Les réseaux ambition réussite Une analyse par régression sur discontinuité Jean-Paul Caille∗ Laurent Davezies† Manon Garrouste‡ Octobre 2014 Résumé Lesréseauxambitionréussite(RAR)sontundispositifd’éducationprioritairemisenplace en Franceentre 2006et 2011dansles collègesles plussocialementet scolairementdéfavori- sés. L’évaluation d’un tel dispositif se heurte à deux types de biais. D’une part, le mode de sélectiondesétablissementsdansleprogrammefaitquelesélèvestraitésréussiraientmoins bien, en moyenne, que les autres, y compris en l’absence du dispositif. D’autre part, l’unité de mise en oeuvre du programme (le collège) n’est pas nécessairement le niveau d’analyse adéquat, dans la mesure où les élèves peuvent s’auto-sélectionner dans le dispositif. Cette étude propose une stratégie permettant d’évaluer l’effet causal du programme RAR sur les résultats et les trajectoires scolaires des élèves à la fin du collège. Nous utilisons une méthode de régression sur discontinuité et une base de données originale pour construire une analyse au niveau élève. En étudiant plusieurs dimensions de réussite scolaire, nous ne trouvons pas d’effet global de la scolarisation en RAR sur les performances scolaires à la fin du collège. Cette absence d’effet moyen pourrait être dû à des effets différenciés selon les caractéristiques des élèves. Dans certains collèges, les filles bénéficient plus du dispositif que les garçons quant à la réussite au brevet des collèges et le dispositif a des effets négatifs pour certains élèves les plus favorisés socialement. Mots clés : Éducation, Politiques éducatives, Effet de traitement, Régression sur discontinuité Classification JEL : I24, I28, C21 ∗DEPP, [email protected] †CREST, [email protected] ‡INED, Université Paris I Panthéon-Sorbonne et CREST, [email protected] Lesauteurstiennentàremercierladirectiondel’évaluation,delaprospectiveetdelaperformance(DEPP) etenparticulierAgnèsBrizard,SylvieLeLaidier,FabriceMurat,ainsiqueCédricAfsaetCarolineSimonis- Sueur pour leur aide et leur investissement dans ce projet. Ils remercient Xavier d’Haultfoeuille, Denis Fougère, Nicolas Jacquemet, Miren Lafourcade, Thierry Ly, ainsi que les participants à l’atelier de la DEPP et aux séminaires du Crest, de l’Université Paris 1, du PUCA et les discutants et participants aux JMAetauxjournéesLAGVpourleursremarques,conseilsetcommentaires.Ilsremercientégalementtrois rapporteurs anonymes pour leurs suggestions. Ce travail a bénéficié du soutien matériel et financier de la DEPP et des Investissements d’Avenir (ANR-11-IDEX-0003/Labex Ecodec/ANR-11-LABX-0047). 1 Introduction L’éducation prioritaire vise à compenser les inégalités de résultats scolaires apparaissant dans les zones géographiques socialement et économiquement défavorisées. La plupart des pays développés ont mis en place des dispositifs d’éducation prioritaire à partir des années 1960-1970 et de la démocratisation scolaire, à la suite du constat que l’égalité d’accès à l’éducation ne suffisait pas à garantir l’égalité de réussite scolaire. En France, le premier dispositif d’éducation prioritaire a été créé en 1981 avec les zones d’éducation prioritaire (ZEP). Suite à la réforme de l’éducation prioritaire de 2006, les réseaux ambition réussite, ou RAR, ont été mis en place entre 2006 et 2011 dans les collèges les plus socialement et scolairement défavorisés. Ces réseaux regroupaient des écoles autour de ces collèges dans le but de créer ou de renforcer les liens entre les équipes pédagogiques. Grâce à des moyenssupplémentairesetàunprojetpédagogiquecommun,cedispositifdevaitpermettre d’améliorer la réussite scolaire des élèves dans les établissements sélectionnés. Les programmes d’éducation prioritaire sont une composante majeure des politiques sco- lairesetterritorialesetreprésententunepartieconséquentedesdépenses.EnFrance,l’édu- cation prioritaire dans sa totalité représente un surcoût d’environ un milliard d’euros par an.1 Pourtant,cesdispositifsfontl’objetdetrèspeud’étudesenregarddesmoyensimpor- tantsquiysontconsacrés.Parailleurs,lalittératureexistanterecensedesrésultatssouvent