Institut d’ethnologie Faculté des lettres et des sciences humaines Rue Saint-Nicolas 4 CH-2000 Neuchâtel Ruth Lehmann HTTP://WWW.UNINE.CH/ETHNO Ruelle des Buissons 9 2300 La Chaux-de-Fonds 032 926 23 41 [email protected] Ruth LEHMANN Cheminements en pays baga sitem Coopérations rizicoles et activités rituelles dans l’appréhension d’une communauté villageoise du littoral guinéen Mémoire de licence en ethnologie Septembre 2010 Directeur du mémoire : Philippe Geslin Membre du jury : Christian Ghasarian Ce mémoire découle d’une étude ethnographique d’une durée de six mois dans un villa- ge baga sitem du littoral guinéen (Guinée). Elle a été effectuée dans le cadre d’un projet de recherche, l’Observatoire de la Guinée Maritime, dont la thématique générale est la maîtrise locale de l’environnement et le développement durable. Ce travail s’insère dans le champ disciplinaire de l’anthropologie des techniques, et indi- rectement de l’anthrotechnologie. J’ai appréhendé un contexte socioculturel et les ré- seaux qui l’animent à travers un suivi des formes de coopérations présentes dans le ca- dre de la riziculture. L’action collective se déroule toujours dans un contexte organisé : représentations et connaissances partagées, normes et règles communes orientent l’activité des individus ainsi que sa dimension collective. En ce sens, l’organisation so- ciale du travail permet de révéler, à travers une mise en acte, des rapports sociaux pré- existant ainsi que la négociation de ces derniers. Autour des collectifs rizicoles s’articulent des processus techniques, des relations de parenté, d’autorité et de genre, des rapports à un territoire et des enjeux personnels et collectifs propres à cette société. La démarche méthodologique cherche à suivre les réalités vécues et particulières des membres d’un village baga sitem du littoral guinéen, de manière à dégager des dynami- ques sociales en contexte et en situation. La première partie de ce mémoire expose les cadres contextuel (le projet de recherche et la situation géographique et sociale du lieu d’étude), méthodologique (le déroulement des enquêtes, les questions nées du terrain) et analytique (anthropologie des techniques, anthropotechnologie et anthropologie de la parenté) qui ont participés à l’élaboration du processus de recherche. Dans un premier temps, la deuxième partie présente et analyse les connaissances cons- truites à partir du terrain. De manière à rendre intelligible cet aperçu de l’organisation sociale d’un village baga sitem, cette deuxième partie commence par les entités sociales qui structurent ce dernier, soit les regroupements de lignages et les lignages, les acteurs- trices qui détiennent une autorité dans son fonctionnement et les réseaux de parenté qui organisent les relations entre les individus. Dans un deuxième temps, je questionne l’imbrication constante entre les pratiques rizicoles et les pratiques rituelles, leur com- plexité et leur évolution, dans les rapports que les habitants-es entretiennent avec leur environnement. Je termine cette partie par une description détaillée des protocoles de coopération observés dans le cadre de la riziculture. Il s’agit d’illustrer concrètement les chapitres qui précèdent, mais surtout de démontrer la pertinence méthodologique de l’analyse des formes de coopération dans l’appréhension de cette communauté villageoi- se. Au terme de ce travail, je reviens sur la méthode employée et ses apports, car elle pro- pose des pistes de lecture pour une anthropologie centrée sur les dynamiques sociales, sans fracture entre différents domaines du réel, par exemple, le technique et le religieux. « La monnaie de nos échanges linguistiques consistait en une cinquantaine de mots. C’était même plus que nous n’avions besoin – je ne tardais pas à le découvrir. Il y a mille et une façon de parler, et les mots n’aident guère si l’esprit n’y est pas » (Miller, 1958 : 52). À la mémoire de mon père, de Robert Pascal Bangoura, Lamina Sonta Bangoura, Léon Simba Camara, Maurice Souma, Yatamodou Smkal Souma, Flamoussou Bangoura et tous les autres, jeunes ou vieux et vieilles de Bukor, qui sont décédés pendant la réalisa- tion de ce travail. Je ne peux que les remercier par écrit pour leur aide, leur confiance et les connaissances qu’ils et elles ont partagées avec moi. Merci à la famille de Flavien Souma, à Aïchata Camara, Mma Bangoura, Yeneba Camara et Tò Fatou Souma à qui est dédié la citation d’Henri Miller, ainsi qu’à tous les enfants de la maison. Chez eux, j’ai été hébergée, nourrie, « plaisantée » et prise par la main dans les gestes du quotidien. Sur les chemins de mes enquêtes : mes pensées accompagnent mes interlocuteurs et in- terlocutrices, femmes, hommes et enfants de l’abanka1 de Sunta, des autres cìbanka de Bukor et des villages avoisinants. Pour m’épauler dans ce travail de recherche : Philippe Geslin, Mathieu Fribault et les étudiants-es suisses, français et guinéens de l’Observatoire de la Guinée Maritime, Ro- bert Pascal Bangoura et Ferdinand Bangoura, les anthropologues Ramon Sarró et David Berliner, enfin l’Observatoire de la Guinée Maritime et tous ses collaborateurs. Dans un registre plus privé, la durée de rédaction de mon mémoire a considérablement allongé la longueur de la liste de personnes qui, à un moment ou un autre, m’ont appor- té un soutien, un espoir, une information. Mes amis-es proches ou lointains, ma famille, une professeure de psychologie, un jeune réfugié guinéen aujourd’hui renvoyé au pays, des chercheurs et des chercheuses, un ancien danseur chorégraphe, un psychothérapeu- te, la bibliothèque de la ville, mes collègues, une amie enseignante de français, une amie graphiste, mon compagnon, des oreilles moins connues mais toujours attentives, etc. Même anonyme, je n’oublie personne et vous remercie. Je clos ces remerciements par une pensée pour mon père, son absence est cruelle à l’heure de tourner une page de mes souvenirs. 