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Des steppes aux océans (l'indo-européen et les Indo-Européens) PDF

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André Martinet LANGAGES ET SOCU::TtS collection dirigée par Louis-Jean Calvet DES STEPPES La conquête du monde par les peuples de l'Occident a été longtemps ressentie comme étant dans la nature des choses. C'est au moment où elle rencontre des remises en question et des résistances efficaces que l'on commence AUX OCÉANS à prendre conscience de la particularité du phénomène. En dépit de péripéties diverses, de conflits internes qui culminent aujourd'hui avec J'opposition des deux blocs, il s'agit bien d'une même expansion qui se poursuit depuis quelque six mille années. L' indo-européen Des peuples qui parlaient, au départ, une seule et même et les «Indo-Européens» langue ont mis leur supériorité technique au service de la violence pour subjuguer leurs voisins de proche en proche. Cette langue commune, disparue, qu'on désigne comme l'indo-européen, on s'efforce de la restituer par ]a comparaison des langues connues, étayée par des hypo thèses fondées sur la connaissance que nous avons aujour d'hui des idiomes les plus divers. En s'inspirant de récentes découvertes archéologiques, J'auteur a tenté d'esquisser la préhistoire de cette expansion et l'évolution de la langue des conquérants, depuis les formes que l'on reconstruit jusqu'aux formes attestées depuis la fin du deuxième miUé naire avant notre ère. Il s'est efforcé de dépasser l'image statique que l'on donne en général de l'indo-européen commun en restitl:'ant la dynamique de son évolution. L'A/dttU' .. Professeur (~m~rite) Universitl! RenI! Descartes. directeur d'~tudes Ecole pratique des hautes I!tudes. A publil! de nombreux ouvrages de linguistique. PAYOT, 106, boulevard Saint-Germain, PARIS 9 ISBN 2-228-14080-5 ISO F r LANGAGES ET SOCIÉTÉS CoUection dirig~ par Louis-Jean Calvel De la langue aux langages la science se multiplie : non plus linguistique mais faisttau interdisciplinaire où les signes de nos sociétés s·~lairent. La collection LAngagel ~l wciitb. l la croi* de ces démarches qui ont caractérisE les sciences humaines de notre époque, se veut un certain regard analytique: que pouvons-nous apprendre des sociétb qui nous entourent à travers les signes d'elles-m&ne$ qu'elles émettent? Et de quelle utilité sociale, c militante Il, ce savoir est·il porteur? DIjO panu, DES STEPPES Marc ANGENOT : La parole pamplrlitain. Sylvain AUROUX: La shttibtil[ut da t1I0'CIophfüm. AUX OCÉANS Guy-Claude BALMIR : Du citant au poème (chant et pœsje populai.res des noin américains). Louis-Jean CALVI!T : Let jna th la sociIti. - Longue, corps, soditi. - CIrmucn ~l wciiti. André CHERVEL : HisUJirt dt ta grammaire scolaire ( ... Et il fallut apprendre à h:rire li touS les petits Français) (P.B.P, 394). Claude CoUROUVE : Vocabulaire dt rhbmost:rualiti 1PUlSCUIiM. Christian CUXAC: Le kmgagt des sourds. Yves DELAHAYE : La frotuiJ:n tl le texte. Pour une séniotique des relations internationales. - L'Europe sous la mou (le texte et la db:hirure). Gérard DELEDALLE : ThiorU It pratique du signe (Introduction 11 la sbniotique de Charles S. Peirce). Françoise EscAL : Espaces sociaux, e:spaus muricawx. le. Pierre GUlRAUD : Dictimtnairt irotiqw. w - SbnWlogîe th u:rualiU. - Dictimtnai~ des itymQlogin obscurts. - Stnlctures itymQlogiques du frarlfllu. Nancy HUSTON : Din ~t inurrfin (Eléments de iurologie). MARX, ENGELS, LAFARGUE, STAUNE : Marxisme ~t linguis~ (préddé de L.-J. Calvet : Smu les pafJb th Staline wp lage th Freud n Michel ORiANO: La trafNlilleun th w fronrièrt (bllcherons, cow-boys, cheminots américains au XIXc si~c1e). Kyril RYJIK : L'idiot chinois (Initiation 11 la lecture des caractùes chinois). - L'idiot chinois 2 (La promotion de Yu le Grand). Maurice SWADESH : Le langage t'lW vit humaitu. J.