Nous, c'est qui ? Une histoire des hommes et des femmes du Québec

517 Pages·2015·2.66 MB·French

by  Monique Fournier

MONIQUE FOURNIER
Nous, c’est qui?
Une histoire des hommes et des femmes du Québec
De la même auteure
Blanche Nouille et la visiteuse enquiquineuse, roman jeunesse, Trécarré
jeunesse, 2009
Blanche Nouille et les militants d’Onaria, roman jeunesse, Trécarré jeunesse,
2009
Comme une brûlure sur une robe du dimanche, roman historique, Libre
Expression, 2006
Tohu-Bohu: le génie disparu, roman jeunesse, Québec Amérique jeunesse, 2002
Tohu-Bohu: le grand boum!, roman jeunesse, Québec Amérique jeunesse, 2001
Révision et correction: Brigitte Lépine et Millie Pouliot
Graphisme: Julie St-Laurent
Illustration: Jean-Sébastien Bérubé
Infographie: Louise Durocher
ISBN: 978-2-924402-64-1
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2015
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2015
© Gallimard ltée – Édito, 2015
Tous droits réservés
À Lilli, qui m’a donné l’idée d’écrire ce livre
et sans qui la merveilleuse rencontre avec Erwan
n’aurait probablement jamais eu lieu.
À Lina, mon inséparable amie de toujours,
ma douceur, mon alter ego, avec qui j’ai vécu
une enfance lumineuse malgré la Grande Noirceur.
À Xavier, mon petit-fils adoré,
qui est en train d’écrire la suite de l’histoire.
A V A N T - P R O P O S
De quoi parle ce livre exactement? Pourquoi l’avoir écrit et pour qui?
J’ai voulu avant tout partager une découverte que j’ai faite au fil des ans, à
travers mon métier d’auteure. J’écris depuis toujours, enfin depuis que je sais
écrire… et même un peu avant, à vrai dire, mais ça, c’est une autre histoire.
Depuis près d’une trentaine d’années, je cumule surtout les métiers de
scénariste et de recherchiste, en plus d’avoir écrit quelques ouvrages qui ont été
publiés. Or, les circonstances, mes goûts personnels, et le hasard sans doute
aussi, ont fait en sorte que, dans le petit milieu de la télévision québécoise
francophone, je me suis graduellement fait une niche à moi, une sorte de
spécialisation, si vous voulez. Je me consacre à nous, les humains, mon sujet de
prédilection de toujours.
C’est ainsi que j’ai participé, à titre de recherchiste et de scénariste, à un grand
nombre de séries documentaires qui les étudient, ces étranges bestioles que nous
sommes, et sous toutes leurs coutures: médicales, psychologiques, historiques,
neurobiologiques, sociologiques, anthropologiques.
Or, depuis une bonne vingtaine d’années, j’ai eu la chance de travailler sur
plusieurs séries historiques qui touchaient différentes époques de notre histoire à
nous, les Québécois de souche française. Et ce ne sont pas les grands
personnages que j’ai étudiés, mais plutôt les petites gens, ceux et celles qui, à
force d’exister sur un même territoire, finissent par constituer un peuple. Pour ce
faire, j’ai lu plus de 170 ouvrages, interrogé des dizaines de spécialistes et
recueilli les témoignages de nombreux citoyens.
Petit à petit, au fil de mes recherches et à force de repasser à travers les mêmes
périodes – notre histoire est encore courte, n’est-ce pas? – sous différents angles,
j’ai fini par constituer un portrait d’ensemble de la société québécoise et j’ai eu
le sentiment de comprendre enfin qui je suis, moi, la Québécoise baby-boomer
descendant en droite ligne, deux ou trois fois par ma mère et trois ou quatre fois
par mon père, de ce brave Louis Hébert, héros de nos manuels d’histoire du
Canada. J’ai aussi eu l’occasion de déboulonner différents mythes et de
comprendre comment, par qui et pourquoi ils ont été créés.
Et j’ai eu envie de partager cette découverte fascinante, dans l’espoir que nous
serions plus nombreux à comprendre qui nous sommes, nous, les Québécois de
souche française. Notre identité semble parfois fragile, pour ne pas dire
problématique, pour toutes sortes de raisons que j’espère exposer clairement ici.
