ebook img

les dernières amours de l'impératrice joséphine PDF

14 Pages·2008·0.44 MB·French
by  
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview les dernières amours de l'impératrice joséphine

LES DERNIÈRES AMOURS DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE i En épousant la veuve du général de Beauharnais dont il était passionnément épris, Bonaparte n'ignorait point son « passé ». Peu après leur union, il lui avait, en effet, écrit d'Italie : « J'aimais tout en toi, jusqu'au souvenir de tes erreurs... ». A Paris, à la mi- mars, et en Egypte, le 19 juillet 1798, il avait appris en gros, puis en détail, comment elle l'avait trahi avec Hippolyte Charles. Il lui avait pardonné à sort retour d'Egypte, mais sans rien oublier ; vingt ans plus tard, il fera au général Bertrand un portrait sévère de « ce petit adjudant de l'état-major de Berthier, nommé Charles ». A Saint-Hélène encore, il dira en badinant à Las Cases que, pour le suivre, l'Impératrice « aurait sacrifié Un rendez-vous d'amour ». Il confiera à Bertrand : « Je l'ai réellement aimée, je ne l'estimais pas... J'ai souvent voulu divorcer avec elle. Sa conduite n'était pas très régulière. » A Gourgaud enfin, il posera, le 25 sep tembre 1817, cette singulière question : — Je crois bien qu'elle m'en a fait porter ? Et Gourgaud de répondre : — On le dit, Sire. — Avec qui ? — Avec Berckheim. — Non, riposte Napoléon, c'était un jeune homme que je ne veux pas nommer. Qui était Berckheim ? Quel était ce « jeune homme » tenu par l'Empereur pour l'amant de l'Impératrice ? Quand et dans quelles circonstances celle-ci les avait-elle rencontrés ? Telles sont les questions auxquelles nous sommes aujourd'hui en mesure de répondre. LES DERNIÈRES AMOURS DR L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE 671 Le printemps de 1806 fut, à Paris, une époque d'allégresse ; tout à la joie de la victoire d'Austerlitz et à l'espoir que la paix de Presbourg serait durable, bien des cœurs battirent à l'unisson. Joséphine, qui venait de marier son fils à la fille du roi de Bavière ef allait marier sa nièce Stéphanie de Beauharnais au prince hérédi taire de Bade, était à l'apogée de ce qu'elle appelait « ma position ». Elle était évidemment agacée des attentions que sori"mari témoignait à Stéphanie ; elle soupçonnait sans doute que chez les Murât, Napoléon venait de rencontrer la jolie Eléonore Denuelle de Laplaigne qui, en décembre, allait lui donner un fils. Mais les Beauharnais étant maintenant alliés à deux familles régnantes,-sa crainte d'un divorce s'était apaisée, Le mariage de sa nièce lui per mettait de faire admirer des robes fort élégantes en des soirées éblouissantes. L'humeur de son mari, assombrie à la fin de janvier par la crise financière, était redevenue excellente et il n'hésitait pas à écrire à Eugène de Beauharnais qu'au cours d'une partie de campagne chez les Bessières, il s'était « amusé comme un enfant ». Ainsi ordonnait-il, quelques jours plus $ard, le premier bal masquée qui fut donné aux Tuileries sous son règne. Ce fut en ce printemps, durant lequel Mme deCanisy,dame du Palais, s'éprenait pour la vie du général de Caulaincourt, fils d'un ancien soupirant de Joséphine, que celle-ci s'éprit de Sigismond Frédéric de Berckheim, ami des Caulaincourt, et qui appartenait depuis dix mois à sa maison. De bonne noblesse alsacienne, de belle prestance, ce superbe officier de cavalerie avait trente-quatre ans, étant né à RibeauvUlé le 9 août 1772. Il avait débuté à dix-sept ans comme sous-lieutenant * au régiment de La Marck. En octobre 1801, il n'était encore que capitaine à la suite au 2e régiment de carabiniers, quand la chance