-O. URBAIN: La soditi th coPI.UmJtlon (S6niologie des cimetihes d'Occi dent). Marina YAGUELLQ: lA mots et les femmes (P.B.P. 397). ANDRÉ MARTINET DU MI1ME AUTEUR Professeur émérite à l'Université René Descartes Directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études La gémination consonantique d'origine expresnve dans les langues germa- niques, Copenhague, Munksgaard, 1937. La phonologie du mol en danois, Paris, Klincksieck, 1937. La prononciation du fra~ais conumporain, Paris, Droz, 1945. Economie des changements piton/tiques. Berne, Francke, 1955. La description phonologique, Genève, Draz, 1956. EJémenu de linguistique génirak, Paris, A. Colin, 1960. DES STEPPES A functional vitw of language, Oxford, Clarendon, 1962, en français, Langue ttfr:mclion, Paris, Denoël, 1969. La linguistique synchronique, Paris, P.U.F., 1%5. AUX OCÉANS LefraP1)ais sans fard, Paris, P.U.F., 1969. Dictionnaire de la prononciation fraTl{aise. dans son usage réel, avec Henriette Walter, Paris, France-Expansion, 1973. Evolution des langues et reconstruction, Paris, P.U.F., 1975. Sludies infunctional syntax, Munich, Fink, 1975. L'INDO-EUROPÉEN Grammaire fonctionnelle du fratlfais, Paris, Didier, 1979. Syntaxe ghfbale, Paris, A. Colin, 1985. ET LES « INDO-EUROPÉENS » PAVOT, PARIS 106, Boulevard Saint-Germain 1986 • PRÉFACE pour les lecteurs A Henriette et Gérard Waùer Le public cultivé, en France, ne s'est guère intéressé aux problèmes des origines indo-européennes. La découverte, il y a quelque deux cents ans, que la plupart des langues d'Europe, y compris le grec et le latin, dérivaient d'une même langue plus ancienne a pu remplir de satisfaction Allemands et Scandinaves dont les parlers natifs se voyaient, du coup, mis sur un pied d'égalité avec les langues classiques de l'Occident. Les Français, pour leur pan, se sentaient les héritiers directs de ces langues et, de ce fait, peu concernés par cet élargisse ment préhistorique du concert des nations. Les recherches archéologiques, en revanche, brillamment inaugu rées en France, y ont toujours retenu l'attention. Mais comment mettre en rapport l'homme de Cro-Magnon, le Mas d'Azil et, plus récemment, les peintures de Lascaux avec des recherches de linguisti que comparative, d'un haut degré d'abstraction, suscitées au départ par de lointains contacts avec des lettrés de l'Inde? Pendant long temps, les rapprochements esquissés entre les reconstructions linguis tiques et les trouvailles faites dans des chantiers de fouille et des sites funéraires ont semblé, à certains même de ceux qui les risquaient, autant d'hypothèses gratuites. Aujourd'hui, l'extension, à grande échelle, des recherches archéologiques à la Russie et à l'ensemble des Balkans permet de restituer des processus d'expansion dans l'espace qui pourraient coïncider avec les déplacements de groupes d'usagers de langues indo-européennes. De telles identifications demeurent hypothétiques, mais elles ouvrent la porte à une confrontation oohérente des données livrées par les différentes disciplines. On peut désonnais se riSQuer à présenter un cadre cqncret, avec localisations approximatives et chronologies relatives, 0'0. ordonner les faits de tous Tous droits de ttadUctiOD, de reproduction ct d'adaptalion réservés pour IOUS pays. ordres. Copyriglu © Payol. Paril 1986. Lorsqu'on se pose la question el l'indo-européen, 0'0. et quand? )t on 8 PRJ::FACE PRÉFACE 9 attend des réponses en termes de réalité géographique, historique et matière, d'éviter les idées préconçues: tel s'étonnera de suivre sociale. Mais on ne saurait oublier que l'indo.-européen, qui délimite aisément ce qui est dit des changements phonétiques. alors que notre sujet, reste un concept purement linguistique. Si, dans notre maintes reconstructions grammaticales le laisseront rêveur. sous-titre, les « Indo-Européens» apparaissent entre guillemets, c'est On trouvera ci-dessous, aux pages 261-263, une table des conven pour rappeler que les peuples qui, au cours des cinq derniers tions graphiques. millénaires et jusqu'à ce jour, ont parlé ou parlent des langues indo 11 faut signaler en terminant que, sur bien des points, le tableau qui européennes ont peu de chances de représenter génétiquement ceux de est présenté ici des données relatives à l'indo-européen s'écarte qui, en dernière analyse. ils tiennent leur idiome. Les ancêtres résolument de la tradition. Nous savons mieux aujourd'hui comment linguistiques ne s'identifient pas néçessairement avec les ancêtres tout • les langues fonctionnent et comment elles changent pour s'adapter aux court. Les Français, qui se pensent volontiers comme des Gaulois besoins communicatifs de