faibles, voire relativement décevants des programmes d’éducation prioritaire vis-à-vis de leur objectif de réduction des inégalités scolaires. En France, l’étude de Bénabou, Kramarz et Prost (2004 et 2009) montre que le dispositif ZEP n’a aucun impact sur les résultats scolaires. Dans leur analyse des collèges RAR, Beffy et Davezies (2013) trouvent que le dis- positif a un impact négatif sur la moyenne des notes au brevet. Aux États-Unis, Van der Klaauw (2008) montre que Title I, le dispositif fédéral d’éducation prioritaire le plus large et le plus ancien, n’améliore pas les résultats scolaires des élèves et pourrait même avoir des effets négatifs. Au Royaume-Uni, Machin, McNally et Meghir (2004 et 2010) trouvent que le programme Excellence in Cities augmente faiblement les résultats, uniquement en mathématiques, et réduit l’absentéisme. Pour une revue plus complète de cette littérature, voir par exemple Demeuse, Frandji, Greger et Rochex (2009). L’évaluation des programmes d’éducation prioritaire est une question complexe parce que deux effets sont susceptibles d’en biaiser l’analyse. D’une part, ce type de programmes cible, par définition, des populations désavantagées. Ainsi, le plus souvent, la sélection est faite au niveau des établissements sur la base de critères académiques et sociaux (éta- blissements situés dans des zones géographiques défavorisées, regroupant des élèves en difficulté scolaire, des minorités ethniques ou des catégories sociales désavantagées, etc.). En conséquence, une comparaison naïve des individus traités (au sens où ils bénéficient du dispositif)etnontraitésestintrinsèquementfaussée,puisquelespremiersontétésélection- nés parce qu’ils réussissaient moins bien que les seconds. En moyenne, les individus traités ont de moins bons résultats scolaires que les individus non traités, non pas à cause du pro- gramme en lui-même, mais parce que la population traitée est différente ex ante du reste 1. Éducation prioritaire. - Tableau de bord national, Direction générale de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale. 2 de la population. On parle couramment de biais de sélection pour qualifier cet effet. Pour remédier à ce problème classique dans la littérature, une solution est de chercher à compa- rer la population traitée avec un groupe de contrôle, qui ne bénéficie pas du programme, mais est comparable au groupe traité. C’est ce qui est fait avec l’utilisation de variables instrumentales (Benabou, Kramarz, Prost, 2009), de méthodes de différence en différence (Machin, McNally et Meghir, 2004 et 2010; Benabou, Kramarz, Prost, 2004 et 2009) ou de méthodes de régression sur discontinuité (Beffy et Davezies, 2013; Van der Klaauw, 2008). Une deuxième source de difficulté pour l’évaluation est spécifique aux dispositifs d’éduca- tion prioritaire : ces dispositifs ciblent des établissements et non des élèves, or les élèves peuvent choisir (dans une certaine mesure) leur établissement de scolarisation. Dès lors, il est difficile d’évaluer des effets individuels, car cela nécessite de prendre en compte les choixdescolarisationouderésidencedesindividus.Ilsepourraitquelesindividussesélec- tionnent dans ou en dehors du programme en choisissant (ou, au contraire, en évitant) un établissement bénéficiant du dispositif (Fack et Grenet, 2013; Murat et Thaurel-Richard, 2013). Par la suite, on parlera d’effet de "composition" pour qualifier ce deuxième type de biais, parce que l’auto-sélection des élèves dans les établissements modifie la composition des établissements traités. Les méthodes utilisées jusqu’à maintenant dans la littérature ne permettent pas de contrôler ce biais de manière crédible. Notre objectif est d’évaluer l’effet causal du dispositif RAR sur les résultats scolaires. À notreconnaissance,iln’existequ’uneseuleétudeayantcherchéàanalyserceteffet.Ils’agit de l’étude de Beffy et Davezies (2013), qui analyse l’impact causal moyen du programme RAR au niveau des collèges. Dans la présente étude, nous proposons une stratégie per- mettant d’identifier l’effet causal individuel du programme RAR