lui avait souri. Son colonel, Armand de Caulaincourt, avait été chargé par le Premier Consul d'une mission diplomatique auprès du tsar Alexandre Ier. Caulaincourt avait obtenu, à son tour, que son ami et contemporain Berckheim l'accompagnât. Partis pour Pétersbourg le 18 octobre, tous deux revenaient à Paris, le 18 août 1802, avec des diamants offerts par le tsar et pour apprendre que Bonaparte, satisfait d'eux, venait de nommer Caulaincourt son aide de camp et Berckheim capitaine en pied. Continuant à compter au même régiment, l'un et l'autre étaient désormais 672 LA REVUE assurés d'un bel avenir. Berckheim portait ainsi le casque à chenille rouge, la cuirasse cuivrée et les culottes de daim blanc de capi taine au 2e carabiniers, quand Napoléon l'avait choisi^ le 6 mars 1805, pour être l'un de ses écuyers. En juin, il l'avait attaché à la Maison de l'Impératrice comme écuyer cavalcadour ; en juillet, promu chef d'escadron, Berckheim devait rejoindre sur les côtes de la Manche son régiment prêt à s'embarquer pour l'Angleterre. Le 26 juillet, il prenait congé à Saint-Cloud de Joséphine, qui le chargeait de porter à sa fille Hor- tense, alors aux eaux de Saint-Amand, une lettre et un collier d'améthystes et à son petit-fils Napoléon de jolis jouets (1). Berck heim, ayafit remis les uns et les autres en mains propres, avait rejfeint son unité ; puis il avait participé au rapide transfert de la Grande Armée en Allemagne et à la foudroyante campagne d'Aus- terlitz. Ce fut donc entre la fin d'avril et la fin de septembre 1806, et à Saint-Cloud, que le sentiment de Joséphine pour son bel écuyer prit un coloris plus vif. Quand, le Ier octobre, Napoléon quitta celle-ci à Mayence quelques courtisans remarquèrent que l'Impé ratrice voyait partir à regret son écuyer avec l'Empereur. Elle devait être séparée des deux pendant près d'une année. Berckheim accompagna Napoléon à Iéna, à Berlin, puis à Varsovie, tandis que Joséphine, restée à Mayence, brûlait d'envie d'aller les rejoindre. A la fin de janvier 1807, Napoléon quittait Varsovie pour aller attaquer à Eylau l'armée russe. Sur son ordre, Joséphine regagnait alors la Malmaison. Mme de Rémusat, reprenant auprès d'elle ses fonctions de dame du Palais, la trouve assombrie par la liaison à Varsovie de son ' mari et de Mme Walewska qu'elle avait apprise aussitôt nouée, par des dames polonaises de Paris. Et Mme de Rémusat ajoute : « Quelques-uns de ceux qui l'entouraient prétendaient que, dans sa tristesse, il y avait un peu d'un sentiment tendre qu'elle éprouvait depuis un an pour un jeune écuyer de l'empereur alors absent comme lui. » Les inquiétudes de Joséphine au sujet de M. de Berckheim, qui avait neuf ans de moins qu'elle, n'étaient point chimériques. Le 8 février 1807, à la sanglante bataille d'Eylau, un autre de ses (t) La lettre qu'il emportait contenait ces lignes : « Je charge un de mes écuyers, qui va rejoindre son régiment, de te remettre cette lettre, ma chère Hortense, et de remettre aussi a Napoléon des joujoux... M. Bergheim (lire Berckheim) te remettra un collier que j'ai acheté à Milan ; ce sont des améthystes gravées qui iront très bien sur ta belle peau blanche. > LES DERNIÈRES AMOURS DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE 673 écuyers, le général Corbineau, est tué par une balle, et elle écrit à son fils Eugène : « J'ai été bien affectée par la perte de tant de braves et surtout celle du général Corbineau, un de mes écuyers... Tout cela est bien triste et ce qu'il y a de plus affreux, c'est la manière dont l'Empereur s'est exposé ». Pour sa belle conduite à Eylau, Berckheim est nommé le Ier avril colonel du Ier régiment de