MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ------------------------------ UNIVERSITÉ DE TOLIARA --------------------------- FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES --------------------------------- FORMATION DOCTORALE OPTION : PRAGMATIQUE -------------------------------- Trace narrative de l’illocution : exemple du français et du malgache Thèse de Doctorat Nouveau Régime Présentée par RAKOTOMALALA Jean Robert Sous la direction du Professeur RABENILAINA Roger Bruno Année universitaire 2006-2007 1 MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ------------------------------ UNIVERSITÉ DE TOLIARA --------------------------- FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES --------------------------------- FORMATION DOCTORALE OPTION : PRAGMATIQUE -------------------------------- Trace narrative de l’illocution : exemple du français et du malgache Thèse de Doctorat Nouveau Régime Présentée par RAKOTOMALALA Jean Robert Sous la direction du Professeur RABENILAINA Roger Bruno Année universitaire 2006-2007 2 Membres de Jury RAMANGASALAMA Ndrianja RAZAFIMANDIMBY Hery BEMIARANA Jean Marie TSIMILAZA Alphonse 3 INTRODUCTION Ce travail a pour objectif de contraster deux aspects de la sémantique. Dans l’ordre de leur apparition, nous avons d’abord la position représentationaliste et ensuite la position pragmatique. L’introduction du nouveau paradigme a pris naissance des analyses des signes indexicaux comme le souligne BAR-HILLEL (1954). On peut situer l’apogée de la position représentationaliste avec la constitution du signe « Janus » de SAUSSURE. Dans l’édifice scientifique de SAUSSURE, la matérialité du signe – appelée signifiant – est indissolublement associée à sa dimension conceptuelle, le signifié ; et le signe ainsi construit désigne un référent extralinguistique. Ce bel mécanisme du signe biface fonctionne très bien pour la majorité des expressions linguistiques dont l’usage permet d’identifier sans problème le référent. Appelons ces expressions « symboliques ». Des expressions comme terre, soleil, lune, table, joie, entrent facilement dans cette catégorie. Il n’en va pas de même pour les expressions indexicales. Celles-ci ne peuvent désigner leur référence sans que leur condition d’énonciation ne soit élucidée. Entrent dans cette catégorie les variables fondamentaux de l’énonciation : je, ici, maintenant et tous leurs dérivés. Ces signes sont justement appelés indexicaux parce que leur référence est obtenue par identification de ces variables fondamentaux de la même manière que l’index, dans le geste de monstration, désigne un objet extralinguistique et le même index, en des moments différents peut désigner des objets différents. C’est le cas précis de l’adverbe ici. Deux personnes en deux endroits différents désigneront par le même mot le lieu où elles se trouvent. Le problème qui est à l’origine de l’introduction de la pragmatique au sein de la sémantique vient du fait que les signes indexicaux se mêlent aux signes « symboliques » dans l’usage. À partir de là, la sémantique connaît deux types de sens : le sens symbolique et le sens énonciatif qui peut s’écarter considérablement du premier. 4 C’est de cette manière que la pragmatique est une théorie de l’énonciation. La solution qui sera préconisée ici consiste à laisser aux énoncés leur statut d’expression « symbolique » tout en les considérant comme indexicaux. C’est, par exemple, la position de RECANATI qui a contribué à sortir la théorie de l’énonciation de sa phase de balbutiement. Ce qui veut dire que l’énoncé ne se suffit plus à son interprétation comme le montre les exemples de GRICE. Il faut lui adjoindre des informations véhiculées par le contexte pour une interprétation correcte. Mais cette adjonction soulève des problèmes très difficiles. Tout d’abord, on peut se demander si le contexte fait partie de la linguistique ou s’il fait seulement partie de la situation de communication. Ensuite, les positions divergent énormément sur la catégorie contexte. Pour KATZ, par exemple, il existe, pour les énoncés, des contextes neutres qui autorisent une bonne interprétation ; alors que pour SEARLE, tout énoncé doit être contextualisé si on ne veut pas compromettre son interprétation. Nous nous refusons