sur les résultats scolaires. Pour pallier le premier type de biais (biais de sélection), nous utilisons une méthode de ré- gressionsurdiscontinuité.Pourcela,nousnousinspironsfortementdelaméthodeproposée par Beffy et Davezies. Mais là où la précédente analyse est faite au niveau établissement, nous utilisons des données individuelles originales et un critère de proximité géographique pour construire une analyse au niveau élève et prendre en compte également d’éventuels effets de composition. À notre connaissance, il s’agit de la première étude à utiliser la lo- calisation géographique pour analyser l’effet causal d’un dispositif d’éducation prioritaire et à prendre ainsi en compte l’auto-sélection éventuelle des élèves dans les établissements. Nousnetrouvonspasd’effetdelascolarisationenRARsurlesrésultatsdesélèvesaubrevet descollèges,nisurleurdevenirscolairecinqansaprèsleurentréeen6ème.L’absenced’effet moyen pourrait cependant provenir d’effets différenciés sur des sous-populations d’élèves; dans certains collèges, la scolarisation en RAR semble augmenter la probabilité d’obtenir le diplôme du brevet pour les filles affectées de manière exogène au dispositif, alors que le résultat est inverse pour les garçons. Il semble également exister des effets négatifs pour certains des élèves les plus favorisés socialement qui sont scolarisés en RAR de façon exogène. Cette étude est organisée de la manière suivante. Nous commencerons par décrire plus pré- cisément le programme RAR. Puis nous présenterons les données utilisées dans l’analyse économétrique avant d’expliciter la méthodologie adoptée et le modèle utilisé. Nous décri- 3 ronsensuitelesrésultatsdenotreanalyse.Nousconcluronsendiscutantdel’interprétation à donner à ces résultats. 2 Les réseaux ambition réussite La réforme de 2006 a modifié en profondeur l’organisation de l’éducation prioritaire. De- puis la rentrée scolaire 1999, celle-ci concernait 1 100 établissements secondaires (dans la presquetotalitédescollèges),dont876étaientclassésenzoned’éducationprioritaire(ZEP) et224associésàcesderniersdanslecadred’unréseaud’éducationprioritaire(REP).L’or- ganisation mise en place à la rentrée scolaire 2006 répartit ces établissements dans deux typesderéseauxbiendistincts.Les"réseauxambitionréussite"ouRARaccueillentles249 collèges les plus en difficultés, les autres collèges intégrant les "réseaux de réussite scolaire" (RRS).2 Ce nouveau dispositif vise à renforcer l’efficacité de l’éducation prioritaire en en améliorant le pilotage et en donnant plus de moyens aux équipes pédagogiques qui en ont le plus besoin. Comme le rappelle la circulaire du 30 mars 2006 définissant les principes de la réforme, "le réseau structure la nouvelle organisation de l’éducation prioritaire". Chaque réseau ambition réussite est constitué d’un collège et des écoles primaires et maternelles d’où proviennent ses élèves. L’objectif du réseau est de créer et de renforcer les relations entre les équipes pédagogiques des différents établissements qui le constituent afin d’assurer une continuité dans la prise en charge pédagogique des élèves tout au long de leur cursus à l’école et au collège. Il permet de mutualiser les objectifs et les pratiques pédagogiques. Il est piloté par un comité exécutif comprenant le principal du collège, son adjoint, les direc- teurs des écoles concernées ainsi que l’inspecteur de l’éducation nationale en charge de la circonscription. Les objectifs pédagogiques du réseau et les moyens mis en oeuvre pour les atteindre sont formalisés dans un "Contrat Ambition Réussite" qui engage les établisse- ments pour une durée de quatre ou cinq ans. Au niveau de l’établissement, le pilotage de l’éducationprioritaireestrenforcéparlamiseenplaced’uneindividualisationdesparcours, au travers d’actions de soutien scolaire spécifiques et de la généralisation de l’aide aux de- voirs. Une attention toute particulière est accordée au processus d’orientation. Pour ouvrir les perspectives des élèves, chaque collège RAR est appelé à développer un partenariat avec une institution culturelle ou sportive d’excellence. Enfin, une coopération renforcée avec la famille est mise en oeuvre au travers d’actions telles que la remise des bulletins en main propre aux parents, l’implantation de salle exclusivement dédiée aux relations parents-enseignants, le recours à des interprètes pour les parents non francophones. Le renforcement des équipes pédagogiques est une composante essentielle de la réforme. 