « le chemin, la vérité et la vie ». En effet, nous ments cruels, inhumains ou dégradants », et les distingue sommes les héritiers d’une Église dont des membres ont d’autres traitements infligés aux prisonniers de guerre ou torturé au nom d’une certaine conception de la vérité. prisonniers politiques. Après l’extension du mandat à la Agir ensemble pour abolir la torture alors que nos Églises peine capitale et aux exécutions extrajudiciaires, puis à la sont séparées, nous établit dans un rapport à la vérité du défense du droit d’asile, l’heure est venue d’approfondir Christ pour l’homme qui est à l’inverse de la posture du cette définition, d’en décliner tous les aspects à la lumière tortionnaire. Alors qu’il s’approprie la vérité et cherche à de l’évolution du contexte international. Aujourd’hui, l’ACAT la façonner selon ses intérêts, l’action œcuménique nous met l’accent sur la torture ordinaire pratiquée par les forces engage dans un rapport dialogal à la vérité qui la préserve de l’ordre et interroge la politique pénale française res- de toute mainmise humaine, fût-elle religieuse. À ce titre, la ponsable de la surpopulation carcérale et des situations démarche œcuménique demeure tout à fait précieuse pour cruelles inhumaines ou dégradantes qu’elle provoque dans agir en faveur de l’abolition de la torture. les maisons d’arrêt. Il y a 40 ans, Édith du Tertre et Hélène Engel ont créé Abolition. Abolir la torture, l’éradiquer des pra- les moyens grâce auxquels l’espérance du Royaume tiques humaines dans le monde entier. L’utopie d’un incarné en la personne de Jésus-Christ, a pu s’inscrire monde sans torture au nom de Jésus-Christ. En 198N, Guy dans l’histoire humaine. Elles ont contribué à changer la Aurenche avait proposé l’objectif d’un monde sans torture vie de victimes de la torture, celle des prisonniers, celle en 2000. Cette utopie demeure porteuse d’espérance et des militants, mais aussi celle des bourreaux, ou encore moteur de notre action. Elle ouvre la voie à un autre ave- celle des institutions internationales. S’il reste beaucoup nir pour l’homme, un avenir où la fraternité l’emporte sur à faire, c’est dire combien l’utopie d’un monde sans tor- l’instrumentalisation de l’homme par l’homme, un avenir où ture a déjà porté des fruits. Puisse son dynamisme déjà la bonté infinie dont tout être humain est capable selon le fécond continue de dynamiser l’ACAT. projet de Dieu (Gn 1), y compris les tortionnaires, excède sur le harcèlement envisagé sous toutes ses formes. Un monde Pierre Toulat, prêtre du diocèse de Poitiers, sans torture fruit des médiations juridiques et politiques vice-président catholique de l’ACAT en 1974 à travers lesquelles nous agissons pour faire cesser la fin François Picart, prêtre de l’Oratoire, président de l’ACAT L’ACAT en mission Marc Zarrouati président d’honneur de l’ACAT Dire 40 ans d’action et de vie, c’est avant tout donner la parole aux premiers témoins et acteurs de l’ACAT que sont ses présidents successifs. Ensemble, pour cette occasion particulière, ils ont évoqué cette association mouvante et vivante qu’ils ont accompagnée, transformée, portée. Au cœur de leur engagement, ce souci permanent que l’ACAT soit toujours là où elle se doit d’être, en missions, au service du respect de la dignité humaine. 40 ans au service de la dignité humaine ( # 327 | 9 ) Les années passent, l’ACAT s’étoffe ; les militants décou- vrent la force que constitue cette coalition de courage, Au commencement de prière et de plumes. On se documente sur la torture, de l’ACAT , il y eut un cri ; la certitude on discute de ses causes, on étudie ses effets. On apprend à la connaître : pour ne plus se laisser paralyser par elle, qu’il n’était plus possible de se taire, qu’il fallait pour la combattre pied à pied. nommer l’innommable, dénoncer la torture comme une lèpre qui tente de corrompre l’humanité, corps et âme. L’abolition des exécutions