La loi de la gravitation universelle Newton, Euler et Laplace Springer Paris Berlin Heidelberg New York Hong Kong Londres Milan Tokyo Prosper Schroeder La loi de la gravitation universelle Newton, Euler et Laplace Le cheminement d’une révolution scientifique vers une science normale Cet ouvrage a bénéficié du soutien du Fonds national de la recherche du Luxembourg ISBN 13: 978-2-287-72082-6 Springer Paris Berlin Heidelberg New York ©Springer-Verlag France 2007 Imprimé en France Springer-Verlag France est membre du groupe Springer Science+ Business Media Cet ouvrage est soumis au copyright. Tous droits réservés, notamment la reproduction et la représentation, la traduc- tion, la réimpression, l’exposé, la reproduction des illustrations et des tableaux, la transmission par voie d’enregistre- ment sonore ou visuel, la reproduction par microfilm ou tout autre moyen ainsi que la conservation des banques données. 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Maquette de couverture: Jean-François MONTMARCHÉ Avant-Propos Ce livre doit son origine à un épisodequimarquaitprofondémentlascience encore nouvelle de la mécanique céleste au milieu du XVIIIe siècle. Ce fut la miseendoutequasisimultanéedelaloidelagravitationnewtoniennepartrois despluscélèbresmathématiciensdecetteépoque:Clairaut,d’Alembertet Euler.Oraucoursdelarédaction,lesujetnepouvantintéresserinitialement quequelquesspécialistesdel’histoiredessciencesadébordéleslimitesétroites initialement tracées pour devenir une analyse de l’ensemble de cette période qui vit l’introduction du paradigme newtonien mais aussi l’acheminement de celui-ci vers la "science normale" au sens de Kuhn. Notre volonté pendant l’écriture du présent texte était de saisir dans toute sonoriginalitél’enrichissementdécisifapportéàlasciencedelamécanique,tout comme les nouvelles perspectives qui s’ouvraient pour celle-ci à travers l’adop- tion du calcul leibnizien pour remplacer les méthodes purement géométriques utilisées par Newton. En même temps il s’agissait de décrire la position épis- témologiquequiserefusaitd’abordàprendreenconsidérationlephénomènede la force comme action à distance, pour admettre après maintes considérations philosophiquescettemêmeforceentantquenouvelleentitérégissantlascience de la physique depuis le retour à la "science normale" sous Laplace. Un texte plus volumineux avec le même sujet était une thèse de doctorat présentée et acceptée par la "Otto Friedrich Universität" de Bamberg. Je tiens à remercier tout particulièrement les deux directeurs de thèse, MM les Profes- seurs Roland Simon-Schaeffer et K.H. Glassmeier pour l’intérêt qu’ils ont bien voulu porter à mes travaux. Leurs remarques, leurs suggestions m’ont guidé sur le chemin que ma curiosité m’avait tracé et j’ai toujours été très sensible à la bienveillance qu’ils m’ont témoignée. Je remercie également mon ami H.E. Pesch qui m’a grandement aidé à vaincre les multiples difficultés qui posait la miseenpageinformatiqueaveclesformulesindispensablesàsacompréhension. M. Marc Kunzer à pris en charge l’écriture des formules et je le remercie très fortement. Enfin je remercie Mme N. Mazzarini qui, à partir de mon écriture quelquefoisdifficileàlire,estparvenueàdistilleruntexte(jel’espèreaumoins) lisible. Prosper Schroeder Table des matières 1 Lesconnaissancesastronomiquesaudébutdestempsmodernes 1 2 Les «Principia» et la loi de la gravitation universelle 29 2.1 Newton — génie isolé et solitaire . . . . . . . . . . . . . . . . 29 2.2 La genèse de la loi de la gravitation chez Newton . . . . . . . 45 2.3 Les «Principia», œuvre maîtresse de Newton . . . . . . . . . 58 2.4 Les «Principia» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 2.5 La théorie newtonienne de la Lune . . . . . . . . . . . . . . . . 