2. Le dispositif RAR a pris fin à la rentrée scolaire 2011 quand il a été remplacé par le programme "écoles,collèges,lycéespourl’ambition,l’innovationetlaréussite"(Eclair).245des254collègesquiétaient engagés dans un RAR à la rentrée 2010 ont été labellisés Eclair. À la différence des RAR exclusivement ciblés sur les collèges, le label Eclair est étendu à 35 lycées. À la rentrée 2015, la carte de l’éducation prioritaire sera redéfinie dans le cadre d’un nouveau programme REP et REP+. Le nouveau dispositif gardera l’architecture en deux types de réseaux distincts adoptée en 2006. L’éligibilité des établissements se fera sur la prise en compte d’un indice social à quatre paramètres : taux de PCS défavorisées, taux de boursiers, taux d’élèves résidant en zone urbaine sensible, taux d’élèves en retard à l’entrée en 6ème. 4 Elle se concrétise par l’attribution aux réseaux ambition réussite de moyens supplémen- taires devant permettre le recrutement de 1 000 enseignants supplémentaires et de 3 000 assistantspédagogiques.Recrutéssurprofil,lesprofesseurssupplémentairesconsacrentune part importante de leur activité exclusivement aux RAR. La circulaire du 30 mars 2006 prévoit en effet que leur service d’enseignement devant des classes constituées ne peut être supérieur à un mi-temps. Le bilan du fonctionnement des RAR réalisé par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO)3 montre qu’au cours de l’année scolaire un quart d’entre eux consacraient la totalité de leur temps d’enseignement à leurs missions spécifiques et que 38% d’entre eux étaient en charge d’une classe attitrée pour moins de la moitié de leurs temps. La classe qui leur est confiée est le plus souvent une classe de sixième. Appelés selon les académies "professeur référent" ou "professeur d’appui", ces enseignants supplémentaires exercent leur activité dans quatre directions. Ils ont un rôle déterminant dans l’individualisation des parcours : prise en charge de groupes d’élèves dans le cadre des programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) ou de l’aide aux devoirs, ou d’actions spécifiques d’approfondissement, de remédiation ou de lutte contre le décrochage scolaire. Par ailleurs, ils sont fortement impliqués dans le fonctionnement du réseau : animation pédagogique, à destination tant des professeurs du collège que ceux des écolesrattachées,aideàlaconceptionetàlaréalisationdes"ContratsAmbitionRéussite". Ils prennent aussi en charge les relations avec les partenaires extérieurs, familles et lycées d’accueil en fin de collège. Enfin, ils coordonnent les activités des assistants pédagogiques. La mission principale de ces derniers est d’apporter un soutien scolaire aux élèves dans le cadre d’actions de remise à niveau spécifiques individuelles ou en groupe et d’aide aux devoirs. Au cours de l’année scolaire 2009-2010, 54% des assistants pédagogiques assurent l’aideauxdevoirs,48%travaillentdemanièreindividualiséeset43%danslecadredepetits groupes.3 Parallèlementàl’attributiondecesmoyensspécifiques,lescollègesRARsedistinguentdes autres collèges par un nombre moyen d’élèves par division sensiblement plus faible : il y a, en moyenne, 20 élèves par classe, ce qui représente quatre élèves en moins par rapport à la situation des collèges n’appartenant pas à l’éducation prioritaire.3 On notera que si le renforcement des équipes pédagogiques mobilise des moyens supplémentaires importants, la manière dont ces moyens ont été mis en place dans les établissements est peu visible statistiquement. Aucun fichier statistique ne permet de caractériser les collèges selon le nombre d’enseignants supplémentaire ou d’assistants pédagogiques dont ils bénéficient ou