ici d’arbitrer cette divergence. En effet, s’il faut entendre par énonciation le fait de produire un énoncé, nous ne visons ni le processus physiologique ni le processus psychologique relatifs à cette production. Plutôt, il faut entendre par énonciation le fait de produire un énoncé en vertu de l’action dérivée de cette production au même titre que la production d’un outil permet d’accomplir des tâches identifiables par la forme donnée à cet outil. Nous voulons donc cerner de manière précise comment l’énonciation peut intervenir dans l’interprétation de l’énoncé. On peut prédire avec G.G. GRANGER que ce sont des données sémantiques qui gouvernent l’énonciation avant la moule syntaxique ; sinon, on ne comprendra pas pourquoi la syntaxe évolue. Pour ce faire, nous devons considérer l’énonciation pour ce qu’elle est : un faire. La question est donc de savoir que fait exactement l’énonciation. Il s’agit, comme cela se fait traditionnellement, de se doter des moyens qui permettraient d’identifier la valeur de l’énonciation et comment cette valeur se reflète sur la forme de l’énoncé de la même manière que la forme d’un outil sont déjà inscrites les tâches possibles par son emploi. Ceci implique qu’il faut voir deux choses à la fois. La valeur de l’énonciation prise globalement et la valeur de l’énonciation sur les formes pertinentes de l’énoncé. Demander 5 à quelqu’un « s’il a sa voiture » a exactement la même valeur que si on lui demandait « s’il a sa carrosse » prise dans le cadre de l’énonciation globale. On peut en conclure que le questionneur a une course à faire. Mais la différence entre les expressions « carrosse » et « voiture » montre de manière indexicale d’autres valeurs de l’énonciation qui se situe, par exemple, au niveau du type de relation intersubjective entre les protagonistes de la communication. On peut suggérer que s’arrêter à l’énonciation globale peut être compris comme relevant de la position a-contextualiste de KATZ et qu’aller jusqu’à considérer « carrosse » et « voiture » comme des expressions indexicales par contraste illustre la position contextualiste de SEARLE. Pour notre part, pour échapper au piège du contexte toujours contemporain de l’énonciation, donc interdisant l’adéquation de l’interprétation des communications différées, nous proposons de nous servir de la narrativité pour fixer sur de base logique la théorie de l’énonciation tout en lui permettant d’afficher la subjectivité. C’est de cette manière que la théorie de l’énonciation est une théorie de l’action dans ce qu’on appelle maintenant actes de langage ou actes de discours, ou encore actes de parole. La raison en est simple : si l’énonciation est considérée comme un acte, il faut savoir de manière claire comment elle réalise l’action. Et il nous semble que le moyen le plus simple de vérifier un fait est d’enregistrer les changements que ce fait projette dans le discours. C’est cet enregistrement qui nous oblige à passer par la narrativité puisque la transformation narrative a pour mission de faire passer un état vers un autre. Cette hypothèse narrative est renforcée par l’observation des propriétés du récit narratif au sens obvie du terme. Indépendamment de ce que SCHEHERAZADE récite au roi jaloux toutes les nuits, dans les Milles et une Nuits, ses histoires lui servent à faire différer la mort pour ne citer que cet exemple de récit universel. Précisons un peu plus notre choix théorique Depuis les travaux effectués sur le récit comme forme de discours, jalonnés essentiellement par ARISTOTE, SOURIAU, PROPP, BARTHES, GREIMAS, TODOROV, etc. d’un 6 côté ; et l’émergence de la sémantique, parente pauvre de la linguistique, marquée notamment par AUSTIN, BENVENISTE, POTTIER, BOUTON, MORRIS, SEARLE, RECANATI, DUCROT, ANSCOMBRE, CORNULIER, etc. de l’autre côté, aucune jonction n’a été faite entre les deux domaines jugés hétérogènes ; il semble aussi très étonnant qu’en dépit de l’ouverture amorcée par JAKOBSON, DELLAS et FILLIOLET, RASTIER, MAINGUENEAU, KERBRAT-ORECCHIONI, GENINASCA, VAN DIJK, RIFFATERRE, etc. la méfiance réciproque persiste toujours entre la linguistique et la littérature qui se regardent en chien de faïence En conséquence, l’attitude adoptée ici ressemble intimement au rapport entre la mathématique