1 Abanka, pluriel cìbanka : regroupement de lignages. Table des matières NOTES SUR LA TRANSCRIPTION..................................................................5 AVANT-PROPOS...............................................................................................7 Un projet de recherche : L’Observatoire de la Guinée Maritime.......................7 INTRODUCTION ............................................................................................11 En filigrane : l’anthropotechnologie ...............................................................11 L’organisation du mémoire............................................................................ 13 1ÈRE PARTIE : CADRE CONTEXTUEL, MÉTHODOLOGIQUE ET ANALYTIQUE................................................................................................. 15 Cadre contextuel : le projet de recherche et le village de Bukor...................... 15 L’Observatoire de la Guinée Maritime ......................................................................15 Les enjeux de la recherche sur mandat....................................................................16 Le choix du lieu d’étude et sa situation géographique..............................................20 Cadre méthodologique : les conditions sociales du terrain.............................25 Les cheminements de la recherche..........................................................................25 Le déroulement de l’enquête et l’unité d’analyse......................................................26 Questions de traduction..........................................................................................28 Un terrain aux féminins............................................................................................31 Le non-dit et la vérité..............................................................................................33 Cadre analytique : de l’anthropotechnologie à l’anthropologie de la parenté..........................................................................................................36 En amont : l’anthropotechnologie ............................................................................36 La coopération en anthropologie .............................................................................37 L’anthropologie de la parenté en mouvement...........................................................39 2ÈME PARTIE : DESCRIPTIONS ETHNOGRAPHIQUES................................43 Aperçu de l’organisation sociale du village de Bukor .....................................43 Les cìbanka, les lignages et le village.......................................................................44 Les regroupements de lignages, cìbanka..............................................................46 Les lignages, wòlo disre ......................................................................................51 Histoires de pouvoir................................................................................................54 Description d’un sacrifice ....................................................................................54 Les différents acteurs sociaux..............................................................................59 Des réseaux de parenté...........................................................................................71 Parents paternels – parents maternels..................................................................71 Un réseau de lignages correspondants.................................................................74 Une parenté rituelle.............................................................................................75 Relations à l’environnement : pratiques rizicoles et pratiques rituelles...........77 Appréhension d’un territoire....................................................................................77 Un environnement dégradé......................................................................................80 Les pratiques rizicoles.............................................................................................82 L’installation du silence...........................................................................................88 Entre mangrove et montagne : avant la venue des colons.....................................89 La fin de la colonisation : une époque de transitions.............................................90 Islamisation et iconoclasmes ...............................................................................92 Les pratiques rituelles.............................................................................................93 Organisation sociale du travail et structures d’entraide.................................102 Négociations historiques.......................................................................................102 Coopération entre