encoreselonlespratiquespédagogiquesmisesenoeuvredanslecadredescontratsAmbition Réussite. La sélection des collèges en RAR s’est faite sur la base de critères académiques et sociaux, mesurés au niveau national durant l’année scolaire 2004/2005. Les critères retenus étaient la proportion d’élèves issus de catégories sociales défavorisées4 dans l’établissement et le 3. Bilannationaldesréseaux"ambitionréussite",Directiongénéraledel’enseignementscolaire,Minis- tère de l’éducation nationale, 2010 4. Les élèves issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées ont été définis comme les enfants d’ouvriers, retraités anciens ouvriers ou anciens employés, ou inactifs. 5 degré de réussite scolaire des élèves à l’entrée en 6ème, appréhendé principalement5 par le retard scolaire. Pour être éligible au dispositif RAR, un collège devait avoir au moins 67% de ses élèves issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées et au moins 10% d’élèves ayant redoublé au moins deux fois à la rentrée de 6ème. Ces deux critères ont été définis arbitrairement de façon à ce que les établissements sélectionnés représentent environ 5% des élèves; il s’agissait de cibler les 5% d’élèves les plus désavantagés socialement et scolai- rement. Ces critères n’ont pas déterminé à eux seuls la sélection dans le dispositif, d’autres ajustements ont fait que certains établissements au-dessus des seuils ne sont finalement pas entrés dans le dispositif et vice versa. Le coût additionnel spécifique des RAR a été estimé à environ 325 millions d’euros pour l’année budgétaire 2008.3 Cela représente environ 811 euros supplémentaires par élèves et par an, soit approximativement 10% des dépenses moyennes annuelles par collégien. 90% du coût additionnel correspond au financement des postes d’enseignants et d’assistants pédagogiques. 3 Données Pour mener notre analyse, nous utilisons des données exhaustives fournies par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), au niveau des élèves d’une part et au niveau des établissements d’autre part. Les données concernant les élèves sont issues des fichiers "anonymisés" d’élèves pour la recherche et les études (FAERE). Ces fichiers regroupent des informations sur l’ensemble desélèvesscolariséschaqueannéedepuis2003.Danscetteétude,nousconsidéronslesélèves entrantsen6èmeen2006eten2007,soitlesdeuxpremièrescohortesd’élèvesconcernéspar la mise en place des RAR. Les élèves entrés en 6ème plus tard ne sont pas pris en compte, d’une part parce qu’à la date de la réalisation de l’étude, il n’était pas possible d’observer leurs résultats au brevet des collèges et leur devenir quatre à cinq ans plus tard et d’autre partparcequeledispositifapuavoir,àlongterme,deseffetssurlesstratégiesrésidentielles et de scolarisation en primaire, ce qui biaiserait notre analyse (cf. parties 4.1 et annexe A). Les données mobilisées permettent d’observer certaines caractéristiques individuelles et sociodémographiques de ces élèves telles que le sexe, la catégorie socioprofessionnelle des parents et le statut éventuel de boursier. Le croisement de ces données avec celles du fichier exhaustif du diplôme national du brevet permet de connaître les résultats au brevet de chacun des élèves.6 La formation suivie par les élèves au sortir du collège est aussi connue. Les données utilisées renseignent également l’établissement fréquenté chaque année par ces élèves ainsi que la localisation géographique exacte de cet établissement. 5. Certainesacadémiesontaussiutilisécommecritèred’éligibilitédesétablissementsaudispositifRAR lesévaluationsnationalesdesixième.Mais,outrequececritèren’apasétéutilisépartouteslesacadémies, cesévaluationsnefontpasl’objetd’uneremontéenationalequipermettraitdedisposerdesrésultatspour tous les collèges. C’est pourquoi ce critère n’a pas été retenu dans cette étude. 