et la physique. La mathématique peut revendiquer de plein droit son autonomie, mais cela n’empêche que ce sont les avancées en ce domaine qui fournissent des solutions aux problèmes de physique. Ce qui veut dire que la physique est dépendante de la mathématique dont elle se sert comme outil d’exploration. Nous précisons qu’il s’agit bien d’une ressemblance et non d’une identité. La différence réside dans le fait que la relation entre la linguistique et la littérature est une fonction réciproque, contrairement à celle qui existe entre la mathématique et la physique qui est univoque. Cependant, les deux disciplines peuvent être considérées dans une autonomie relative au niveau de la production. En fait, notre argument part d’une pétition de principe qui suppose qu’en Sciences Humaines et Sociales le cloisonnement est néfaste. Toutes les disciplines sur l’homme doivent s’entraider mutuellement. L’intérêt étant de servir l’homme et non la discipline. En effet, il existe une relation réciproque entre la littérature et la linguistique au-delà de leur autonomie propre, et le travail ici proposé s’organise suivant cette perspective : il consiste à récupérer certaines données de la littérature, de la poétique ou de la sémiotique pour expliquer des phénomènes linguistiques. La démarche a mis en lumière que des phénomènes littéraires peuvent aussi être expliqués en termes linguistiques et inversement. Le point où nous avons jeté un pont entre la linguistique et la littérature se trouve être la présence de la notion de narrativité au sein de la dimension illocutoire du langage. Et il nous semble que cela est naturel. Dans la narrativité, le point focal est la transformation narrative et dans l’illocutoire, le langage est utilisé pour réaliser un acte ou plusieurs actes. 7 Il va de soi qu’un acte doit nécessairement modifier un état de chose. Les deux notions sont de la sorte fondées sur la transformation. C’est cette introduction de la narrativité au sein de la pragmatique qui nous permet d’éviter le problème du contexte. En effet, il est très difficile de savoir ce qui appartient en propre à la linguistique et ce qui appartient en propre au contexte. En revanche, de telle difficulté n’existe pas au sein de la narrativité, non seulement parce que la narrativité est une performance linguistique parfaitement admise dans le genre littéraire mais surtout parce qu’elle peut s’analyser comme un principe dialogique qui autorise de traiter correctement les actes illocutoires comme la requête, par exemple. La narrativité est une forme élaborée de ce qu’affirmait déjà SAUSSURE, comme principe fondamentale de la linguistique, lorsqu’il dit que dans « la langue il n’y a que des différences » (SAUSSURE, 1982, p. 166). Selon l’algorithme de GREIMAS, suivant en cela ARISTOTE, la logique narrative est dichotomisée, au niveau temporel, en un avant et un après auxquels correspondent respectivement un contenu inversé et un contenu posé. (GREIMAS A. J., 1966b) Si l’introduction de la narrativité comme fondement de la dimension illocutoire du langage peut être pertinente, c’est parce qu’elle comporte une propriété particulière en tant que performance discursive : la narrativité fonctionne de telle manière que l’histoire soit déjà finie avant de pouvoir commencer. C’est ainsi qu’elle dote le récit d’une forme d’unicité ou de totalité caractérisée par un commencement et une fin absolus. Ce principe de clôture qui caractérise le narratif est très visible dans les récits mythiques qui visent à donner une explication de nos comportements actuels. La Bible, comme récit universel également, nous explique que si nous avons perdu notre condition paradisiaque c’est parce ADAM et ÈVE ont goûté au fruit de l’arbre défendu. Et bon nombre de tabou alimentaire de l’Afrique s’explique par ce principe de clôture du narratif, il en va de même du tabou universel de l’inceste. Nous tirons de cette propriété du narratif une extension à tous les discours qui peut s’énoncer comme suit : 8 1. La logique temporelle narrative fait naître le discours à partir d’un manque Ce théorème, s’il est admis, a une conséquence majeure au sein de la pragmatique. Il permet de prendre l’énonciation pour ce qu’elle est. C’est une performance discursive qui a