125 3 L’introduction de la loi de la gravitation sur le continent 177 4 Alexis Claude Clairaut et sa détermination de l’orbite de la Lune 193 4.1 Clairaut — mathématicien et physicien newtonien . . . . . . 193 4.2 La première théorie de la Lune de Clairaut . . . . . . . . . . . 199 4.3 Modification de la loi de la gravitation universelle . . . . . . . . 212 4.4 La solution modifiée du problème de l’orbite de la Lune par Clairaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 4.5 Les autres travaux en astronomie théorique de Clairaut . . . 232 5 D’Alembert et la mécanique céleste 241 5.1 D’Alembert, philosophe et mathématicien . . . . . . . . . . . . 241 5.2 L’engagement de d’Alembert pour la mécanique céleste . . . 261 5.3 La conception de la loi de la gravitation chez d’Alembert . . 279 5.4 La théorie de la Lune de d’Alembert . . . . . . . . . . . . . . 288 6 Léonard Euler 311 6.1 Euler — le plus prolifique mathématicien et mécanicien du XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 6.1.1 La transcription des «Principia» dans l’analyse leibni- zienne et le rôle joué par les écoles de Bâle et de Paris ainsi que par Emilie du Châtelet . . . . . . . . . . . . 311 6.1.2 Leonard Euler — Éléments d’une biographie. . . . . . 339 6.1.3 Mechanica . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 viii La loi de la gravitation universelle - Newton, Euler et Laplace 6.2 Euler et la loi de la gravitation universelle . . . . . . . . . . . 348 6.2.1 Lerappeldesdoutessurlavaliditédelaloidel’attraction au début du XVIIIe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . 348 6.2.2 L’échange épistolaire entre Clairaut, d’Alembert et Euler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 6.2.3 Les réflexions successives d’Euler sur le concept de la gravitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 6.3 Euler — mécanicien du Cosmos . . . . . . . . . . . . . . . . . 380 6.3.1 La mécanique céleste au milieu du XVIIIe siècle, une science presque achevée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380 6.3.2 Recherches sur le mouvement des corps célestes en géné- ral [1] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 387 6.3.3 Recherches sur la question des inégalités du mouvement de Saturne et de Jupiter [1] . . . . . . . . . . . . . . . . 400 6.3.4 La première théorie de la Lune d’Euler . . . . . . . . . 415 6.3.5 La confirmation de la théorie de la Lune eulerienne par Tobias Mayer et ses tables . . . . . . . . . . . . . . . . 428 6.3.6 La deuxième théorie de la Lune d’Euler . . . . . . . . 441 7 La théorie des perturbations après Euler et le passage à la mécanique céleste classique avec Lagrange et Laplace 447 Bibliographie 533 Chapitre 1 Les connaissances astronomiques au début des temps modernes –I– Dans le contexte qui nous préoccupe, il n’est pas dans notre intention de retracer l’histoire de l’astronomie. Nous nous bornerons donc, dans ce quisuit,àdécrirelestravauxessentielsdetroispersonnagesCopernic,Tycho BraheetGalilei,quiontposé,ensembleavecd’autressavantsmoinsconnus, les bases de l’astronomie moderne, lesquelles serviront à bâtir la mécanique céleste newtonienne, complétée et élargie au XVIIIe siècle par les Clairaut, d’Alembert, Euler, Lagrange et Laplace. Nous nous pencherons ainsi dans ce chapitre sur la découverte des lois cinématiques qui portent le nom de Kepler, mais que nous discuterons à fond dans les chapitres qui traitent des «Principia» [1], respectivement de la théorie de la Lune de Newton. En effet la révolution astronomique des XVIe et XVIIe siècles n’est que le reflet d’une «crise de la conscience européenne» [2], qui modifia profondément lesfondementsetlescadresmêmesdelapenséehumaine.Etledéveloppement delacosmologienouvelle,liéauxnomscitésaudébutdecechapitre,remplaça non seulement le monde géométrique des Grecs