6. Pour chaque cohorte, nous avons pu observer deux sessions consécutives du brevet. Nous observons donclesrésultats aubrevety comprispour lesélèvesayantredoubléunefoisau coursducollège.Dansle cas où un élève était présent aux deux sessions à la fois, nous avons gardé ses résultats à la première des deux. 6 En particulier, nous savons si cet établissement fait partie d’un RAR ou non, et donc quels sont les élèves bénéficiant du programme RAR chaque année. Dans cette étude, nous considérerons comme variable de traitement le fait d’être scolarisé dans un collège RAR en 6ème. Puisque nous suivons les élèves chaque année, il est également possible de considérer le fait d’être scolarisé en RAR pendant toute la durée du collège. Cependant, la grande majorité des élèves (plus de 80%) sont scolarisés dans le même collège pendant toute la durée du premier cycle. Par ailleurs, si l’on retient cette variable alternative, les résultats sont sensiblement les mêmes que ceux présentés dans les parties suivantes. Enfin, nous savons quelle est l’école primaire fréquentée par l’élève l’année précédant son entrée en 6ème et la localisation géographique exacte de cette école. Nous utilisons d’autre part une base de données exhaustive des établissements scolaires. Dans notre analyse, nous considérons l’ensemble des collèges publics7 situés en France métropolitaine. Cette base nous permet d’établir, pour chacun de ces collèges, la propor- tion d’élèves issus de catégories sociales défavorisées et la proportion d’élèves en retard à l’entrée en 6ème en 2004/2005. Nous savons donc, pour chaque collège, s’il était éligible au programme RAR ou non. Nous observons également la localisation géographique exacte de chacun de ces collèges. La combinaison de ces deux bases de données permet de définir, pour chaque élève, le collège public le plus proche, en utilisant la plus petite distance (distance euclidienne) à l’école primaire fréquentée avant l’entrée en sixième. La stratégie d’identification, que nous allons présenter en détail par la suite, repose sur le postulat que des élèves situés à proximité de collèges "comparables" avant la mise en place de la politique sont eux-mêmes "comparables" en termes de caractéristiques individuelles observables et inobservables. L’analyse est restreinte aux élèves résidant en France métropolitaine.8 Au total, 1 098 636 élèves sont observés, dont 531 729 sont entrés en 6ème en 2006 et 566 907 en 2007. Parmi eux, 28 517 sont scolarisés en RAR en 6ème, soit 3% de la population étudiée. Une première analyse des données montre que les élèves scolarisés dans des collèges RAR présentent un profil scolaire et social sensiblement différent de celui des autres élèves. 69% d’entre eux sont admis au brevet des collèges quatre ou cinq ans après l’entrée en sixième, contre 87% des élèves non RAR. En moyenne, les élèves de RAR obtiennent 8 sur 20 à l’examen terminal du brevet, contre 11 sur 20 pour les élèves non RAR. À l’issue du collège, 43% des élèves entrés en RAR en 6ème poursuivent leurs études vers le second cycle général et technologique, contre 62% des élèves non RAR. Dans la mesure où le dispositif RAR cherche à cibler des élèves socialement et scolairement désavantagés, ces différences ne sont pas surprenantes et peuvent en partie provenir du fait que les élèves fréquentant un collège classé en RAR en 6ème constituent une population qui n’est pas directement comparable aux élèves non scolarisés en RAR. En effet, les élèves scolarisés 7. Dans la base des établissements, nous considérons uniquement les collèges publics car les collèges privés n’étaient pas éligibles au dispositif RAR en 2006 et 2007. Dans la base des élèves, nous observons néanmoins l’ensemble des élèves, y compris ceux qui sont scolarisés dans le secteur privé. 8. Les collèges de DOM ont été beaucoup plus fréquemment sélectionnés en RAR. De ce fait, nous n’observerionspasd’individuscontre-factuels(similaires,maisnebénéficiantpasduprogramme)pourles élèves résidants dans les DOM. 7 en RAR en 6ème sont en moyenne plus âgés à l’entrée en 6ème que les élèves non RAR (de 0.21 an, soit environ 2 mois et demi). En moyenne, ils sont plus souvent issus de CSP défavorisées. Ils bénéficient également plus fréquemment d’une bourse que les autres collégiens.Surcesdeuxcritères,lesdifférencessonttrèsprononcéespuisquelesélèvesRAR et non RAR sont séparés respectivement par 39 et 47 points d’écart (tableau 1, page 12). Ces statistiques descriptives montrent que les élèves qui sont scolarisés dans des collèges RAR ont des caractéristiques observables différentes ex ante du reste de la population. Il est donc prévisible que leurs résultats scolaires soient différents de ceux des élèves non RAR, y compris en l’absence du dispositif. 