Empruntant largement à l'histoire de ses grands-parents, déportés comme des centaines de milliers de citoyens américains d'origine japonaise, après l'attaque de Pearl Harbour, Julie Otsuka retrace le destin d'une paisible famille de Berkeley. Dans ce climat de psychose et de peur collectives où chacun est soupçonné d'être un traître au service de l'empereur, commence une lente descente aux enfers... Alors que le père est déjà interné, la mère et ses deux jeunes enfants sont envoyés dans un camp de l'Utah aux confins du désert. Un exil fait de privations et de souffrance, où les pires sévices sont perpétrés dans l'indifférence générale. Trois ans plus tard, lorsque le monde sort de sa folie et qu'arrive le temps des retrouvailles, c'est une famille brisée qui doit réapprendre à vivre avec ses voisins.
Diplômée en art, Julie Otsuka est née en 1962 en Californie et vit aujourd'hui à New York. Quand l'empereur était un dieu est son premier roman.
«D'une voix blanche, sans haine ni pathos, délivrée de toute amertume, Julie Otsuka donne chair aux hommes, aux femmes et aux enfants qui ont croisé l'insoutenable.» Martine Laval, Télérama
Traduit de l'américain par Bruno Boudard
"Domaine étranger" dirigé par Jean-Claude Zylberstein
ExtraitORDRE D'ÉVACUATION N° 19
La pancarte avait fleuri du jour au lendemain. Sur les panneaux d'affichage, sur les arbres, au dos des bancs installés aux arrêts d'autobus. Placardée à la vitrine du bazar Woolworth's. Placardée à côté de l'entrée de la YMCA. Agrafée sur la porte du tribunal d'instance et clouée, à hauteur d'homme, sur chaque poteau téléphonique le long d'University Avenue. La femme se rendait à la bibliothèque pour rapporter un livre lorsqu'elle la remarqua sur la vitre d'un bureau de poste. C'était à Berkeley, par une journée ensoleillée du printemps 1942, et elle portait de nouvelles lunettes grâce auxquelles, pour la première fois depuis des semaines, elle pouvait voir distinctement tout ce qui l'entourait. Elle n'était plus obligée de plisser les yeux, mais elle le fit cependant par habitude. Elle lut l'avis en entier et, alors, les yeux toujours plissés, elle prit un stylo puis relut tout le texte. Les caractères étaient petits et noirs. Certains étaient minuscules. Elle griffonna quelques mots au dos d'un reçu de banque, puis tourna les talons, rentra chez elle et commença à faire ses valises.
Lorsque, neuf jours plus tard, la lettre de rappel de la bibliothèque arriva au courrier, elle n'avait toujours pas terminé. Les enfants venaient de partir à l'école et le sol de la maison était jonché de cartons et de valises. Elle jeta l'enveloppe dans celle qui se trouvait à ses pieds puis sortit.
Au lendemain de l’attaque de Pearl Harbour et jusqu'en 1945, le FBI a déporté des centaines de milliers de citoyens américains d’origine japonaise soupçonnés de trahison. En puisant dans l’histoire de ses grands parents, Julie Otsuka raconte la souffrance d’une famille arrachée à sa demeure de Bekerley pour être parquée dans un camp de l’Utah à la frontière du désert. Suivront trois ans d’emprisonnement, de peine et d’humiliations auxquels il leur faudra survivre pour tenter, une fois libérés, de se reconstruire dans les ruines d’une maison pillée.