ceux qui parlent. U faut donc aller de l'avant auxquels on a imposé la langue latine, n'auront aucune difficulté à selon le principe qu'il vaut mieux s'exposer à l'erreur que de se l'admettre. condamner au silence par excès de précautions. Au sens large du terme, l'indo-européen est l'ensemble des langues passées, présentes et à venir qui dérivent, parallèlement, puis avec les divergences résultant de divers aléas, à partir d'un« tronc commun ». Fréquemment, on réserve le terme « indo-européen» à la désignation de ce tronc, même si l'on précise alors sa pensée par adjonction de l'épithète« commun,. ou, en anglais, du préflxeprolD-. Toutefois, cet indo-européen commun était, comme toutes les langues, dans un perpétuel état d'évolution, et, plutôt que la forme figée vers laquelle tendaient les efforts de nos prédécesseurs, c'est aujourd'hui un processus évolutif qu'on vise à restiruer. Pouree faire, on s'inspire non seulement du rapprochement des langues anciennement attestées, mais des antécédents que suggèrent les irrégularités de leur morpholo gie et des enseignements de la linguistique générale, structurale et fonctionnelle. On voit mal comment on aurait pu, au cours de cet ouvrage, faire abstraction des données linguistiques. Affumer simplement que le français et le russe ont été autrefois la même langue sera perçu comme une boutade, une façon désinvolte de jongler avec les faits. On saisira mieux ce qu'implique cette formulation si nous montrons que le mot langue, lui·même, avec ses deux valeurs d'organe de la déglutition et d'instrument de communication, dérive de la même forme ancienne que son équivalent russe iazyk, à l'issue de processus bien identifiés. Même si l'énumération de ces processus peut paraître austère, il a semblé qu'eUe était nécessaire pour convaincre les lecteurs que l'identification de deux formes aussi différentes n'était pas un pur produit de l'imagination. On attend donc, de beaucoup de ceux qui auront cet ouvrage entre les mains, une lecture « impressionniste" de certains passages. Le seul tiue, « phonologie », du chapitre 9 ne manquera pas de faire peur \ à beaucoup. Celui de « grammaire », au chapitre suivant. n'est peut· être pas uès alléchant. Mais. là encore, même si le lecteur ne s'astreint pas à tout enregistrer, un survol peut êue informatif. 11 convient, en la AVERTISSEMENT aux chercheurs Cet ouvrage reproduit, pour l'essentiel, l'enseignement que j'ai donné, à deux reprises. en 1976-1977 et 1983·1984, à l'Ecole pratique des hautes études. C'est à la demande de mes auditoires que je m'étais risqué hors du domaine de la linguistique générale impliqué par l'intitulé de ma direction d'études. Ces auditoires se recrutent essentiellement panni des chercheurs qui joignent, à une formation de généraliste, une bonne pratique de la description des états de langue. En matière d'évolution linguistique, en l'absence d'une foonation philologique et de la connaissance d'états successifs d'un même idiome, ils s'en tiennent le plus souvent à des notions théoriques. Beaucoup, cependant, désirent être infonnés des méthodes de la comparaison et de la reconstruction. Toutefois. dans leur ignorance de la plupart des langues anciennes mises alors à contribution, ils n'ont pas accès aux manuels classiques dont la lecture suppose une parfaite maîtrise du grec et du latin. C'est pourquoi, comme on pourra le constater, il est fait ici usage des langues modernes partout où elles permettent d'illustrer les phénomènes décrits: l'anglais whal, en particulier dans sa prononciation américaine [hwot], rapproché du latin quod. témoigne, à lui seul, de trois des traits fondamentaux qui distinguent le germanique des autres langues de la famille. Le second de mes cours a été intégralement enregistré et transcrit par mes amis Henriette et Gérard Walter, et l'essentiel de ce qu'on trouvera ci-dessous en est une version nettoyée des répétitions et des tournures familières qui marquent mon élocution, mêibe universi· taire. Au-deb\ de ce qui est généralement admis par les comparatistes contemporains, on retrouvera certaines des propositions que j'ai faites antérieurement et qui sont reproduites dans Evolution des langues et reconstruction, Paris, 1975. J'y ai développé en outre certaines sugges