Il est impossible de parler de l’identité québécoise sans parler des nations
autochtones. Elles ont influencé les Français que nous étions et ont largement
contribué à façonner les Québécois que nous sommes devenus, beaucoup plus
que ce que nos manuels d’histoire ont tenté de nous faire croire. Les
Autochtones ne se sont jamais dits Québécois, parce qu’ils ne se considèrent pas
comme tels. Ce sont les peuples de leur territoire et ils ont leur propre histoire,
une histoire dont le cours a été rompu par l’arrivée des Français, puis des
Britanniques, lesquels ont statué sans droit sur leur identité et sur la place qu’ils
occuperaient dorénavant sur ce continent.
Je ne peux cependant prétendre les connaître aussi bien que j’en suis venue à
connaître mes propres racines, et c’est pourquoi je ne parle d’eux qu’en ce qui
concerne leur influence sur nous. Il y a d’excellents ouvrages qui les racontent
bien mieux que je ne saurais le faire. Plusieurs sont mentionnés dans la
bibliographie qui se trouve à la fin de ce livre.
Je ne parle pas non plus de l’histoire des communautés culturelles arrivées au
Québec après nos premiers ancêtres de souche française. Je ne nie en rien leur
existence ni leur influence, comme vous pourrez le lire dans la conclusion du
dernier chapitre.
Le passé d’une nation est un curieux phénomène. Pour chacun d’entre nous,
l’histoire remonte au moment de notre naissance. Ce qu’il y a eu au-delà nous
est étranger. Mais nous portons aussi l’histoire qui s’est déroulée avant, celle que
nos parents nous ont racontée et celle que leurs propres parents leur ont
transmise.
Je pense que si nous comprenons mieux qui nous sommes, nous saurons
mieux accueillir les nouveaux arrivants, ce qui est devenu un peu plus difficile,
ces dernières années. C’est seulement après avoir raconté sa propre histoire qu’il
devient possible d’écouter celle de l’autre. C’est la base première du respect et,
qui sait, de l’amitié. C’est ce qui permet, à partir du «je» et du «tu», de créer un
nouveau «nous». Mais tant qu’on ne se connaît pas soi-même, ce partage est
impossible.
Bref, c’est le fruit de toutes ces réflexions que je présente ici, en espérant que
l’exercice soit utile aux Québécois de souche française, aux Québécois de cœur
et à tous ceux qui s’intéressent à ce peuple à l’histoire si particulière.
I N T R O D U C T I O N
Cachez ce «nous»
que l’on ne saurait voir
Le soir du 30 octobre 1995, à l’issue de la victoire serrée du «Non» au
référendum sur la souveraineté du Québec, quelques mots du discours de
Jacques Parizeau ont provoqué un grand malaise dans le camp du «Oui» en
particulier, et dans la population en général. Il a dit que le référendum avait été
perdu essentiellement par «l’argent et des votes ethniques». Comme les gens
ordinaires ne sont pas au fait de toutes les stratégies machiavéliques qui se
trament dans les officines gouvernementales, ils ont cru que monsieur Parizeau
parlait des riches fédéralistes et des Néo-Québécois.
Eh bien, non. Il parlait plutôt des cinq millions de dollars qu’avait coûté
l’immense love-in canadien, orchestré et financé par Ottawa quelques jours
avant le référendum. Pour ce seul événement, le fédéral avait dépensé la totalité
du budget autorisé par l’Assemblée nationale du Québec pour chacun des deux
camps du «Oui» et du «Non» et pour toute la durée de la campagne référendaire.
Ottawa avait triché, bien que la Cour suprême déclarera deux ans plus tard qu’il
était inconstitutionnel que la loi référendaire québécoise impose des limites pour
les dépenses faites à l’extérieur du Québec. Le fédéral continuera d’ailleurs sans
vergogne de financer la promotion de l’unité canadienne à même les fonds
publics, ce qui sera mis au jour en 2004, lors du scandale des commandites dont
l’ampleur sera dévoilée par la commission Gomery.
Les propos exacts de Jacques Parizeau, si vous écoutez son discours sur