capitales : une étape décisive dans la prise de conscience du caractère Au commencement de l’ACAT, il y eut l’intuition prophétique de l’action de l’ACAT que ce cri était celui du supplicié, du torturé du Golgotha, l’intuition de deux vieilles dames Dans une ambiance de guerre froide, les membres de rassemblant autour d’elles des chrétiens de l’ACAT dénoncent les totalitarismes de tout bord, sou- tiennent les dissidents persécutés et emprisonnés. Ré- toutes confessions. Présent dès l’origine au tive à toute forme d’endoctrinement idéologique, l’ACAT cœur de notre action, l’œcuménisme n’est pas résiste à la tentation de choisir son camp. Elle choisi la raison d’être de l’ACAT, il en est la charpente, d’être aux côtés du plus faible, celui dont on ne parle pas, celui que tout le monde a oublié. Qu’il soit torturé l’ossature, le sang qui coule dans ses veines. par des rouges ou des bruns importe peu. La violence Car pour les militants de la première heure, qu’un État peut déchaîner pour réduire toute forme de comme pour ceux de la dernière heure, le contestation est un abîme sans fond, une injonction mor- tifère qui mobilise toute l’énergie noire d’un système dé- partage fraternel et la communion de prière est voyé pour tordre l’âme du déviant, pour le ramener à une une nécessité vitale, pour faire face à ce choc, à norme inflexible et inhumaine. cette commotion profonde qu’est la torture : une Dans ce contexte, le droit que s’arrogent les États d’exécu- ignominie absolue qui sidère la pensée, terrifie ter certains criminels est progressivement perçu comme l’imagination, anesthésie toute volonté propre. exorbitant. Aucune mise à mort n’est légitime, même celle du pire meurtrier, même celle du plus terrible bourreau. Caïn lui-même n’a-t-il pas été protégé par Dieu de la jus- Au milieu des années 70, dans un monde qui ne connaît tice des hommes ? « Je mets un signe sur ton front, pour encore ni Internet ni les chaînes télévisées d’information que personne ne te tue ». (Gn 4) en continu, agir contre la torture, c’est d’abord parler, dénoncer ce qui se passe au loin, au-delà des mon- L’ACAT ne doit-elle pas dénoncer les exécutions capitales tagnes et des mers, dans des cachots oubliés. Agir, c’est au même titre que la torture ? La question fait débat au répéter inlassablement que des régimes autoritaires ou sein de l’association. Les discussions se prolongent ; les impérialistes torturent en toute impunité. Les membres avis sont partagés. Le sujet est d’importance : il ne s’agit de l’ACAT prennent la parole à toutes les tribunes, du pas seulement de savoir si les exécutions capitales sont haut des chaires, sur les places et les marchés pour fédé- un prolongement de la torture ou pas, et donc si la lutte rer l’indignation et la matérialiser en lettres, pétitions et contre les exécutions capitales constitue un approfon- signatures patiemment collectées. dissement de la mission initiale que s’est donnée l’ACAT, ( # 327 | 10 ) 40 ans au service de la dignité humaine ou un ajout à cette mission, il s’agit surtout pour l’ACAT aux autres avait conduit les membres de l’ACAT à être de savoir quel positionnement elle souhaite adopter vis- soupçonnés par les uns d’accointances dangereuses à-vis des communautés chrétiennes. En effet, le véritable avec le parti communiste et, par les autres, d’anticommu- enjeu ici n’est pas tant celui de la définition de la torture nisme primaire. Mais, dans l’ensemble, si certains étaient que celui de la définition de l’ACAT et de la nature pro- gênés par les informations et les analyses produites par phétique de son action, de ce rôle de veilleur et d’éveil- l’ACAT, personne au sein de la communauté chrétienne leur que ses membres essaient d’incarner et qui revien- ne contestait réellement le principe même de l’action de dra comme un fil rouge dans toute l’histoire de l’ACAT. En l’ACAT : la lutte pour l’abolition de la torture. effet, la