tions que je n'avais présentées que sommairement dans quelque 12 AVERTISSEMENT compte rendu d'ouvrage, voire, simplement, dans une note; ainsi l'interprétation des occlusives sonores comme le produit d'anciennes gloualisées. Ce qui est neuf ici c'est, d'une part, la reçonstruction d'un système de phonèmes prénasalisés qui permet d'expliquer, entre autres choses, les fameuses alternances de -r et de -n-et ceUes de -m-et de -bh-des cas obliques du pluriel, d'autre part, la présentation du processus de conjugaison qui a abouti à la constitution des différents systèmes verbaux des langues attestées et à l'identification progressive d'un ancien absolutif avec un ergatif en -s issu d'une construction ablative CHAPITRE PREMIER plus ancienne. On relèvera sans doute un effort constant pour éviter la projection, L'INDO.EUROPÉEN, OÙ ET QUAND sur l'écran d'un indo-européen commun, des produits de la comparai son, et pour tenter de reconstruire chaque fois un processus évolutif. Il ne m'éçhappe pas que l'entreprise est difficile et que son succès fmal réclamera qu'on enseigne aux jeunes linguistes à opérer avec la La plupart des mots dont nous nous servons quotidiennement sont synchronie dynamique, celle qui permet l'observation des change susceptibles de prendre des sens différems selon les situations ou les ments en cours. contextes où on les emploie. Nous y sommes habitués et cela ne nous Il me reste à remercier ceux qui ont bien voulu lire mon manuscrit gêne pas. La situation est différente lorsqu'on aborde l'étude attentive et me faire profiter de leurs remarques critiques, à savoir, outre d'un phénomène. Il est alors indispensable de caractériser exaClement Henriette et Gérard Walter déjà mentionnés, Jeanne Martinet, ce dont on va traiter et si l'on se sert pour le désigner d'un terme de la Thérèse Martinet et Johann Oberg. Jean Haudry, en particulier, a langue courante, il faudra préciser lequel de ses divers sens est retenu droit à ma reconnaissance pour m'avoir fait profiter de sa compétence en l'occurrence. Dans bien des cas, il s'impose de trouver, pour l'objet dans tous les domaines où je me suis avenruré. Il va sans dire que je d'étude, un terme nouveau et c'est bien ce qui s'est produit pour reste seul responsable des hypothèses trop hardies ou des inconsé l'indo-européen. Ceux qui om les premiers utilisé ce terme savaient quences qu'on pourra relever dans les lignes qui suivent. sans doute quelle valeur ils lui attribuaient. Mais, comme il s'agissait au dépan d'une vue de l'esprit, il n'est pas étonnant que le terme ait pu, au cours du temps, se charger d'implications diverses qui varient selon les époques, les chercheurs et les auteurs. On ne devra donc pas s'étonner si nous tentons en priorité de déftnir les termes que nous avons retenus dans notre sous-titre. Il faut, dès l'abord, distinguer entre l'adjectif indo-européen et le substantif correspondant. L'adjectif indo-européen a été créé pour caractériser des langues que l'on estime issues, par évolution régulière, d'une même langue disparue et non attestée. Ces langues, longtemps limitées à l'ancien continent, de l'Atlantique au Golfe du Bengale, sont aujourd'hui parlées, comme langues premières ou secondes, dans le monde entier. Il y a donc de nombreuses langues indo-européennes parmi lesquelles le français, l'anglais, l'allemand, le russe et d'autres moins connues, comme le bengali ou l'ossète. Le substantif indo-européen, créé à partir de cet adjectif, désigne, le plus souvent, la langue non attestée elle-même. On peut entendre des énoncés comme« En indo-européen,« cheval» se disait ekwos ». Mais 14 L'INOO-EURO~EN, où ET QUAND L"JNIXrEUROJ>tEN. où ET QUAND 15 les comparatistes ~nt. dans ce cas, plus précis et parlent d'ioda pas, peuvent s'établir, dans une région panîculière, des contacts europœD commun, en anglais de ProurlrukrEuropean, en allemand, privilégiés qui, en matière de langue, vont entraîner des innovations de Urindogmnanisch, les Allemands préférant employer Indogerma particulières. TI en résultera, d'une part, l'apparition de dialectes nisch, plutôt que son équivalent internationallndoeuropaisch. Cet indo différents, mais concurremment, l'élimination de divergences qui européen avait, au départ, été conçu comme peu