et le monde anthropocentrique duMoyenÂgeparununiverspurementhumain.Dorénavantd’autrespriorités sontimposées:lessciencescontemplativescèdentlepasauxsciencesactiveset l’homme, de contemplateur de la nature, devient : «son décentré de l’astrono- mie moderne, mais provoqua une conversion complète de l’esprit possesseur et maître» [3]. Ce changement de point de vue est accompagné d’une sécularisa- tiondelaconscienceetd’uneconcentrationdecelle–ciàdesbutsexclusivement 2 La loi de la gravitation universelle - Newton, Euler et Laplace concrets,substituantauschématéléologiqueetorganismiquedelapenséeetde l’explication un schéma purement causal et mécaniste, conduisant finalement à la «mécanisation de la conception du monde» [4]. Celle–ci devient complète- ment prépondérante dans la mécanique céleste du XVIIIe siècle. A. Koyré voit dans cette transformation «les expressions et les concomi- tantsd’unprocessusplusprofondetplusgrave,envertuduquell’hommeaperdu sa place dans le monde ou, plus exactement peut–être, a perdu le monde même, qui formait le cadre de son existence et l’objet de son savoir. Il a dû transfor- meretremplacernonseulementsesconceptionsfondamentales,maisjusqu’aux structures mêmes de sa pensée.» [5] Koyré entreprend dans ses «Études ga- liléennes» [6] de définir les schémas structurels de l’ancienne et de la nouvelle construction du monde et de décrire les changements produits par la «crise de conscience» qui allait de pair avec la révolution astronomique que nous allons décrire. Il les ramena à deux éléments principaux, d’ailleurs étroitement liés, à savoir : la destruction du cosmos et la géométrisation de l’espace. Le cosmos étaitce«tout»,àlafoisfinietbienordonné,possédantunehiérarchiedevaleurs allantdelarégionsublunaire,soumiseauxchangementsetàlacorruption,pour s’élever aux sphères célestes incorruptibles et lumineuses. Il est remplacé doré- navant par un Univers indéfini, voire même infini, ne comportant plus aucune hiérarchienaturelle,quiestuniseulementparl’identitédesloisquilerégissent dans toutes ses parties. Le concept de géométrisation de l’espace remplaçait l’idée aristotélicienne comme ensemble différencié de lieux intramondains par celle de l’espace abstrait de la géométrie euclidienne qui forme une extension homogène et infinie. Ces deux nouvelles conceptions impliquaient le rejet par la pensée scientifique de toutes considérations basées sur les notions de valeur, de perfection, d’harmonie, de sens ou de fin pour mener au divorce total entre le monde des valeurs et le monde des faits. Si la destruction du cosmos grec et la géométrisation de l’espace sont géné- ralementliéesàlarévolutioncopernicienne,quiestcenséeavoirsapétoutesles fondations de l’ordre du monde traditionnel, il y avait bien des prédécesseurs à Copernic, dont le plus connu est dans doute Nicolas de Cues, le dernier grand philosophe du Moyen Âge déclinant. Ce fut lui, qui le premier rejeta la conception médiévale du cosmos et à qui, bien souvent, est attribuée l’idée de l’infinité de l’Univers. Mais en fait, il évite soigneusement le qualificatif d’«infini» qu’il réserve à Dieu seulement. Pour Nicolas de Cues, l’Univers est plutôt «interminé», ce qui veut dire pour lui qu’il n’a pas de limites et n’est donc pas contenu dans lacarapaceextérieuredes«sphères célestes».Etlecaractèrefoncièrement«ou- vert» de l’Univers rend impossible l’avènement d’une science précise et totale delui.Seulementuneconnaissancepartielleetconjecturaledumondeextérieur est possible. La conception du monde de Nicolas de Cues n’est pas fondée sur une cri- tique des théories astronomiques ou cosmologiques contemporaines, et il ne voulait pas provoquer une révolution scientifique mais il se limitait à la mé- taphysique et la théologie. Dans ce sens, son Univers est une représentation,