lutte pour l’abolition de la torture fait consensus Or, l’introduction des exécutions capitales dans le man- chez les chrétiens, mais pas celle pour l’abolition des dat crée une situation nouvelle : il ne s’agit plus seule- exécutions capitales. Une telle extension de nos missions ment d’informer et de convaincre que l’information est provoquerait, à n’en pas douter, des tensions au sein de crédible pour obtenir l’assentiment de l’interlocuteur, il l’association, mais aussi au sein des communautés chré- faut également convaincre ce dernier que ce combat est tiennes interpellées par notre action. légitime. Il était dès lors impératif que les membres de Que l’ACAT décide de qualifier les exécutions capitales l’ACAT en soient eux-mêmes intimement convaincus, ou de torture ne changerait rien ou presque à cet état de qu’ils aient à tout le moins la certitude d’avoir été pleine- fait, quand bien même cette requalification serait fon- ment associés à cette évolution pour la porter avec toute dée. Les mentalités évoluent beaucoup moins vite que la force de conviction requise. les conventions lexicales. Aussi s’agissait-il pour l’ACAT d’assumer la nature spécifique de cette nouvelle mission La vigilance en France : et de la mentionner en tant que telle dans son mandat si un approfondissement du caractère elle décidait finalement de porter ce combat. Les débats systémique de la torture ont donc continué. L’association a mûri collectivement sur le sujet, elle a fait corps et a finalement décidé, par un vote en assemblée générale, d’étendre le champ de Dans ces mêmes années qui suivent la publication de l’action de l’ACAT à la lutte contre les exécutions capi- Surveiller et punir1, on découvre que la torture fait sys- tales et de l’inscrire en toutes lettres dans les statuts aux tème, qu’elle détruit tous ceux qu’elle touche, les bour- côtés de la torture. reaux comme les victimes. On commence à comprendre comment les institutions produisent des effets de pou- Les supporters les plus anciens de cette extension ont voir qui peuvent engendrer des traitements cruels, inhu- beau jeu aujourd’hui de rappeler que ces hésitations mains et dégradants. Il s’agit alors de déconstruire ces nous ont conduits à « rater » le train de l’histoire. L’ACAT organisations institutionnelles soupçonnées de sécréter n’a en effet franchi le pas qu’après l’abolition de la peine des règles, des pratiques ou des comportements pou- de mort en France, le 10 octobre 1981, alors que cette vant constituer un terreau favorable à la commission de proposition d’extension du mandat avait commencé à ces mauvais traitements. émerger au sein de l’association plusieurs années avant. Mais cette longue phase de maturation avait un sens : en L’armée, tout d’abord, est scrutée de près par l’ACAT, décidant d’interpeller les chrétiens sur un sujet sur lequel forte pour ce faire de l’expérience, de l’expertise et de les Églises elles-mêmes ne s’étaient pas alors prononcées l’engagement d’anciens officiers, soucieux de consoli- de manière aussi claire et définitive qu’on pouvait l’at- der la diffusion de codes de déontologie et autres dé- tendre, l’ACAT devenait « un signe de contradiction » au marches éthiques au sein de la grande muette, dont on sein d’une communauté où elle prêchait par ailleurs l’unité. considère à l’époque qu’elle n’a pas tiré les leçons des tortures commises pendant la guerre d’Algérie. Non pas que la sensibilisation des chrétiens au scandale La vigilance de l’ACAT s’est ensuite étendue à l’ensemble de la torture était auparavant un long fleuve tranquille. des dispositifs de privation de liberté – momentanée ou La mise en cause indifférenciée de régimes pratiquant la durable : prison, centre de rétention, garde à vue, hôpi- torture et se réclamant d’idéologies opposées les unes tal psychiatrique… Profondément convaincus que les
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