différent du sanskrit, avaient commencé à se flXer. Ces flux et ces reflux sont de [Outes les langue sacrée des brahmanes et langue de culrure de ,'Inde. C'est la époques et l'on ne peut imaginer, sur l'axe du temps, un point avant découverte du sanskrit par les Européens. au xvnf siècle, qui avait lequel existait une langue immuable et homogène et après lequel se suscité son rapprochement avec les langues classiques de L'Occident et trouvaient séparées et parfaitement distinctes les langues attestées plus donné naissance à la linguistique comparée. La pratique de cette tard par des textes ou encore parlées jusqu'à ce jour. Devons-nous, en nouvelle discipline a vite fait comprendre qu'il ne pouvait y avoir con~uence, renoncer /li construire des formes disparues? En aucune identité entre le sanskrit et la langue commune dont on postulait façon. Mais chaque fois que nous le faisons, nous devons rester J'existence dans un lointain passé. On a de ce fait été tenté de conscients que chacune d'entre elles est, au mieux, une ~tape : la reconstruire cette dernière en retenant, parmi les ttaits auestb dans forme patir, que nous avons prisentée ci-dessus, n'est pas à ~er, les différentes langues en cause, ceux qui étaient les plus dpandus et mais à poser comme un intermédiaire entre une plus ancienne notée les moins susceptibles de corresp:mdte à des innovations particulières. pJrlm et celles que nous trouvons plus tard dans les textes anciens et C'est ainsi que pour « père It, on restiruai[ une forme p~tirJ avec un p dans nos langues contemporaines. Si l'on hésite à prononcer palir et, initial majoritaire, celui du latin pater, du grec patir, du sanskrit pitd(r) plus encore, pJrun, c'est que ces graphies ne prétendent pas et l'on interprétait le f du germanique (ang1ais father), le h de reproduire une réalité orale précise. Elles ne constituent chacune l'annénien (hayr) et le zéro du celtique (irlandais athir) comme des qu'une sorte de formule /li partir de laquelle le comparatiste peut affaiblissements ultérieun. Dans un second temps, par un effort retrouver les diverses fonnes attestées et les relations qu'on postule d'interprftatioD des structures reconstruites. on est remonté au-delà entre ce terme et d'autres termes reconstruits de la même façon. de l'~uation patir=« père It. D'abord, sur le plan de la forme, en TI faut bien comprendre que le passage d'une étape à la suivante interprétant le -J)-- de la forme reconstruite comme une réduction, en n'implique pas nécessairement que le domaine des langues indo syllabe inaccentuée, d'un groupe primitif -eH- où H est, en quelque européennes va se trouver fractionn! : si nous mettons à part un indo sOne, une grandeur algébrique. Ensuite, sur le plan du sens, en européen occidental, c'est simplement que nous sommes mal infonnéS posant, pour p~tirJ non plus la valeur de « géniteur.It, mais celle de quant aux formes~ linguistiques pratiquées par des populations situées chef de la grande fam.ille patriarcale. géographiquement entre ces Occidentaux et les ancêtres linguistiques La découverte, au début du ~ siècle, de nouvelles langues, comme du grec ou du slave. En d'autres termes, cette esquisse chronologique le tokharien et le hittite, évidemment apparentées /li celles qu'on reflète plus l'état de nos connaissances que la réalité des faits. considérait comme indo-europttnnes, est venue renforcer la concep Lorsque s'élargira le domaine indo-européen, il s'y produira tion d'un indo-européen évoluant dans le temps, comme toutes les nEctssairement des solutions de continuité, c'est-à-dire de vastes langues, en suggérant la possibilité, voire la vraisemblance, de espaces où vont continuer à se parler d'autres langues. On peut sEparations successives /li partir du tronc commun. Dans ces condi envisager que, pendant longtemps, l'indo-européen va rester, dans tel tions, la reconstruction ne peut plus etre celle d'un état de langue ou tel coin du monde, la langue d'une classe dominante vivant au conçu comme parfaitement stable, à l'image de ce que sont souvent, contact d'une majorité d'allophones. Mais cela n'entraîne pas n~­ dans notre imaginaire, nos langues nationales contemporaines. Elle rtment que les contacts soient rompus entre les classes dominantes des