HYPERMUSiC PROLOGUE E A PROJECTiVE OPERA iN SEVEN PLANES U G Musique Hèctor Parra O Livret Lisa Randall Scénographie Matthew Ritchie L Mise en espace Paul Desveaux O Lumières Laurent Schneegans R Direction technique Frédéric Prin P Charlotte Ellett soprano James Bobby baryton C Ensemble intercontemporain I Direction Clement Power S Chef assistant Jean-Michaël Lavoie U Réalisation informatique musicale Ircam Thomas Goepfer M commande de l’Ensemble intercontemporain, de l’Ircam-Centre Pompidou R et du département Culture du gouvernement catalan E [CRÉATION P Y -- DURÉE 60 MINUTES ENVIRON H COPRODUCTION ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN ET IRCAM-CENTRE POMPIDOU.CORÉALISATION IRCAM / LES SPECTACLES VIVANTS-CENTRE POMPIDOU.AVEC LE SOUTIEN DE LA FONDATION D’ENTREPRISE HERMÈS. ENREGISTRÉ ET FILMÉ PAR Ce spectacle sera disponible en vidéo à la demande sur www.francemusique.com jusqu’à fin juillet2009. H 0 2 À N i E U L J L A 5 S 1 E D i D N N A R U G L , T U E O 4 D i 1 P M E O H P C © Luc Hossepied N E R A T M N i E D C 2| HYPERMUSiC PROLOGUE Hèctor Parra HYPERMUSiC PROLOGUE, A PROJECTiVE OPERA iN SEVEN PLANES ANNÉE DE COMPOSiTiON possible une communication vivante et 2008-2009 directe entre scientifiques et artistes qui EFFECTiF partagent la joie de créer des univers. Soprano solo, baryton solo, Il y a cent ans, la révolution relativiste flûte/piccolo, clarinette/clarinette basse, cor, percussion, violon, alto, violoncelle, remplaçait le temps absolu de Newton contrebasse et électronique en temps réel et son flux universel et uniforme en le ÉDiTEUR convertissant en une quatrième dimen- Tritó Edicions, Barcelone sion géométrique. Aujourd’hui, les progrès de la physique, tant dans le Cette pièce, fondée sur un livret de Lisa domaine théorique que dans celui de Randall, est une commande de l’Ensemble l’observation, amènent à considérer intercontemporain, de l’Ircam-Centre qu’il peut exister jusqu’à sept dimen- Pompidou et du département Culture du sions géométriques additionnelles. Le gouvernement catalan. Il s’agit de la caractère caché ou invisible de ces création de l’œuvre, dédiée à Imma et au dimensions est généralement attribué père du compositeur. à leur nature hyper-microscopique. On accepte généralement l’idée selon Dans son livre Warped Passages, la laquelle la création artistique et la physicienne Lisa Randall a réussi à recherche scientifique partagent des transmettre à un large public cet effort catégories et des schémas de pensée et pour comprendre la nature d’une réalité de valeurs, dans une mesure qui va bien ultime dont nous faisons tous partie. au-delà de ce qu’on pourrait attendre Les modèles connus sous le nom de de leurs finalités les plus immédiates. « modèles 1 et 2 de Randall-Sundrum » La beauté, l’intuition, l’élégance, le constituent une catégorie spéciale de sentiment intime d’une perfection à théorie où c’est le caractère déformé, atteindre sont des valeurs culturelles courbé (warped) et non nécessairement communes à ces deux domaines rendant la petite taille qui sont désignés comme HYPERMUSiC PROLOGUE 3| étant à l’origine de cette occultation. son amour pour la connaissance et sa Ces modèles spécifiques, et tout parti- conviction qu’il existe un monde plus culièrement l’image que ces modèles vaste à explorer. donnent de l’ensemble des interac- Leur relation connaît un changement tions fondamentales de la physique, lorsque la soprano, après une discussion m’ont offert la possibilité de bâtir un animée, décide d’entreprendre un hypo- espace symbolique d’une très grande thétique voyage dans la cinquième richesse, qui peut être utilisé comme dimension déformée du modèle cadre pour la composition musicale. Un Randall-Sundrum de l’espace-temps. cadre dans lequel l’instrumentation, Àpartir de cet instant, l’espace