cuirassiers, magnifique unité à la tête de laquelle il charge à Heils- berg et à Friedland, contribuant ainsi à la victoire et à la paix deTilsitt. Joséphine eût la joie de revoir Berckheim sain et sauf dans l'été de 1807. Peut-être ne fut-elle pas étrangère à la donation de quatre mille francs de rentes qui lui fut accordée par l'Empereur au début de 1808. Absorbé par son régiment, le colonel de cuiras siers ne semble pas avoir été du long séjour que le couple impérial fit à Bayonne. Joséphine le revit sans doute à la Malmaison à l'époque d'Erfurt. Mais il fut contraint de repartir au début de 1809 pour aller se battre à Èckmiihl, Ratisbonne, Essling et Wagram. Il y gagna, en juillet 1809, le grade de général et, en septembre, le commandement d'une brigade de grosse cavalerie. Il y perdit, en revanche, le tendre intérêt que lui portait sa souveraine. Fatiguée de toujours trembler pour un ami qui, comme son époux, la délaissait pour faire la guerre, celle-ci venait de prendre du goût pour ce gentil « jeune homme » dont Napoléon préférera taire le nom, et qui, lui, était le plus aimable des civils. Pour en finir avec Berckheim, ajoutons que, rayé de la maison de l'Impératrice lors du divorce, il reprendra son rang d'écuyer dans celle de l'Empereur. Devenu en mai 1810, baron de l'Empire, il servira en Allemagne en 1811, fera la campagne de Russie ; puis devenu divisionnaire, se distinguera à la bataille d'Arcis-sur-Aube. Rallié à la première Restauration, Berckheim apprendra sur les bords du Rhin la mort de son auguste amie. Député de 1815 à 1817, il épousera en 1818 Elisabeth Bartholdi et connaîtra à peine son fils unique, mort en bas âge, car il disparaîtra lui-même à Paris, le 18 décembre 1819, à l'âge de quarante-sept ans, ignorant que son nom serait gravé un jour sur l'Arc de Triomphe. Joséphine avait éprouvé son premier battement de cœur pour Berckheim à une des époques les plus heureuses de sa vie. Ce fut LA BEVUE N» 20 4 674 LA REVUE &i des jours plus sombres qu'elle échangea ses premiers sourires avec ce « jeune homme » qui se nommait Lancelot, comme le Valet de carreau, alors qu'il allait, à cœur, faire une impériale levée. Né à Paris, le 9 juillet 1782, Lancelot Théodoré Turpin était le fils de Lancelot Théodore, marquis de Crissé, et d'Emilie-Sophie de Montulé (I). Il pouvait sans ridicule se prétendre l'arrière petit- neveu de l'évêque Turpin, pair de Charlemagne et l'un dés héros* de la Chanson de Roland. Sans remonter aussi loin, ses ancêtres paternels, depuis Charles Turpin, comte de Vihers et baron de Crissé, avaient successivement épousé Eléonore de Crevant, Suzanne Chenu, Anne-Marie de Coulanges, Marie-Claude d'Egligny et Gatorielle de Lusignan. Par cette aïeule Théodore était lé cousin germain du marquis de Lusignan dont l'héritage semblait devoir lui revenir. Il en avait grand besoin, les siens ayant été ruinés par la Révolution et lui-même exerçant une profession peu lucrative. Petit-fils du comte Turpin dé Crissé1, ancien mestre de camp aux hussards de Bercheny qui, s'étant distingué à Raucoux, LaW- feld et Maestricht, était devenu, en 1780, lieutenant général et en 1787, cordon rouge ; fils de Henri Roland, marquis de Turpin, chevalier de Saint-Louis, qui commandait en 1789 les hussards de Bercheny; neveu de Henri de Turpin, major en second du régiment de Forez, et de M. de Carondelet, capitaine au régiment d'Auxerrois, Théodore était destiné dans sa prime enfance à pro longer cette lignée de soldats. Or, il était aujourd'hui artiste peintre et avait suivi en cela une autre tradition de sa famille. Son aïeul, le lieutenant général, axlû- vant les lettres et aimant les arts, était