devient celle d'un processus évolutif qui se poursuit jusqu'à nos joun diff~rents îlots ainsi formés. Lorsque, dans la première moitié du depuis la nuit des temps. Cela amène /li remettre en cause la notion premier millénaire avant notre ère, les Celtes restent encore, dans ce d'un « indo-européen commun It qu'on pourrait, avec le secours des qui sera plus tard la Gaule et l'Espagne, des nouveaux venus archéologues, localiser, plus ou moins prEcisément, dans le temps et probablement minoritaires, les liaisons se maintiendront, à travers les dans l'espace. TI nous faut désormais tenter de l'imaginer sous la forme Pyrénées et le pays des Aquitairis, cousins des Basques d'aujourd'hui, d'une langue en perpétuelle évolution, celle d'une communauté par une route ponctuée de forteresses, les Verdun de la toponymie constamment exposée /li voir cenaines de ses composantes faire celtique. sécession et s'établir ailleun. Parmi les autres, celles qui ne bougent Lorsqu'on d~sire, légitimement, pr!ciser les réponses aUll: 16 L'INOO-EUROPJ::EN, où ET QUAND L'lNDO-EURoptEN, OÙ ET QUAND 17 savons rien, subjugués ou absorbés par leurs voisins! Combien de « quand lt en datant les hypothèses, et tenter de se prononcer sur les nouveaux contacts ont pu s'établir qui ont rapproché des parlers au lieux où l'on doit simer telle ou teUe variété de l'ind<H:uropéen à telle date, il faut nécessairement avoir recours, d'une part, à une recons départ fort divergents au point d'en faire des variétés d'une même langue! Nous verrons plus loin quelle place il faut accorder à la truction sémantique où J'on va chercher à se représemer les choses et convergence des langues pour expliquer l'assimilation de migrants à les notions qui correspondent aux unités linguistiques, d'aulfe part leur nouveau milieu. aux résultats de la recherche archéologique. Avant d'essayer de répondre aux deux questions qu'on pose, dans le Beaucoup de comparatistes som longœmps reslés sceptiques quant titre de ce chapitre, il faut en formuler une troisième: qui a parlé ou à la possibilité de localiser les reconstructions linguistiques avec le parle l'indo-européen? secours de données extérieures à Jeur discipline. Les réticences en la A ne considérer que les indices proprement linguistiques, c'est-à· matière se comprennent fon bien : on répugne narureUement à se risquer hors du domaine de sa compétence. Les philologues, que sont dire en s'en tenant aux parties nettement structurées des langues et sans faire intervenir les signifiés qui gagnent à être rapprochés des fréquemment, au départ, les comparatistes, sont temés, lorsqu'ils données archéologiques, on peut tenter de répondre à « qui ., « où • cherchent à interpréter les faits linguistiques, de partir de ce qu'ils et« quand» si l'on veut bien se contenter d'une chronologie relative Il connaissent de la culture des civilisations classiques, plutôt que d'utiliser les données de l'anthropologie et de l'archéologie contempo peine datée. Dans un premier temps, dans la préhistoire, le terme d'indo raines. européen s'applique à la langue des ancêtres (linguistiques) de rous De leur côté, les dOMées archéologiques doivent être interprétées ceux que nous identifions aujourd'hui comme ayant appartenu ou en termes évolutifs. Chaque culture est à envisager comme un procès n appartenant au groupe. faut naturellement préciser «ancêtres en voie d'expansion ou de récession, et un effort doit être fait pour rétablir, là où elle existe, la liaison entre les mouvements préhistori· linguistiques ~, parce que, aux dates historiques, y compris la nôtre, il y a toute chance pour que ceux qui parlaient, ou parlent, indo ques, les développements bien attestés et les processus observables dans le monde contemporain. La conquête du monde, par les peuples européen aient eu une majorité d'ancêtres qui parlaient d'autres langues. de langues indo-européennes qui ont su jusqu'ici garder une avance Dans un second temps, pour lequel on dispose d'une documenta dans la mise de supériorités techniques au service de la violence, a commencé par la subjugation des populations préexistantes, de l'Inde tion linguistique, on distinguera, tout d'abord, entre 1) les Anaroliens. à l'Irlande. Elle ne s'est pas terminée avet: la conquête de l'Ouest ceux qui sont établis en Asie Mineure aux troisième et deuxihne américain et de l'Asie septentrionale et l'impérialisme colonial, car elle millénaires avant notre ère mais qui Ont pu faire sécession beaucoup se prolonge de nos jours avec la terreur atomique. n y a eu des plus tôt, représentés essentiellement par les Hittites, et 2) tous les péripéties diverses, des avancées et des reculs, mais aucune réelle autres, ceux qui restent assez étroitement groupés pour innover solution de continuité depuis les expéditions printanières lanœes à la ensemble, par exemple, en établissant une distinction entre un genre conquête de l'Italie au cours du millénaire avant notre ~re, jusqu'aux féminin et un genre masculin. cavaliers de Hernân Cortés, aux divisions blindées des années Dans un trois.i~me temps, s'esquisse, parmi ces derniers, une quarante de ce siècle et au napalm du VieUlam. distinction entre 1) les populations qui, à l'cst, vont palataliser leurs On ne peut commencer à comprendre le phénomène indo-européen dorsales, c'est·à-dire, par exemple. changer le g-qu'on trouve dans le que si l'on cesse de l'aborder sous les seules espèces des grandes latin gnosco « connaître» en un z ou en l'équivalent du français j dans cultures du passé dont chacune représente déjà un amalgame. n faut joli ou dj dans adjoint, et 2) celles qui, au moins pour l'instant, tenter de dépasser la conception, combien tenace, d'une seule et conservent intacts leur k et leur g et qui sont localisées en général plus unique diaspora indo-européenne avec, d'emblée, un nombre déter· à l'ouest. Les premières comprendront les Indo-lraniens qu'on miné de nouveaux peuples correspondant à ceux qùe nous connaissons retrouvera plus tard en Asie, de la Mésopotamie au Golfe du Bengale, bien parce qu'ils ont laissé des traces dans l'histoire. les Arméniens, les Albanais, les Baltes et les Slaves. Le grec, qui a A côté de peuples, comme les Vénètes d'Italie et les Messapiens, échappé à la palatalisation. où donc (gi)gnosko « connaître ~ a gardé dont il nous reste, outre le nom, quelques inscriptions qui nous son g, a dO. cependant rester longtemps en étroit contact avec les convainquent qu'ils étaient bien de langue indo-européenne, combien parlers de ceux qui vont devenir les Indo-lraniens. d'autres, de langues apparentées, ont dû disparaître dont nous ne L'indo-européen occidental, qui s'étendra fmatement de la Baltique 18 L'INDO-EUROPÉEN. où ET QUAND L'INOO-EUROPt EN. où ET QUAND 19 à la Médüerranée et à l'Atlantique, porte en germe les variétés qui de ce qu'on suppose être un chef. entou~ de richesses, souvent deviendront l'italique, le celtique et le germanique. somprueuses, et des squelettes d'un certain nombre de jeunes femmes Pendant trop longtemps, les efforts pour répondre à la question et de serviteurs. Si l'on oublie un instant les théories visant à rendre « 01,) » ont été irrémédiablement faussés par des préjugés nationalistes, compte, en termes sociologiques ou religieux, de la mise à mort des chacun désirant retrouver un habitat indo--européen primitif le moins veuves et des proches du défunt, on comprend l'efficacité de ces loin possible de sa propre résidence : on ne reviendra pas ici sur pratiques pour prévenir toute tentative criminelle de la part de l'insistance de cenains chercheurs allemands pour mettre en rappon l'entourage. Nous avons lA affaire à une société patriarcale hautement un tel habitat avec, par exemple, la présence du hêtre, ce qui tendait à hiérarchisée, celle que laisse attendre la reconstruction sémantique. repousser à l'ouest le domaine originel des. Indo--Européens Quant Des sépultures du même type vont se retrouver à travers l'Europe, It. aux Français, qui avaient dO, dès l'abord, renoncer à retrouver les jusque dans ce qui est aujourd'hui l'Allemagne moyenne. Mais, au fur origines indo--européennes entre la Meuse et les Pyrénées, ils se sont et à mesure qu'on se déplace vers l'ouest, les datations sont plus généralement désintéressés de ce problème. rttentes et l'on trouve moins de richesses et moins de personnes Les progrès réalisés au cours des dernières décennies par les immolées. Cela implique une poussée conquérante dans la direction de sciences archéologiques, notamment en matière de datation