d’énergie l’orchestration, la musique vocale et dont la soprano fait l’expérience va les techniques électroniques en temps dépendre de sa position dans cette réel peuvent produire et organiser un nouvelle dimension. Ainsi, la soprano nouveau type d’expérience acoustique. et le baryton vont vivre à travers ce À partir d’une proposition du Festival voyage des expériences différentes de d'Opéra de Poche de Barcelone en 2005, la réalité : tandis qu’elle se déplace et grâce à la production de l’Ensemble librement dans un hyper-espace à cinq intercontemporain, de l’Ircam et au dimensions, lui reste lié à notre soutien de la fondation d’entreprise espace-temps ordinaire à quatre Hermès, ce projet a d’abord représenté dimensions. un défi, puis une grande satisfaction de pouvoir compter sur Lisa Randall comme De cette façon la musique, qui est une librettiste et inspiratrice d’un projet forme extrêmement organisée d’énergie aussi excitant de création musicale : acoustique, va nous aider à nous appro- l’opéra projectif Hypermusic Prologue. cher et à jouir de ces mystérieux et fas- cinants espaces fortement déformés. ARGUMENT Dans cet opéra, le public se verra conduit Hypermusic Prologue résulte d’une colla- de l’espace familier et traditionnel à boration unique entre science, musique trois dimensions de la salle de concert et arts plastiques. Aux côtés de Lisa à une sensation d’ouverture vers une Randall, de l’artiste plasticien Matthew expérience acoustique nouvelle et Ritchie et du metteur en scène Paul inattendue. Comme nous allons le voir, Desveaux, j’explore la forme « histo- le rythme, les hauteurs, les mélodies, rique » de l’opéra pour générer une les gestes vocaux, instrumentaux et expression dramatique du XXIe siècle. électroniques sont spécialement sculp- Le livret de Lisa Randall présente une tés selon un système d’analogies compositrice-scientifique (la soprano) structurelles avec les concepts et les qui vit une profonde tension entre processus physiques à l’œuvre dans le l’amour qu’elle éprouve pour son modèle physique spatio-temporel de compagnon (le baryton) et sa passion, Lisa Randall. Au cours de ce processus 4| HYPERMUSiC PROLOGUE d’écriture, de nouveaux matériaux musi- rythmes spécifiques qui construisent le caux apparaissent. Ils sont « unifiés » discours tout comme son évolution dans sous la forme d’une matière sonore le temps, et à la « granularité » des trai- hyper-expressive qui accompagne le tements électroniques en temps réel point culminant du livret. La musique (densité et rythme d’enchaînement de la qui donne vie aux contrastes constants granulation résultant de différents de tensions rythmique et émotionnelle processus de synthèse granulaire). des dialogues est spécialement conçue pour déformer la perception tempo- Masse relle du public. Elle équivaut à l’amplitude et à la richesse spectrale des voix, des instruments et des RELATIONS STRUCTURELLES ENTRE LES traitements électroniques. Les sons cor- MODÈLES PHYSIQUES DE LISA RANDALL ET respondant à la weak brane du baryton L’ESPACE-TEMPS SCÉNIQUE ET MUSICAL DE – c’est-à-dire à notre espace connu – HYPERMUSICPROLOGUE seront moins forts et moins riches, du Dès le départ de ma collaboration avec point de vue spectral, que les sons plus Lisa, le développement du livret s’est proches de la gravity brane ou que ceux accompagné de la création d’un large inclus dans l’espace de la cinquième réseau de connexions sonores structurant dimension, puisque que la masse croît de le parallélisme entre la musique et son façon exponentielle quand nous nous rap- modèle physique, fascinant et suggestif. prochons de cette cinquième dimension. Ainsi, les « équivalents musicaux » aux éléments physiques de base, à savoir les Energie paramètres de la dimension musicale, L’énergie physique équivaut en