l'auteur d'une douzaine de savants volumes. Veuf de Gabrielle de Lusignan, il avait épousé en secondes noces la ravissante fille du maréchal de Lowendal qui était elle*même l'un des auteurs du roman La Journée de l'Amour ou les heures de Cythère et s'était faite l'éditrice des Œuvres complètes de Voisenoh. Sa jolie silhouette et son attrayant visage avaient inspiré à leur ami Fragonard un tendre sentiment et de gracieuses estampes sur lesquelles elle arborait un aguichant cotillon de bergère, tandis que Fragonard se peignait lui-même en galant berger. Si bien que Théodore, qui avait à peine connu la seconde femme de son grand-père, décédée quand il avait trois ans, avait (1) Il était le frire puinê de Lancelot-Jean-Baptiste-Alesandre, né le 13 août 1775, dêeédê le i juillet 1780, et d'Allfiè-LoUise^ÉlIgabeth, née le 14 août 1780, décêdêe â Paris le 17 Juin 1846, épouse de Marle-Joseph-TIiéedore cerate de Metilan, maréchal dé oamp, beau-ffere de éufiot. LES DERNIÈRES AMOURâ DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE 675 pourtant vécu dans un milieu de gens de lettres et d'artistes. Son père, tout colonel de Bercheny qu'il fût, collectionnait des tableaux et cultivait les arts décoratifs. Il avait établi, à SeincPort, une manufacture de faïences dont les pièces étaient recherchées pour leur charmante décoration. C'est là que l'enfant avait vécu ses dernières semaines en France. Tandis que son aïeul avait rejoint les princes, (i) ses parents, sa sœur Aline et lui étaient, après le to août, venus chercher auprès d'artisans qui les aimaient un refuge contre les massacres de sep tembre. Il avait dix ans quand l'aimable comte de Parroy qui, pour vivre, allait vendre des aquarelles et des éventails peints de sa main, était venu à l'automne de 1792 demander asile à ses parents. « Je me rendis, écrira Parrôy, à Seine-Port chez mon ami le marquis de Turpin qui avait une fabrique de faïences anglaises. Il y était avec sa femme, son fils, une petite-fille et un peintre. J'y passais près d*un mois assez tranquille ». Craignant une perquisition, son ami Turpin lui avait alors conseillé de partir, avant d'émigrer lui- même, quelques semaines plus tard, en compagnie des siens. Durant dix ans, Théodore avait vécu en Allemagne, 'faisant dès dessins et des aquarelles qu'il vendait pour aider ses proches ; en Allemagne, où sont aïeul était mort avant l'accessi6tt de Bona parte au Consulat, tandis que leur lointaine cousine la vicomtesse TUrpitt de Crissé, née Bongars, héroïne de la Vendée, négociait loyalement avec Hoche la fin d'une guerre fratricide. Revenu d'émigration avec sa mère à Paris à l'âge de vingt ans, Théodore, contraint d'exercer un métier pour vivre, avait choisi celui de Fragonard et du comte de Parroy pour lequel il avait un vif penchant et des dons réels. Dès 1806, il avait été admis à exposer au salon de Paris. L'année suivante il avait obtenu une commande de paysages d'Italie. « Je partis, écrira-t-il, garçon, pauvre peintre, heureux de voir ce pays longtemps désiré ; mais, ayant à remplir certaines obligations, c'est à peine si je pus alors jeter un regard hâtif sur les admirables collections de Florence, de Rome et de Naples. » Avec une petite mosaïque moderne destinée à sa mère qu'il chérissait, il rapportait à Paris, en 1808, toute une collection (1) « Zélé royaliste et depuis longtemps attaché au prince de Condé avec lequel 11 avait fait la guerre dé sept ans, écrit d'Èsplnchal, le lieutenant général Turpin de Crissé était allé, dès novembre 1780, offrir ses service» aux princes à Turin. En juin 1781, d'Espin- cUâl le retrouvé à. Nyon (Suisse) où « plein de zèle et d'ardeur, il se dispose â rejoindre le prince de Condé ». (Journal d'émigration du comté d'Espinehal, publié par E. d'hauterlvé, in4», Perrtn, 1912, pj>. 164 et 218.) Et cependant, il ne fut porté que plus tard sur la liste das émigrés, puisqu'il figuré encore dans VAlmanach Royal de irai comme lieutenant général. 670 LA REVUE de dessins, aquarelles, gouaches et peintures de paysages, «réunion, dit-il, de précieux modèles à exploiter plus tard et base de ma petite fortune pittoresque... » Il aurait pu ajouter «...et démon impériale bonne fortune ». Ce fut, en effet, grâce à ces paysages d'Italie qu'il obtint, en septembre 1809, ses entrées à la Malmaison où il séduisit, par ses pinceaux, puis par ses dons personnels, l'impératrice des Français. Celle-ci s'était séparée cinq mois plus tôt à Strasbourg de l'Empereur qui avait franchi le Rhin, pour entreprendre une nou velle campagne contre l'Autriche. Après deux mois de séjour à Strasbourg, elle était arrivée, « fort maigrie », à Plombières à la mi- juin. Elle y avait appris avec joie la victoire de Wagram et avec tristesse que Napoléon avait fait venir à Vienne Marie Walewska. Après deux mois d'une cure qui lui avait fait grand bien, elle avait regagné à la mi-août la Malmaison où elle recevait bientôt une lettre, datée de Schœnbrunn le 26 août, où Napoléon lui disait : « On m'a rendu compte que tu étais grasse, fraîche et très bien portante. Je t'assure que Vienne n'est pas une ville amusante ». Le 30 août, il ajoutait : « Je n'ai pas reçu de lettres de toi depuis plusieurs jours ; les plaisirs de Malmaison, les belles serres, les beaux jardins font oublier les absents. C'est la règle, dit-on, chez vous autres. Tout le monde parle de ta bonne santé, cela m'est fort sujet à caution... » Et enfin, le 25 septembre : « J'ai reçu ta lettre. Ne te fie pas et je te conseille de te bien garder la nuit, car une des pro chaines tu entendras grand bruit ! » On pourrait croire, à lire ces lignes, qu'il avait appris l'infidélité de Joséphine. * C'est, en effet, à la Malmaison, et en cette fin d'été, que l'impé ratrice, désireuse d'enrichir sa galerie de tableaux en même temps que ses serres, recevait le jeune peintre venu soumettre à son choix quelques-uns de ses paysages. Le nom de Turpin ne lui était pas inconnu, d'abord comme celui d'une vieille famille française, et aussi parce qu'elle avait, en leur temps, suivi les amicales négocia tions de la ci-devant vicomtesse de Turpin Crissé avec le général Hoche, dont elle était alors éprise, donc jalouse. Ce jeune artiste avait auprès d'elle une meilleure caution. Par son dévouement filial et l'art de ses pinceaux, il avait inspiré de l'intérêt à la reine Hortense qui « le recommanda à l'impératrice Joséphine ». Celle-ci LES DERNIÈRES AMOURS DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE 677 lui acheta trois tableaux : la Maison de Michel-Ange à Rome, un Petit Pont à Tivoli et une vue de Civita Castellana. Hortense avait été bien imprudente en introduisant chez sa mère un protégé de vingt-sept ans au charmant visage. Des cheveux châ-" tains ramenés en coup de vent sur le front et les tempes, de grands yeux rieurs sous des sourcils bien dessinés, un nez droit, une large bouche dégagée de tous poils, un ovale allongé au menton t rond frappé d'une fossette donnent à ce visage une expression avenante et sympathique. Physique de plein air et non d'atelier, visage ouvert de gentilhomme terrien qui ne boude pas devant un déjeuner de chasse. De vingt ans son aînée, Joséphine ressemble maintenant au portrait de Gros à coiffure relevée, plus qu'à ceux, ravissants mais trop flatteurs, de Prudhon ou de Gérard. Si son charme est encore intact, si un aimable embonpoint tend ses joues, les yeux sont maintenant surmontés de siËons en arcade et sertis à leurs commis sures de quelques coups de burin. La graisse revenue nuit à la silhouette, ayant une fâcheuse tendance à aller se loger vers le bas des reins. Cependant les joues et le menton soigneusement passés au blanc, les pommettes rosies, la bouche fardée, la voix aussi déli cieuse que naguère, la mise plus élégante que jamais, Joséphine peut, à quarante-sept ans, inspirer "des sentiments tendres. Dans quelques semaines et après le divorce, le prince de Mecklembourg- Schwerin va demander sa main et, le 13 mai suivant, son jeune cousin Maurice Tascher, la voyant apparaître en plein soleil sur la terrasse de Navarre entre les juvéniles et ravissantes Stéphanie d'Arenberg et Stéphanie de Bade, écrira le soir même : « Oui, jolie et séduisante malgré ses quarante-cinq ans, ce matin on aurait pu sans hyperbole la prendre pour la sœur aînée des Grâces ». Triste d'apprendre que Mme Walewska vient de concevoir à Vienne un enfant de Napoléon, redoutant plus que jamais d'être répudiée par un mari de six ans son cadet, l'Impératrice est sensible aux hommages que lui prodigue ce jeune peintre d'antique mai son (1). Il est doux quand, depuis plusieurs années, les proches de votre époux vous surnomment « la vieille », de voir qu'un jeune homme peut encore s'éprendre de vous. (1) « Une jeune comtesse polonaise que l'Empereur avait connue en Pologne vint à Vienne pendant l'armistice. Ma mère sut qu'elle était enfermée à Schoenbrunn sans que personne la vit. Cette infidélité d"un époux qu'elle aimait toujours tendrement la mettait au désespoir... », écrit la reine Hortense dans ses Mémoires, en ajoutant oue sa mère n'ignora point la grossesse de Mme Walewska. 678 tA RIVUJS Elle en est toute consolée quand, le 26 octobre à neuf heures du matin et après plus de six mois de séparation, Napoléon revient à Fontainebleau. Il avait éerit à sa femme de Munich qu'il y serait le 26 ou le 27 ; elle arrive donc dans l'après-midi du 26, mais pour avoir la pénible surprise de l'y trouver fort irrité qu'elle n'eût pas été là pour le recevoir. Au dîner, elle revêt une élégante toilette 5 Napoléon s'apaise et se montre plus aimable ; mais, le soir, elle a la douleur de voir que la porte du palais qui faisait communiquer leurs chambres respectives a été murée. Dès lors elle comprend que le divorce est décidé. La cour se reforme en hâte à Fontaine^ bleau ; la princesse Pauline arrive accompagnée de Christine de Mathis, l'une de ses dames italiennes qu'elle a chapitrée pour qu'elle cède à l'Empereur afin de détourner celui-ci de l'Impératrice, Aussi durant trois semaines, cette dernière subit un calvaire dont Mlle Avrillon, sa femme de chambre, a évoqué les cruelles stations, la montrant évincée des chasses et suivant avidement de ses fenê tres les soirées qui commencent chez la princesse Pauline dès qu'elle- même a rompu le cercle. Certes, si on lui avait alors demandé de sacrifier le gentil Théodore pour reconquérir son puissant époux, elle n'aurait point hésité à le faire. Mais la politique a de plus graves exigences, et c'est sans avoir ompu avec son jeune ami de la Malmaison, que, le 14 novembre, elle rentre avec la cour à Paris, où va s'accomplir son destin. Tout a été dit pur le divorce ; Eugène rappelé par l'Empereur, l'annonce faite par ce dernier le 3° novembre à Joséphine, rêva» nouissement de celle-ci, son transport inanimée en apparence, sa plainte murmurée à M- de fausset ; « Vous me serrez trop », le conseil de famille où, la gorge étranglée par un sanglot, elle doit interrompre la lecture de son acquiescement, son départ pour Mak maison, le 16 décembre. Tout, sauf une chose ! A savoir que son intrigue avec le jeune peintre n'était pas ignorée de l'Empereur. La belle comtesse de Kielmannssegge, arrivée récemment à Paris pour servir de messagère discrète entre le roi de Saxe et l'Empereur, accueillie avec faveur par Napoléon, reçue en audience particulière par Joséphine et admise à la cour, se lie aussitôt de grande intimité avee le général Savary. Et c'est certainement de ce LES DERNIÈRES AMOURS DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE 679 dernier qu'elle apprend le rôle occulte que M. Turpin de Crissé vient de jouer dans ce drame historique. « Le divorce de Napoléon et de Joséphine, écrit-elle dans ses Mémoires, ne laissait pas de me causer une assez profonde émotion, bien que je susse qu'aucune sorte de considération n'aurait été assez forte pour décider l'Empereur à un acte d'une aussi excep^ tionnelle gravité pour lui-même et pour Joséphine, si celle-ci se fût comportée vis-à-vis de son époux comme son âge et sa dignité lui en faisaient le devoir. K Nous n'étipns que quelques-uns à savoir que, pendant l'absence de l'Empereur et malgré le sincère attachement qu'elle éprouvait pour lui, Joséphine entretenait une liaison secrète» comme elle en avait du reste l'habitude, avec l'un des plus jeunes chambellans de sa maison, M. de Turpin Crissé. « Ses ennemis personnels ne manquèrent pas d'envoyer à l'Empereur des preuves de sa trahison et c'est très certainement ce qui lui donna, à lui, le courage de dompter son propre cœur (i) ». La comtesse de Kielmannssegge fait une légère erreur ; en novembre 1809, Turpin, visiteur familier de l'impératrice, n'était point encore officiellement son chambellan. Il n'allait d'ailleurs pas tarder à le devenir- Le surlendemain de l'exil de son épouse i la Malmaison, Napoléon va l'y voir, la reçoit à dîner le soir de Noël à Trianon où il s'est installé, revient la voir h la Malmaison, lui écrit presque chaque jour des billets affectueux et s'emploie active ment à lui assurer une existence conforme au rang d'impératrice qu'elle doit conserver. Il lui offre d'abord la Malmaison et l'Elysée, puis, au début de 1810, avant de lui donner le domaine de Navarre près d'Evreux, il lui constitue un nouveau service d'honneur. Seul de ses anciens chambellans, le baron de Beaumont restera en fonc tion. Sur la proposition de Joséphine, l'Empereur nomme trois nouveaux chambellans destinés à la servir, qui prennent rang dans l'ordre suivant : MM. de Turpin, de Viel-Çastel et Louis de Mom- tholon, frère de celui qui ira à Samte'-Hélène, Et Turpin, qui est célibataire, prend place avant les deux autres qui sont pourtant mariés et pères de famille. (1) yne mauvaise lecture du manuscrit allemand a fait imprimer « JI. de Gusipin- Erissé- »; c'est « Turpin-Crissé » qu'il faut indubitablement tire, (Mémoires dfi lu comtesse de Kielmannssegge, traduits de l'allemand par Joseph Delage, % vol. in-8°, Victor Attlriger PariSïNeufehâtel, 1828, tpme I, pages 66T67). On trouvera, dans la Comspendanke inédits de lu Mine Catherine, publiée par le baron du Casse (un vol. in*8f>, Paris, ïmlle Souillon, 1898.' nages 352, 363 et 371), des lettres de la reine à Mme de Kielmannssegge qui confirment la confiance qu'avalent en elle les Napeléonldes et qui permettent, par confrontation avec ses dires, de constater une sincérité que, par ailleurs, an prend rarement eà défaut.

Description:
(1) Il était le frire puinê de Lancelot-Jean-Baptiste-Alesandre, né le 13 août 1775, dêeédê le i juillet 1780, et d'Allfiè-LoUise^ÉlIgabeth, née le 14 août
See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.