parents, les « travaux de l’abanka »...........................................104 Les hommes et leur bêche, le kòp kòpong..........................................................104 Les hommes d’un lignage, le kilo disre...............................................................107 Coopération entre parents, les « travaux des beaux-parents ».................................108 L’alliance dans le bêchage, le dokomènè ...........................................................108 Les hommes non mariés, kìfenc karan................................................................111 Coopération féminine, les femmes d’un abanka......................................................113 Les femmes mariées, le mangesagni..................................................................113 Après le mariage, les sap...................................................................................115 Les sœurs, akirè................................................................................................116 Entités sociales discrètes, Padeya, Somnè et Cankla.............................................118 Aux frontières de la parenté...................................................................................119 Les « groupes ».................................................................................................119 Le travail contre rémunération, le yòp ................................................................120 Dans le voisinage..................................................................................................121 Sous le signe de l’entraide ....................................................................................123 CONCLUSION ...............................................................................................125 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................129 ANNEXES ......................................................................................................137 Glossaire des termes baga sitem...................................................................137 Aperçu du littoral guinéen............................................................................141 Terminologie de parenté ..............................................................................143 Descendance........................................................................................................143 Alliance.................................................................................................................146 Collatéralité ..........................................................................................................150 5 Notes sur la transcription Les termes baga sitem présents tout au long de mon mémoire proviennent de mes en- quêtes et/ou de celles des personnes avec lesquelles j’ai collaboré en Guinée. Ces in- formations sont partiellement recoupées ou complétées par les données de l’anthropologue Ramon Sarró (1999a, 2009). De manière à allier précision linguistique et confort de lecture, j’ai choisi de respecter la transcription de Ramon Sarró tout en modifiant légèrement son écriture du baga sitem, ceci dans le but de la rapprocher de sigles plus familiers à la langue française2. Mon choix est motivé par les recherches linguistiques qu’a conduites Ramon Sarró. Il a no- tamment étudié et collaboré avec le linguiste Erhard Voeltz, fondateur du Centre d’Etudes des Langues Guinéennes à l’Université de Conakry (Sarró, 1999a). Cependant, ma récolte d’informations sur le Baga sitem est partielle et fragmentée, la prononciation et la signification de certains termes peuvent être approximatives. Certai- nes variations existent entre les différents villages baga sitem du littoral guinéen (Sarró, 1999a : 68-71). Les voyelles : ò de malò se prononce « o » comme dans bol o de dokom se dit comme le « o » de pot è de alipnè se prononce « è » comme dans mer e de dale se prononce comme le « é » de mémoire ì de kìcìmè, correspond à la lettre schwa utilisée en linguistique pour dési- gner une voyelle neutre et centrale y de yonk se prononce comme le « ill » de paille u de awut renvoie au « ou » de poussin 2 Notamment l’utilisation de l’accent grave à la place du « _ ». Le choix de transcription de Ramon Sarró est motivé par le fait que le matériel informatique ne permet que rarement d’utiliser l’alphabet phonétique international. 6 Les consonnes : c de cìbanka doit être prononcé « tch » comme dans Tchernobyl et non « ss » comme centrale nucléaire ou « k » comme catastrophe s de deser se dit comme le « ss » de poisson ng de kòpong est une vélaire nasale se prononçant « ng » comme dans parking Tous les termes en langue baga sitem ou en langue susu sont en italique dans le texte, exceptés les noms propres (noms de villages, de lieux ou de regroupements de lignages et de lignages). La transcription reste cependant la même (exceptée concernant les noms de famille et les noms des villages autres que Baga). Les termes en Baga ou en Susu cités dans le texte sont regroupés dans un glossaire en annexe. Les lecteurs et lectrices intéressés à approfondir leurs connaissances linguistiques des langues du littoral guinéen peuvent se référer aux travaux de Ramon Sarró et de David Berliner déjà citées. Ces deux anthropologues présentent et résument une partie des recherches menées dans ce domaine.
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