musique à se présentent comme suit : la dynamique de propulsion du geste musical, autrement dit à la vitesse d’évo- Taille / distance lution du discours (en amplitude et dans La taille est représentée par la durée le spectre). (en secondes) d’une phase musicale. Une fois précisées ces dimensions de Ici, je ne me préoccupe pas de rythme base dans lesquelles nous allons évoluer interne spécifique. La taille physique a acoustiquement, nous allons trouver son équivalent musical dans la durée que le fameux facteur de déformation des transformations électroniques, (warp factor) du modèle de Lisa Randall, principalement celles qui affectent la qui définit la déformation de cette cin- dimension temporelle du son (time- quième dimension, équivaut à l’évolu- strectch, delay, etc.) tion temporelle de tous ces paramètres, ainsi qu’à la distance séparant les sons Temps vocaux ou instrumentaux originaux de Le temps physique équivaut ici à la den- leur traitement électronique en temps sité rythmique du discours musical, aux réel. HYPERMUSiC PROLOGUE 5| Au centre de l’opéra (plan IV), les deux Le baryton va avoir la sensation qu’elle points de vue opposés de la soprano et du est partout, qu’elle l’entoure, mais il ne baryton alternent de la façon suivante : partage pas le même espace, car la voix lui est ancré dans notre espace-temps, du baryton n’est pas traitée électroni- tandis que la soprano explore en toute quement à ce moment-là. liberté l’hyper-espace à cinq dimensions. Les paramètres musicaux précédemment 2) Le point de vue de la soprano définis interagissent sur le plan dynami- Elle expérimente un paysage sonore que tout en dépendant du point de vue que nouveau et dynamique. L’électronique nous offre chacun des deux chanteurs : transforme en temps réel le son de l’orchestre ainsi que la voix du baryton 1) Le point de vue du baryton qui devient progressivement de plus en Il perçoit la voix de la soprano, qui plus localisée, emprisonnée dans les s’approche de la gravity brane avec des quatre dimensions connues. En accord phrases de plus en plus courtes (puisque avec le confinement statique dans le temps s’y compresse de façon considé- lequel il se trouve, la soprano va le per- rable). Simultanément, comme elle gagne cevoir avec des phrases de plus en plus en masse de façon exponentielle, la den- longues et possédant de moins en sité rythmique augmente, et l’augmenta- moins de densité rythmique (elle a tion de l’énergie trouve son parallèle l’impression qu’il vit une dilatation musical dans un réseau de plus en plus temporelle). Sa baisse d’énergie va se dynamique et accentué de crescendos, traduire par une perte de couleur diminuendos, contrastes d’amplitude, etc. vocale (les sons chantés par le baryton La vitesse des changements augmente. contiennent du souffle) et par une sim- Un traitement électronique de plus en plification électronique de son spectre plus riche, fluide et puissant de la voix de (à travers des filtres fréquentiels et des soprano nous donne la sensation qu’elle processus de synthèse sonore qui le gagne en énergie et en masse, qu’elle rapprochent de sons sinusoïdaux). diminue en taille et que sa temporalité se Dans le même temps, ces traitements comprime. Son langage vocal devient de électroniques sont spatialisés afin que plus en plus expérimental et riche : les sons apparaissent de plus en plus concentrés en un point unique de 6| HYPERMUSiC PROLOGUE l’espace, accentuant ainsi la sensation de la soprano, tandis que la voix électro- de confinement. Par ailleurs, l’orchestre, nique du baryton figure la perception avec sa dynamique fluide et riche, physiologique qu’elle a de lui. représente pour la soprano l’excitation L’exposition combinée des aspects phy- et la sensation libératrice que lui procure siologiques et psychologiques construisent l’exploration de la cinquième dimen- un nouveau type de tissu dramatico- sion. L’orchestre exprime alors l’état musical, comme on peut l’observer dans psychologique aventurier et euphorique la figure suivante : HYPERMUSiC PROLOGUE 7| De cette façon, la temporalité tissée par sa propre voix, qui est son cadre de les deux chanteurs au cours des dialo- référence le plus naturel. Il y a là quelque gues et par leur relation musicale avec chose d’autoréférentiel, à la manière l’orchestre se voit fortement déformée dont le texte, chez Paul Celan, devient (bien au-delà de la situation de l’opéra la nature de référence. En tant que classique) et prend rapidement des for- représentation vivante de ce que serait mes très diverses. À la fin du plan IV, une voix multidimensionnelle, j’ai pris une fois atteint le point culminant du comme source d’énergie sonore les voyage dans la cinquième dimension, la différents modes vibratoires des cordes musique nous fait vivre une suite « d’acci- vocales. J’obtiens ainsi deux grands dents temporels » qui vont accentuer la axes d’articulations : distance au temps physique et émotionnel - la phonation : sons avec beaucoup (cid:2) (cid:2) qui sépare les deux chanteurs : moments d’air avec peu d’air voix pleine, (cid:2) (cid:2) tendus et explosifs où la retenue ryth- tendue voix extrêmement tendue mique (le temps perçu par le public - mode vibratoire : voix extrêmement (cid:2) (cid:2) devient de plus en plus lent) est brisée relâchée et fry voix légèrement fry (cid:2) par de puissantes décompressions et voix normale falsetto de fortes accélérations de la musique. Ces abîmes nous amènent à un point de Tout de suite après, je module avec l’aide non retour où la soprano « découvre », de la langue et des lèvres des séries en l’expérimentant avec sa propre voix, sonores produites par des sons uni- un nouveau langage vocal purement quement gutturaux. J’ai utilisé quatre musical. Car si les physiciens expéri- grandes catégories de modulation conso- mentent avec des accélérateurs de nantique offrant un filtrage acoustique particules et des radiotélescopes, dans naturel de la voix : nasales, latérales, un opéra, le chanteur expérimente avec fricatives, occlusives + plosives. 8| HYPERMUSiC PROLOGUE On voit comment les impulsions initiales des cordes vocales et les filtres conso- nantiques peuvent ou non partager des rythmes et des dynamiques à l’échelle la plus petite. On aura une plus grande richesse en évoluant avec le plus de fluidité dans les champs de possibilités que nous offrent nos cordes vocales et en ajoutant une plus grande dynamique et une plus grande variabilité des fil- tres consonantiques. De la sorte, une plasticité sonore inattendue émerge directement de la voix humaine 2. INTERACTIONDRAMATIQUEENTRELESVOIX ET LES INSTRUMENTS : À LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE ESTHÉTIQUE SONORE Grâce à une structure complexe des rela- tions entre les sons des instrumentistes et les résultats sonores des traitements électroniques, et grâce à une spatiali- sation dynamique de ce traitement, l’auditeur est propulsé à l’intérieur d’un espace sonore fortement déformé qui lui fait vivre une expérience psycho- acoustique proche de la découverte d’une nouvelle dimension spatiale. Cette expérience favorise une catharsis musicale propice à une expression dramatique nouvelle, nourrie des idées les plus avancées de la physique du XXIe siècle. HYPERMUSiC PROLOGUE 9| Dans son ensemble, le spectacle est conçu pour procurer au public une sen- sation étrange de « perte de la compré- hension et du contrôle de sa propre réalité » comparable à une « décharge d’hyper-réalité », une réalité qui n’est pas exactement identique à celle que l’on avait imaginée au départ. Hèctor Parra
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