pour but de liquider un manque. On peut douter sans regret de la dimension historique des personnages d’un récit. La question n’est pas de savoir si ces personnages ont vraiment existé. Ce que nous livre le récit comme essentiel sont les actions de ces personnages dans leur tension vers la totalité ou la complétude. Ce qui nous permet d’avancer un deuxième théorème comme extension à tous les discours de la fictionnalité narrative : 2. Une fois le monde narrativisé, la catégorie du réel s’évanouit comme une question inutile Ce deuxième théorème, complémentaire du premier, peut paraître un peu surprenant. Pourtant, il correspond très bien à l’intuition de la pragmatique qui considère les actes du langage comme étrangers à la vériconditionnalité. Les actes du langage ne sont pas soumis au régime du vrai ou faux. En effet, si un locuteur affirme que « la terre est plate » ; il serait très difficile de lui contester qu’il n’a pas fait une énonciation et que cette énonciation est présentée comme une affirmation. On peut tout juste lui faire le reproche que le contenu de son affirmation est faux. Cet exemple n’est pas une singularité produite pour le besoin de la cause dans la mesure où produire un exemple en tant qu’énonciation a une valeur heuristique. Il peut être versé dans notre expérience quotidienne. Dans les pièces de théâtre, dans les films, dans les publicités, nous avons que tristesse et joie sont tout simplement simulées et que la mort n’en est pas vraiment une. Tristesse, joie et mort sont tout juste manifestées par l’énonciation qui les propose dans une forme de discours. Nous avons choisi les langues française et malgache pour tester la validité de notre hypothèse, un choix justifié par la coexistence des deux langues dans le territoire malgache. Le contraste entre les deux langues nous permettra constater que la notion de bilinguisme tend vers une diglossie. C’est ainsi que ce travail a pour titre : 9 « TRACE NARRATIVE DANS L’ILLOCUTOIRE ET FUITE DU RÉEL EXTRALINGUISTIQUE : EXEMPLE DU FRANÇAIS ET DU MALGACHE ». Commençons par nous familiariser avec le terme d’illocution dans une présentation succincte. Le cri noté [æiј] qui semble être un cri universel sous la douleur n’est qu’une manifestation émotionnelle et ne peut signifier « j’ai mal » que par détachement de sens à partir d’une convention. Ce cri peut être produit sans aucune cause physique de douleur, mais à titre symbolique dans l’intention de modifier le comportement de celui à qui l’on s’adresse. Cette intention de modifier le comportement du destinataire peut être comprise comme la valeur illocutoire de la production du cri. Plus précisément, c’est la découverte de cette valeur qui est à l’origine du concept d’illocution. Très brièvement voici l’histoire de son émergence. Il y avait d’abord l’intuition de la non identité entre le langage et le monde référentiel contrairement à ce que semble le supposer la position représentationaliste. Découverte a été donc faite que le langage est une analyse du réel et non plus une simple représentation du réel. Il en découle que le réel n’est pas le référent ultime. De par sa nature de langage, un énoncé peut se référer au réel, mais le fait nouveau est que le mouvement de la référence ne s’arrête pas à ce réel, mais le dépasse pour atteindre l’énonciation. Dès lors AUSTIN distingue trois actes qui se réalisent dans les énoncés. Au lieu d’opposer la parole à l’action, il convient de considérer que la parole est une forme et une action. C’est ce que montre les énoncés performatifs qui ont la propriété de pouvoir accomplir l’acte qu’ils dénomment, c’est-à-dire, faire ce que le verbe désigne par le fait même de le dire. Énoncer « je te promets de venir » c’est ipso facto accomplir l’acte de promettre. Mais de cet énoncé le premier acte est locutoire (acte de « dire quelque chose »), le deuxième est illocutoire (acte effectué en disant quelque chose) et le troisième est perlocutoire (acte dérivé par le fait de dire quelque chose et qui est compris comme la modification de l’état du destinataire). L’acte locutoire se réfère à la grammaire d’une langue et aux objets extralinguistiques, l’acte perlocutoire concerne les conséquences réelles de la parole chez le destinataire. Et 10
Description: