RAPPORT A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE LES ACCORDS DE PARTENARIAT ECONOMIQUE ENTRE L’UNION EUROPEENNE ET LES PAYS ACP Et si la Politique se mêlait enfin des affaires du monde ? Remis par Christiane TAUBIRA Députée de Guyane Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 2 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 3 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 SOMMAIRE Remerciements 6 Avant-Propos 7 Introduction 26 Chapitre 1 44 La pénurie alimentaire et ses enseignements : « un temps de grande colère » Chapitre 2 56 Comment dissiper les malentendus et les doutes qui persistent dans certains pays quant aux finalités de la négociation des APE afin de restaurer une relation de confiance entre l'UE et les ACP dans les prochains mois ? Chapitre 3 83 Quels peuvent être les leviers dont dispose l'UE pour encourager les ACP à poursuivre les négociations en vue d'APE complets et régionalisés ? Chapitre 4 97 Comment faire en sorte que ces accords viennent à l'appui des dynamiques d'intégration régionale en cours et qu'ils soient réellement porteurs de développement ? Chapitre 5 111 Comment faire en sorte que les Outre-mer profitent de cette nouvelle donne économique et commerciale ? Conclusion 131 Récapitulatif des recommandations 148 Répertoire des préconisations 160 Annexes 165 Listes des personnes auditionnées 177 Bibliographie 184 4 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 Cette mission et la rédaction du rapport ont été effectuées en moins de deux mois. Il a fallu constituer et mettre en ordre de marche une équipe pour la recherche documentaire et statistique, pour la chasse aux informations et documents administratifs, pour la vérification de données incertaines. Ce fut parfois un vrai travail de fouilles archéologiques. Elles, ils l’ont fait avec enthousiasme et une efficacité prometteuse (ils ont entre 20 et 27 ans) - Nolywé DELANNON, Assistante Parlementaire qui a assuré la coordination, l’agencement et parfois le tri de l’abondant matériau. Elle a également organisé les auditions, continué à gérer le planning et le suivi du travail parlementaires, intervenant sur tous ces fronts avec efficacité. - Annelise GARZUEL, (Diplômée de Sciences Po en Relations internationales), scrupuleuse, consciencieuse, passionnée. - Marie-Luce BIA ZAFINIKAMIA, (Doctorante en Economie du Développement à Sciences Po), vive, réactive, avec une bonne profondeur. - Pierre-Etienne de LA ROCHEFOUCAULD (Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Lille en Droit public), pugnace et caustique. - Sevan KARIAN (Elève avocat au Barreau de Versailles, Diplômé en droit international) méticuleux et déterminé. - Blandine FAURE (Diplômée de l’Institut d’Etudes Politique d’Aix en Provence en Relations Européenne et Internationales), disponible et opiniâtre. Tous de fort agréable compagnie. Ils m’ont fourni de bonnes et belles briques, y compris lorsque je renvoyais trois fois la brique ébréchée. Ils finissaient par trouver la bonne. Merci à quelques amis qui, avec dévouement, ont prêté la main à l’occasion : Eric LAFONTAINE, Gerty DAMBURY, Claude TSAO. Merci à Jean-Claude LEFORT, ancien Député, Rapporteur pour la Délégation à l’Union Européenne de l’Assemblée Nationale, pour la très belle qualité nos échanges. 5 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 REMERCIEMENTS Avec mes remerciements aux personnalités qui m'ont consenti de fructueuses séances de travail. Les Commissaires européens concernés par la négociation des APE : M. Peter MANDELSON, Commissaire européen au Commerce extérieur, ancien Secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Industrie (Royaume-Uni) M. Louis MICHEL, Commissaire européen chargé du Développement et de l’aide humanitaire, ancien Vice-Premier Ministre, ancien Ministre des Affaires Etrangères (Belgique) Pour leur disponibilité (deux séances de travail chacun), la franchise et la clarté de leurs propos. Les Universitaires, Anciens Ministres et Experts internationaux dont la pensée fait autorité sur les sujets traités ici : M. Edgard PISANI, ancien Ministre de l’Agriculture, ancien Haut Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, ancien Député, ancien Sénateur. M. Pierre RABHI, Expert international pour la lutte contre la désertification (Convention de l’ONU de lutte contre la Désertification), Directeur de l’association Terre et Humanisme M. Samir AMIN, Professeur d’Economie politique du développement, Directeur du Forum du Tiers-Monde (Dakar) M. Jean ZIEGLER, Professeur de sociologie et de droit (Suisse), ancien Rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU M. Paulo Sergio PINHEIRO, Diplomate, Professeur, ancien Ministre des Droits de l’Homme (Brésil), Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’Homme (Burundi, Myanmar) M. Ignacy SACHS, Professeur d’économie, ancien Conseiller spécial auprès du Secrétaire Général de l’ONU pour la Conférence de Stockholm de 1972 et pour le Sommet de la Terre de Rio en 1992, Fondateur du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED) M. Albert TEVOEDJRE, ancien Secrétaire d’Etat à la Présidence (Benin), ancien Secrétaire Général de l’Union Africaine et Malgache, ancien Directeur Général adjoint du Bureau International du Travail (BIT) Pour la belle richesse et la grande rigueur de leur réflexion. 6 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 AVANT-PROPOS La Présidence française de l’Union Européenne survient six mois après l’échéance du 31 décembre 2007 fixée à la Conférence interministérielle de l’OMC (Cycle de Doha) et acceptée par l’Union Européenne concernant ces négociations avec les pays ACP. Aux termes du mandat confié le 12 juin 2002 à la Commission Européenne par le Conseil européen, des Accords de Partenariat économiques (APE) régionaux et complets devaient être signés entre l’Union Européenne et les 78 pays ACP (incluant le Timor Leste associé en 2003). Ces accords devaient être régionaux, c’est-à-dire signés avec les six pôles régionaux des pays ACP (1). Ils devaient être complets et porter sur le volet « Marchandises », mais également sur les autres volets (services, accompagnement, environnement, normes sanitaires et phytosanitaires, normes du travail, propriété intellectuelle, règles d’origine), domaines auxquels le mandat de la Commission a ajouté les marchés publics, la concurrence et l’investissement. Enfin, ils étaient censés offrir aux pays ACP un régime d’échanges conforme aux règles de l’OMC, épargnant à l’Union Européenne des sanctions financières pour dispositions préférentielles contraires à la clause de la « Nation la plus favorisée » (NPF), particulièrement au détriment d’autres pays en développement (PED) dont certains pays émergents. Six mois après cette échéance, l’état d’aboutissement est le suivant : - un seul pôle régional sur six, le CARIFORUM a paraphé des APE complets le 18 décembre 2007 ; - 20 pays ACP ont paraphé des Accords Intérimaires (AI). Ces AI portent exclusivement sur le volet « Marchandises » et s’inscrivent dans un processus de négociation éclatée ; ils ne sont donc ni régionaux ni complets et relèvent au contraire de traités bilatéraux devant être ratifiés par les deux parties. Parmi ces pays, 9 sont des PMA (Pays moins avancés) bénéficiant de l’Initiative européenne « Tout sauf les armes » (TSA) permettant déjà pourtant un accès quasi libre aux marchés d’Europe, et sans réciprocité. - 43 pays, soit plus de la moitié du groupe ACP, n’ont rien paraphé. 7 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 A - PERTINENCE D’UN REEXAMEN DE CES NEGOCIATIONS I – Le poids des Accords signés Pour la seule région ayant signé des accords complets, deux pays, Haïti (PMA) et les Bahamas ont demandé et obtenu pour le volet « services » un moratoire de six mois. Ce moratoire court à compter de la signature effective des accords qui devrait intervenir le 22 juillet 2008 (après le COREPER du 9 juillet). L’APE CARIFORUM, complet en termes géographiques, ne le sera réellement en contenu que début 2009, dans le meilleur des cas. Les Accords intérimaires signés par 20 pays consignent un double renoncement, fût-il temporaire : d’abord géographique, avec un impact sur l’objectif d’intégration régionale ; ensuite économique, si l’économie ne se résume pas aux seuls échanges de marchandises, mais participe bien aux relations avec la nature, aux relations entre les hommes dans une société et aux relations de cette société avec le reste du monde. Sur les 42 pays qui n’ont paraphé ni accords complets ni Accords intérimaires, 32 ont le statut de PMA et rassemblent près de 350 millions d’habitants. Les 43 pays non signataires totalisent 576 millions d’habitants sur le total de 841 millions d’habitants pour l’ensemble des pays d’Afrique et du Pacifique. Les 15 pays du CARIFORUM signataires totalisent 37 millions d’habitants. Les pays qui ont refusé de signer ont fait face à des risques inégaux. Le motif d’urgence allégué pour une signature avant le 1er janvier 2009 annonçait le basculement à cette date dans le droit commun des conditions moins avantageuses du commerce réglementé a minima. Les PMA qui n’ont pas signé conservent leur statut reconnu, défini par l’ONU et continuent de relever du programme TSA. Les pays non-PMA ont, en réalité basculé dans le régime SPG (Système de préférences généralisées), sensiblement pénalisant par rapport à la Convention de Lomé qui précédait l’Accord de Cotonou et dont les dispositions avaient été reconduites pour la période transitoire. Certains pays n’avaient pas grand-chose à perdre, leurs exportations étant peu orientées vers l’Europe (pétrole pour le Nigeria, le Gabon, le Congo) ou très limitées (la plupart des pays du Pacifique). Cet ultimatum a eu un effet grossissant sur la marge d’emprise de la Commission Européenne sur les choix de ses partenaires privilégiés. 8 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 II – Une actualité d’alarme Depuis janvier 2008, plus d’une quarantaine de pays, une centaine de villes, sur tous les continents ont été confrontés aux ' émeutes de la faim '. Le prix des denrées alimentaires de base a flambé et les spécialistes prévoient une hausse tendancielle qui devrait maintenir des prix élevés ces prochaines années. Quelques grandes banques européennes font les mêmes anticipations, au point d’avoir lancé des messages publicitaires pour inviter leurs clients à prospérer sur le malheur des peuples en plaçant leur argent dans des portefeuilles (hedge funds) de denrées alimentaires (panier de matières premières agricoles composé de cacao, café, sucre, blé, maïs, soja). Certains messages sont dépourvus de toute ambiguïté : « les changements alimentaires, la pénurie d’eau et de terres agricoles exploitables constituent une opportunité ». A l’initiative du Parti socialiste belge et de Députés européens du PSE, une résolution a été introduite au PE pour interdire l’offre et la promotion d’instruments financiers (de banques et d’assurances) dont le rendement est directement lié à la spéculation sur la hausse des cours des matières premières alimentaires, et pour réglementer les activités spéculatives. La résolution adoptée a repoussé cette disposition. Une proposition de loi est enregistrée au Parlement de Belgique. Dans un rapport publié le 29 mai 2008, l’OCDE prévoit une hausse généralisée des prix des produits alimentaires sur les dix prochaines années, dont +20 % pour la viande bovine et porcine, +30% pour le sucre brut et le sucre blanc, de 40 à 60 % d’augmentation pour le blé, le maïs, le lait écrémé en poudre. Ayant indiqué que « les marchés céréaliers devraient rester tendus au moins jusqu’en 2017 », le rapport précise que « bon nombre d’agriculteurs des pays en voie de développement ne sont pas reliés aux marchés et ne tireront guère d’avantages, voire aucun, de la montée actuelle des prix. Et pour les pauvres, en particulier dans les zones urbaines des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, la situation va s’aggraver ». Dans certains pays pauvres, des hausses record avaient précédé les 'émeutes de la faim', comme le riz à Haïti enchéri de 100% en quelques semaines ; le maïs de 130% en deux mois au Mexique, le soja de 50% en Indonésie. Les indicateurs de l’activité agricole font apparaître sans ambiguïté que les économies vivrières de ces pays ont été déstructurées, pour la plupart dans le sillage de la baisse de leurs barrières tarifaires dans le cadre d’Unions douanières, et/ou par la réorientation de leurs 9 Rapport sur les Accords de Partenariat Economique Auteur : Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane 16 juin 2008 économies vers des cultures d’exportation. Dans tous les cas, leur vulnérabilité alimentaire s’est considérablement accrue. Il ne s’agit donc pas d’une conjoncture défavorable, due à un aléa climatique ou à une catastrophe naturelle, et que des efforts nationaux et internationaux pourraient réparer, mais bien d’une dépendance structurelle dont les effets ne feront qu’empirer avec la croissance démographique et l’importation facilitée de produits alimentaires concurrents. Trois quarts des personnes souffrant de malnutrition sont des agriculteurs et des personnes vivant en zones rurales. La mobilisation de la FAO et du PAM ne peut être que temporaire, et s’avère en tout état de cause insuffisante. Il y a une hérésie dans la performance des structures multilatérales à mobiliser des sommes considérables (budget FAO 270 millions d’€ ; budget PAM 2,9 milliards) alors que par ailleurs, d’autres institutions multilatérales ou des groupes de pays y appartenant des décisions qui aggravent la détérioration des filières pourvoyeuses de nourriture. La question de la souveraineté alimentaire, de la sécurité alimentaire et de la salubrité alimentaire s’impose plus que jamais à l’ordre du jour. Elle concerne naturellement tous les pays. Elle concerne de façon plus pressante les pays ACP dont un peu plus d’une vingtaine en Afrique et dans la Caraïbe ont été frappés par ces ' émeutes'. III – La nécessité d’apprécier et l’urgence de mesurer L’intégration régionale est un fait. Un fait en cours de consolidation, mais un fait. Elle est en réelle progression en Afrique de l’Ouest et dans la Caraïbe, où les Institutions sont installées et fonctionnent, où des mécanismes techniques et financiers sont opérationnels, où un tarif extérieur commun est en en vigueur ou en instance de l’être. L’intégration régionale est également en bonne voie dans d’autres régions, y compris lorsque les contours en sont fluctuants, les adhésions variant selon les domaines. Les regroupements sous-régionaux au sein de plus vastes régions prouvent le pragmatisme avec lequel des pays qui ont connu des trajectoires historiques différentes, souvent parallèles du fait de la relation verticale colonie/métropole du temps de l’Exclusif colonial, choisissent de favoriser les complémentarités de leurs économies et de construire un voisinage de solidarité. 10
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