Université Jean Moulin Lyon 3 Ecole doctorale : droit Transfert des créances en droit français et en droit anglais par Constantin Aurel ISCRU Thèse de doctorat de droit comparé sous la direction d’Olivier MORÉTEAU présentée et soutenue publiquement le 26 novembre 2007 devant un jury composé de : Olivier MORÉTEAU, professeur à la Louisiana State University Alain COURET, professeur à l’université Paris I Sorbonne Yves REINHARD, profeseur à l’université Jean Moulin Lyon 3 Ruth SEFTON-GREEN, maître de conférences à l’université Paris I Sorbonne « If we were asked – Who made the discovery which has most deeply affected the fortunes of human race? We think, after full consideration, we might safely answer – The man who first discovered that a Debt is a Saleable Commodity » MACLEOD, Principles of Economical Philosophy, 1872, I, 481 A ma mère. Mes remerciements au Professeur Olivier Moréteau, Director du Center of Civil Law Studies, Louisiana State University et au Professeur S.J. Whittaker, St. John’s College, University of Oxford. SOMMAIRE Introduction 1 Première partie : La notion de transfert de créances 12 Titre 1: Transmission de créances à travers le droit positif 14 Chapitre 1 : Précisions terminologiques 16 Chapitre 2 : Présentation historique de la cession de créance 23 Chapitre 3 : Diversité des modes de transfert de créances 54 Chapitre 4 : Apport potentiel de la notion de transfert de créances au droit positif 180 Titre 2 : Conflits entre bénéficiaires du transfert de créances 190 Chapitre 1: Inadéquation du droit positif face aux défis posés par les conflits entre bénéficiaires concurrents du transfert de la même créance 191 Chapitre 2 : Critique du droit positif et solutions alternatives possibles 254 Deuxième partie : Régime juridique du transfert de créances 281 Titre 1: Conditions de validité du transfert de créances 282 Chapitre 1: Conditions de validité communes 282 Chapitre 2: Conditions de validité spécifiques à chaque technique de transfert 364 Titre 2: Effets du transfert de créances 403 Chapitre 1: Effet translatif du transfert de créances 403 Chapitre 2 : Situation des exceptions à la dispostion du débiteur 419 Chapitre 3: Transfert des droits accessoires 479 Conclusion 494 Bibliographie 499 Table des matières 540 I PRINCIPALES ABREVIATIONS art. = article Bull. civ.= Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles) Cass.= Cour de cassation (ass.plén.: assemblée plénière; civ. : chambre civile; com. : chambre commerciale; crim. : chambre criminelle; req. : chambre des requêtes ; soc.: chambre sociale) CA = Cour d’appel (pour les décisions françaises)/ Court of Appeal (pour les décisions anglaises) C. civ. = Code civil C. comm. = Code de commerce C. mon. fin. = Code monétaire et financier C. pen. = Code pénal C. trav. = Code du travail CE = Conseil d’Etat CGI = Code général des impôts CLR = Common Law Review D. = Recueil Dalloz Gaz. Pal. = Gazette du Palais HL = House of Lords (Judicial Committee) JCP = Semaine juridique JO = Journal officiel JOCE = Journal officiel des Communautés européennes NCPC = Nouveau code de procédure civile NSWLR = New South Wales Law Review NZLR = New Zealand Law Review OUJLS = Oxford University Journal of Legal Studies PA = Petites Affiches PDEC = Principes du droit européen des contrats Principes UNIDROIT = Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international 2004 p. = page Rec. CE = Recueil du Conseil d’Etat RJDA = Revue de jurisprudence du droit des affaires RRJ = Revue de recherche juridique RJ com. = Revue de jurisprudence commerciale RTD civ. = Revue trimestrielle de droit civil RTD com. = Revue trimestrielle de droit commercial S. = Recueil Sirey s. = Section TC = Tribunal de commerce TGI = Tribunal de Grande Instance TI = Tribunal d’Instance WLR = Weekly Law Review UCC = Uniform Commercial Code II INTRODUCTION Cette thèse se propose de dresser une analyse critique de la législation française relative au transfert des créances, qui sera centrée sur les difficultés qui résultent de la multitude des techniques juridiques qui permettent de réaliser un transfert des créances. L’étude du droit anglais a été introduite dans cette discussion pour déterminer si un droit réputé pour son approche pragmatique rencontrait les mêmes difficultés et, en cas de réponse affirmative, pour examiner les solutions proposées et de déterminer dans quelle mesure elles pourraient contribuer au développement de la législation française en la matière. Incidemment, cette thèse se propose aussi de combler la relative rareté dans la doctrine française d’études comparatives portant sur la cession des créances et d’autres techniques juridiques permettant le transfert des créances en droit anglais1. Néanmoins, il reste que cette thèse est construite autour des difficultés spécifiques au droit français et les aspects de droit anglais seront généralement présents pour aider à répondre à des interrogations du droit français. 