Hans Peter Richter Mon ami Frédéric Traduit de l’allemand par Ghristiane Prélet Couverture et illustrations de Mette Ivers Le Livre de Poche Titre original : DAMALS WAR ES FRIEDRICH Il n’est pas inutile de rappeler au début de ce livre que l’action se situe en Allemagne, avant et pendant la seconde guerre mondiale Cet ouvrage est le texte intégral de l’édition française parue chez Desclée De Brouwer en 1963. © Hans Peter Richter, 1980. © Desclée De Brouwer, 1963 pour la traduction. © Librairie Générale Française, 1979 pour les illustrations Prologue 1925 Quelqu’un l’avait baptisé Polycarpe et il a conservé ce nom pendant toute la durée de son règne sur notre jardin. Son pantalon était vert, sa veste rouge ; bleu son bonnet de meunier. Il avait une main dans la poche, l’autre, la droite, tenait une longue pipe. Planté au milieu de la pelouse, il contemplait le jardin en homme qui jouit de son repos, le soir. Comme tous les nains de terre cuite de son espèce, Polycarpe était immuable. Lorsque l’herbe était haute au point de masquer les dahlias du jardin, la femme du propriétaire, à quatre pattes sur la pelouse, réduisait à coups de cisailles l’herbe folle à la hauteur d’une allumette. Quant au propriétaire qui s’appelait Hans Resch, on ne l’apercevait qu’aux fêtes carillonnées et par beau temps. Ces jours-là, il avançait lentement au milieu du jardin ; sa femme se hâtait de lui apporter une chaise et il s’asseyait tout près de Polycarpe, le nain de terre cuite, en respirant bruyamment. Le gros M. Resch restait une heure sur sa chaise, ni plus ni moins ; il regardait dans la rue les passants ; puis il se levait et, contournant prudemment Polycarpe, il rentrait chez lui en s’ébrouant. Les jours ordinaires, l’inspection de Polycarpe, du jardin et de la rue se faisait de la fenêtre. M. Resch n’était pas qu’un simple propriétaire. Il avait débuté dans la vie en vendant des maillots de bain, mais, avec le temps, il s’était élevé au rang de représentant de commerce en gros : d’autres représentants travaillaient maintenant pour lui et il dirigeait ses affaires par téléphone. Bref, il régnait et le faisait bien sentir ! Sa maison était son royaume, représentants et locataires étaient ses sujets. Nous habitions au premier étage, ou plutôt, non ! mes parents habitaient le premier étage : mon père était chômeur et voulait déjà prendre un logement plus petit lorsque je fis mon apparition. En 1925, la plupart des gens en Allemagne n’avaient plus un sou devant eux : la grande dévaluation venait de se produire. Pour beaucoup, l’espoir était mince de trouver un emploi. La misère et le chômage allaient croissants. C’est pourquoi mes parents se firent plus de souci encore lorsque je vins au monde. Il faudrait me nourrir, m’habiller… Juste une semaine plus tard, naquit Frédéric Schneider. Les Schneider habitaient eux aussi dans la maison, mais à l’étage au-dessus. M. Schneider était employé des postes. Mes parents le connaissaient peu. Il saluait aimablement le matin, lorsqu’il allait prendre son service, et tout aussi aimablement le soir, à son retour. À l’occasion on échangeait quelques mots. On voyait encore plus rarement Mme Schneider, une petite femme aux cheveux noirs. Elle faisait ses courses ou nettoyait son palier, mais le dernier coup de balai donné, elle disparaissait dans son appartement. Lorsqu’on la croisait, elle souriait mais ne s’attardait jamais dans la rue. Les deux naissances presque simultanées rendirent nos parents plus intimes.