4 Méthodologie 4.1 Stratégie d’identification Pour estimer l’effet de la scolarisation en RAR sur les résultats scolaires, nous utilisons la modélisation proposée par Rubin (1974). Soit T la variable de traitement, dans notre cas, i T vaut 1 si l’élève i est scolarisé dans un collège RAR en 6ème et 0 sinon. La variable Y i i est une mesure de la réussite scolaire de l’élève i (admission au brevet, note en français, mathématiques, etc.). Y (0) et Y (1) sont les variables potentielles associées à la partici- i i pation au programme RAR. Autrement dit, Y (1) est la valeur de la variable d’intérêt si i l’élève i est scolarisé en RAR en 6ème et Y (0) est la valeur de la variable sinon. Pour un i même individu i, une seule de ces deux situations est observée. La valeur observée de Y pour l’individu i est donc : Y = Y (0)+T (Y (1)−Y (0)) i i i i i ou encore : Y = α +T β i i i i Le coefficient d’intérêt est β qui représente l’effet d’être scolarisé dans un collège RAR sur i les résultats scolaires de l’élève i. Bien sûr, pour identifier cet effet, il faudrait observer, pour le même individu i, la variable d’intérêt dans deux états du monde, ce qui n’est pas possible. Il est en revanche possible, sous certaines hypothèses, d’estimer E(β |i ∈ P), i l’effet moyen du traitement sur une sous-population P. Par exemple, sous l’hypothèse d’affectation aléatoire au traitement T ⊥⊥ Y (0),Y (1), une comparaison de moyennes ou i i i une régression par les moindres carrés ordinaires (MCO) fournit un estimateur convergent de l’effet moyen du traitement sur toute la population. Cependant, dans le cas où l’affectation au traitement n’est pas aléatoire, l’estimation de ce coefficient par une régression MCO classique est faussée par deux types de biais. D’une part, comme mentionné dans la partie précédente, les résultats scolaires potentiels moyens des élèves scolarisés en RAR seraient différents des résultats potentiels des autres élèves, même en l’absence de traitement, parce que les établissements RAR ont été sélectionnés sur la base d’un désavantage scolaire et social (biais de sélection). Autrement dit, le co- efficient estimé par les MCO capterait en partie le fait que les élèves scolarisés en RAR 8 réussiraient en moyenne moins bien que les autres, même s’ils n’avaient pas été scolarisés en RAR. D’autre part, les élèves scolarisés en RAR (ou non) ont pu se sélectionner dans ou en dehors du traitement en choisissant (ou en évitant) un établissement RAR (biais de composition). Le coefficient estimé par les MCO capterait alors en partie le fait qu’en rai- son du traitement, la composition des établissements RAR est différente de la composition des autres établissements (Beffy, Davezies, 2013). Notrestratégiereposesurlacomparaisond’élèvesdontlecollègeleplusprochedeleurécole primaireprécédenteestjusteau-dessusdesseuilsd’éligibilitéauprogrammeavecdesélèves dontlecollègeleplusprocheestjusteau-dessousdesseuils.Eneffet,lescritèresd’éligibilité au programme RAR créent une discontinuité dans la probabilité pour un établissement d’être sélectionné en RAR. Ainsi, les collèges qui ont plus de 67% d’élèves issus de CSP défavorisées et plus de 10% d’élèves redoublants ont une probabilité plus élevée de faire partied’unRAR.Onparledediscontinuité"fuzzy"(floue)parcequelefaitd’êtreau-dessus des seuils ne signifie toutefois pas nécessairement faire partie d’un RAR. Certains collèges sont au-dessus des seuils et ne font pas partie du dispositif et certains collèges au-dessous des seuils en font partie. Ces discontinuités dans l’affectation des établissements ont été mises en évidence pour la première fois par Beffy et Davezies (2013). En utilisant ces discontinuités, ils montrent que l’encadrement des