du produit J'occident l\ travers des régions 01,) les sépultures antérieures témoi· des fouilles, et l'exploration rationnelle de nouveaux sites, permettent gnent généralement de conceptions plus ~alitaires, dans la mon, aujourd'hui, pour la première fois dans l'histoire de la recherche, sinon dans la vie, 01,) chacun a sa propre tombe et 01,) J'on meun seul. d'établir, avec quelque chance de retenir l'attention, sinon nécessaire Le patriarcat des kourganes laisse supposer un panthéon essentielle ment de convaincre, une liaison entre données linguistiques et ment masculin reflétant les trois états de la société: les prêtres, les données archéologiques. guerriers et les pasteurs. li s'agit en effet, au départ, de nomades plus Le premier effort dans ce sens est li~ au nom de Marlja Gimbutas et enclins à mettre à profit ce qu'ils renoontrtm dans leun errances qu'à c'est essentiellement de ses écrits 1 que je m'inspire dans l'esquisse qui susciter eux·mêmes, par la culture, l'apparition de nouvelles ces· va suivre. Je n'ai pas ici l'intention de justifier chacune de mes sources. Ce sont des éleveurs, cenes, mais ils restent, dans un sens, assertions. Je ne m'adresse pas, pour l'instant, aux spécialistes de la des prédateurs. Le cheval, plus attelé que monté, jouera un rOle reconstruction qui seuls seraient habilités à discuter les points de vue imponant dans leur expansion. adoptés. Toute théorie scientifique est faite pour susciter des mises au Vers l'ouest, en trois vagues successives qu'on date d'avant - 4000 à point et des théories adverses. Mais sa présentation à un public qui ne après - 3000, donc sur un millénaire et denû environ, le peuple des se limite pas aux spécialistes ne peut viser qu'à offrir une base de kourganes va pénétrer dans ce que nous connaissons aujourd'hui réflexion ec un cadre dans lequel pourront s'ordonner certaines comme la plaine du Danube et les Balkans. Il y trouvera une données. Le schématisme, voire le manichéisme, est ici volontaire. civilisation avancée, de type matriarcal et agricole, donc culturelle Chacun de mes lecteurs saura nuancer à sa guise les images simplistes ment aussi différente qu'il est possible de la leur, avec un culte et des et parfois brutales que j'apporte. déesses de la féoondité. Cenes, les Indo--Européens vont fmatement SOOO ans avant notre ère, le peuple de langue ind<Huropéenne est imposer leur langue et cenains hôtes de leur panthéon, mais non sans localisé au sud.-esc de la Russie d'aujourd'bui, dans la ttgion dite des que soit produit l'amalgame qui nous vaut, en face des dieux du kourganes. Les kourganes sont des tumulus où l'on retrouve les restes tonnerre et de la guerre, des déesses comme Gè, Déméter, Persé. phone, Athéna, à côté des Vénus, des Junon et des Freyja de sociétés 1. Voir essentiellement Die Indoeuropk:r, dans lN UrMwttu der I~. 01,) la femme est conçue, en priorité, comme. le repos du guerrier » ou DamlSta(h. dU. A. Sou!RER, 1968, p. 538-571, deux articles dans TMJDWm41 of [Mo la protectrice des héros. E~ Snuliel, vol. S, 19n, p. Zn-3)8, Tbe {ml 'Nave of Eumian Steppe n reste à voir à quel échelon de cette préhistoire on doit placer la PaSIOrllÎSlS into Coppcr Age Europe, et vol. 8, 1980, p. 273-315, The Kurgan WlVC 2. séparation des Anatoliens, puis celle, plus tardive, des Indo--lraniens. (t. 3400-3200 B.C.) inlO Europe: and the foUowin& transformation of culture, et ftnalement Old Europe in lbc fifth millcnn.ium B.e., The EuropcaD situation on the On peut se demander par quelle route ils ont, à partir des steppes arrivai of lD!»Europcaos, dans 17w bldo-EIt1OP«JM il!. titi jOflTUt llJId dtird milhMia. des kourganes, atteint l'Asie mineure. Pour les Anatoliens, qu'on y IOUIla direction d'Edpr C. PoLOMt, Ann Arbor, Michigan, Karoma, 1982, p. 1-60. trouve établis à demeure, on pourrait penser à un cbeminement par le On trouven danscc volume, ctf: dtsonnaistooS ,'abmriatioa T1te/~EIIrOPfmU. .• des lU~ts bibliopllphiqucs. n est fait mu de tOUt oeIa dans l'article La chemins de Caucase et les bords orientaux de la Mer Noire. Pour les Indo 1'c;queiJ, de Patrice Lscl.elcQ paru dans le MOfftk du 28".83. Iraniens, pour qui l'Asie mineure pourrait n'être qu'une étape dans

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