1. La multiplication des techniques de transfert de créances en droit français. Le droit français actuel offre une large palette de techniques juridiques qui permettent de réaliser un transfert de créances. A la cession de créance du Code civil et au transfert de créances réalisé par le biais de la lettre de change, viennent s’ajouter la subrogation conventionnelle et la cession de créances professionnelles. Aux techniques juridiques qui permettent le transfert immédiat de créances, s’ajoutent les techniques juridiques qui peuvent avoir, dans certains cas, comme effet un transfert des créances - c’est le cas des garanties qui ont pour objet des créances : le gage portant sur des créances, le nantissement de droit commun et le nantissement de créances professionnelles. La superposition de toutes ces techniques a comme résultat une complication considérable du transfert des créances en droit français, dès lors qu’elles ont des conditions de validité et d’opposabilité différentes. Les difficultés résultant de cette diversité de techniques permettant le transfert des créances deviennent plus acutes dans les hypothèses de transfert successif d’une même créance. 1 O. MORETEAU, Droit anglais des affaires, Dalloz, 2000, n° 893. 1 Pour déterminer l’ordre de priorité entre bénéficiaires concurrents, plusieurs moments de référence sont retenus en droit français : la date de la notification au débiteur, la date de l’acceptation du transfert par le débiteur et la date à laquelle le transfert a été effectué entre les parties. Ces moments sont déterminés en fonction de règles spécifiques à chaque technique de transfert de créances. En règle générale en droit français, lorsqu’une même créance est transférée par le biais de plusieurs techniques juridiques, l’ordre de préférence entre les divers bénéficiaires du transfert est déterminé en prenant en compte des règles propres à chaque opération. Par exemple, pour le cessionnaire dans le cas d’une cession de créance se conformant aux conditions des articles 1690 et suivants du Code civil la date qui est prise en compte est la date de la signification ou de l’« acceptation » du débiteur2. L’inconvénient de cette approche est que l’ordre de préférence propre à chaque opération juridique permettant le transfert de créances a été conçu pour résoudre les conflits entre des bénéficiaires qui ont utilisé seulement la technique juridique respective. L’absence de règles spécifiques à la situation où plusieurs techniques juridiques sont utilisées et la diversité des dates d’opposabilité résultant de la multiplicité des techniques de transfert sont une source d’incertitude considérable en la matière. 2. Le transfert de créances en droit anglais. Vu toutes ces interrogations soulevées en droit français, il était intéressant de voir si elles se retrouvaient dans des droits étrangers. Parmi les divers choix possibles, l’intérêt de longue date pour le droit anglais en particulier nous a emmené à le choisir comme droit de référence. En plus de cette affinité personnelle, le fait d’appartenir à un système de droit différent des droits d’inspiration romano-germanique offrait au droit anglais le potentiel de fournir une vision radicalement différente du transfert de créances et par cela de faire entrevoir des solutions que l’ancrage aux sentiers battus du droit français pourrait, le cas échéant, empêcher à trouver. Le droit anglais présente un autre intérêt pour l’étude comparative du droit dans la mesure où il est réputé pour son réalisme face à des problèmes qui trouvent des solutions compliquées dans les droits continentaux, dont le droit français est un représentant de premier rang3. 2 Art. 1690 C. civ.. 3 O. MORETEAU, Droit anglais des affaires, Dalloz, 2000, n° 5 ; R. DAVID et D. PUGSLEY, Les contrats en droit anglais, 2e éd., L.G.D.J., 1985, p. 1. 2 Malgré des remarquables analyses synthétiques de la cession de créances et des autres opérations juridiques à trois personnes en droit anglais, effectuées dans le cadre des ouvrages dédiés au droit anglais des affaires4, il n’y pas à notre connaissance des monographies sur le sujet. Cette thèse se propose de remédier cet état des choses par une analyse critique de cette matière avec l’objectif de familiariser le juriste français avec les notions de base, les décisions judiciaires et les discussions qui suscitent le plus d’intérêt dans le droit anglais du transfert des créances. Dans le cadre de la présentation de la législation anglaise relative au transfert de créances, le premier élément analysé sera l’évolution historique du droit anglais en matière de cession de créance (« assignment ») et des autres techniques juridiques qui permettent de réaliser un transfert de créance5. La présentation du droit anglais sera complétée au fur et à mesure, notamment par des précisions sur les spécificités du droit anglais, comme c’est le cas, par exemple, des différences entre l’« statutory assignment» et l’« equitable assignment »6 ou de la distinction entre les « legal things in action » et les « equitable things in action » ou encore des notions spécifiques au droit anglais telles que la « champerty » et la « maintenance »7. Pour le reste, de manière générale, les aspects de droit anglais seront présentés en directe comparaison avec les aspects de droit français, l’accent étant mis sur leur contenu matériel et sur le cadre juridique général dont ils appartiennent. 3. Prise en compte des textes internationaux. Mis à part les aspects de droit français et de droit anglais, d’autres systèmes de droit nationaux seront occasionnellement examinés. Des aspects de droit américain seront évoqués épisodiquement, généralement pour les contraster avec des solutions retenues par le droit anglais, ainsi que des aspects de droit allemand et de droit italien. Toujours incidemment, des textes internationaux, de valeur normative différente, seront examinés : la convention Unidroit sur l’affacturage international8, la convention CNUDCI sur les cessions internationales de créance9, mais aussi des textes comme les Principes Unidroit qui, dans leur version 2004 contiennent des dispositions sur la cession de 4 O. MORETEAU, Droit anglais des affaires, Dalloz, 2000, n° 892 et s..V. aussi R. DAVID et D. PUGSLEY, Les contrats en droit anglais, 2e éd., L.G.D.J., 1985, n° 396. 5 V. infra n° 31 et s.. 6 V. infra n° 56. 7 V. infra n° 34. 8 V. infra n° 117. 9 V. infra n° 118. 3 créances10, tout comme les Principes du droit européen du contrat, qui contiennent aussi une section dédiée à la cession de créances11. 4. La créance, lien personnel et valeur patrimoniale. Le terme « créance », par son étymologie, évoque l’aspect personnel du rapport d’obligation: le créancier accorde sa « croyance », sa confiance au débiteur, qui, à son tour, accepte de se soumettre au pouvoir du créancier, il s’engage avec sa personne12. La personne du débiteur n’est pas alors indifférente : sa solvabilité et sa capacité d’exécution peuvent être déterminantes pour le créancier. Corrélativement, la personne du créancier peut avoir une signification particulière pour le débiteur, dans la mesure où les exigences quant à la qualité de la prestation ou le comportement en cas d’inexécution varient d’un créancier à un autre13. Même en mettant l’accent sur le résultat patrimonial du rapport d’obligation14, il est difficile de faire abstraction du fait que son existence dépend en grande mesure du rapport personnel sous-jacent. La valeur économique résultante n’a pas une existence propre, comme c’est le cas d’un bien corporel, elle représente l’engagement du débiteur que le droit rend irrévocable15. Mais il est aussi vrai que la qualité de titulaire d’une créance offre au créancier des avantages qui peuvent être évalués pécuniairement. Une fois admis que la créance peut avoir une valeur patrimoniale, logiquement le pas suivant serait de donner au titulaire du droit la possibilité de disposer librement de cette richesse, comme pour tout élément du patrimoine. En mettant en avant cette conception patrimoniale16, le droit de créance peut être considéré comme étant un bien17. En tant que biens les créances sont des éléments actifs du patrimoine, elles figurent au 10 V. infra n° 123. 11 V. infra n° 122. 12 J. GHESTIN, «La transmission des obligations en droit positif français», in La transmission des obligations: travaux des IXes Journées d'études juridiques Jean Dabin déroulées à Louvain-la-Neuve les 23 et 24 novembre 1978, E. Bruylant/L.G.D.J. 1980, p. 5, n° 1. 13 M. FONTAINE, «La transmission des obligations de lege ferenda», in Ibid., E. Bruylant et L.G.D.J. p. 617. 14 M. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance: élaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, LGDJ, 1960 ; M. GINOSSAR, «Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel», RTD civ. 1962, p. 573. 15 Th. HUC, Traité théorique et pratique de la cession et de la transmission des créances, 1891, vol. I, p.172, n° 127 : « le droit de créance n’est rien autre chose que le droit d’adresser une demande à un débiteur ». 16 V. infra n° 301. 17 J. GHESTIN, «La transmission des obligations en droit positif français», in La transmission des obligations: travaux des IXes Journées d'études juridiques Jean Dabin déroulées à Louvain-la-Neuve les 23 et 24 novembre 1978, E. Bruylant/L.G.D.J. 1980, p. 5, n° 1. 4
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