élèves est amélioré dans les collèges RAR, mais que cette augmentation des moyens est bien plus faible qu’attendue. Ils trouvent également que la population a été modifiée dans les établissements RAR, la proportion d’enfants d’ouvriers augmentant et la proportion d’enfants d’employés diminuant. Enfin, ils montrent que le programme a un impactnégatifsurlesrésultatsmoyensaubrevetdanslesétablissementsRAR.Cependant, puisque cette précédente analyse est faite au niveau des collèges, il n’est pas possible d’y distinguer l’effet du programme RAR sur les élèves d’éventuels effets de composition. Une analyse au niveau établissement n’est donc pas suffisante pour évaluer l’effet des RAR. Dans cette étude, nous menons une analyse au niveau élève. Il s’agit de prendre en compte un éventuel effet de composition en déplaçant l’analyse à un niveau plus fin. Le principe de notre stratégie est le suivant : la probabilité individuelle d’être scolarisé en RAR augmente de façon discontinue lorsque le collège le plus proche est au-dessus des seuils d’éligibilité. Ainsi, certains élèves sont traités de façon exogène; uniquement parce que le collège le plus proche est au-dessus des seuils d’éligibilité. Sous l’hypothèse que les élèves vivant près de collèges qui se trouvent juste au-dessous et juste au-dessus des seuils sont similaires, alors toute discontinuité dans les variables d’intérêt pourra être interprétée comme un effet causal du programme. Lafigure1montredeuxnettesdiscontinuitésdanslaprobabilitéindividuelled’êtrescolarisé en RAR en 6ème. La probabilité pour un élève d’être scolarisé en RAR en 6ème augmente fortement lorsque son collège le plus proche est au-dessus du seuil de 67% d’élèves issus de CSP défavorisées. Cette probabilité augmente également de façon discontinue lorsque le collège le plus proche est au-dessus du seuil de 10% d’élèves redoublants.9 9. Le collège le plus proche n’est pas nécessairement le collège fréquenté (ce n’est pas forcément l’éta- 9 Figure 1 – Probabilité individuelle d’être scolarisé en RAR en 6ème probabilité individuelle d'être scolarisé en RAR 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 90 88 22 86 20 84 18 82 16 80 78 14 76 12 74 10 pourcentage d'élèves 72 70 6 8 pourcentage d'élèves 68 en retard dans le de CSP défavorisées 66 4 dans le collège le plus proche 64 2 collège le plus proche 62 0 60 58 Source : MEN-MESR DEPP, FAERE 2006 et 2007 Note : Ce graphique présente en ordonnée la probabilité estimée d’être scolarisé en RAR en 6ème, en abscisselaproportiond’élèvesissusdeCSPdéfavoriséesdanslecollègeleplusproche,etenprofondeurla proportion d’élèves ayant redoublé au moins deux fois dans le collège le plus proche. Nous considérons les deux discontinuités séparément, c’est-à-dire que nous estimons d’une part l’effet du programme autour du seuil de 10% d’élèves ayant redoublé dans le collège le plus proche (discontinuité d10, figure 2), et d’autre part l’effet du programme autour du seuil de 67% d’élèves issus de CSP défavorisées dans le collège le plus proche (discontinuité d67). Pour chaque individu i, on définit ZL la proportion d’élèves ayant redoublé au moins deux i fois dans le collège le plus proche de l’élève i et ZF la proportion d’élèves issus de CSP i défavorisées dans le collège le plus proche de l’élève i (mesurées durant l’année scolaire 2004-2005). La probabilité individuelle d’être scolarisé dans un collège RAR en 6ème est discontinue en (ZL,ZF) aux seuils zL = 10% et zF = 67%. C’est-à-dire : lim P(T = 1|ZL = zL,ZF = zF) > lim P(T = 1|ZL = zL,ZF = zF),∀zF ∈ I = [67,80] i i i i i i F zL↓10 zL↑10 lim P(T = 1|ZF = zF,ZL = zL) > lim P(T = 1|ZF = zF,ZL = zL),∀zL ∈ I = [10,100] i i i i i i L zF↓67 zF↑67 blissementdesecteur,etl’élèvepeutêtrescolarisédansleprivé).Cecineremetpasencausenotreanalyse, dès lors qu’un élève proche d’un collège A au-dessus des seuils et qui irait à la rentrée de sixième dans un collège B (éventuellement différent de A) ne serait pas allé dans un collège RAR si le collège A avait été en-dessous des seuils. 10
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