Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse Laboratoire HEMOC Ecole doctorale Culture et Patrimoine (ED 537) Alfred Naquet et ses amis politiques : patronage, influence et scandale en République (1870‐ 1898) Thèse pour le doctorat d’Histoire présentée par Christophe Portalez 29 mai 2015 Jury composé de: Nathalie Dompnier, professeur, université Lyon II Jens Ivo Engels, professeur, Technische Universität Darmstadt, rapporteur Bertrand Joly, professeur, université de Nantes Frédéric Monier, professeur, université d'Avignon, directeur de thèse Christophe Prochasson, directeur de recherches, EHESS, recteur de l'académie de Caen, Nicolas Roussellier, maître de conférences habilité à diriger des recherches, IEP Paris, rapporteur 1 2 A Aurélie, et à Elise, notre cadeau de 2015. A mes parents et mon frère, pour leur soutien constant. A Anne‐Marie, pour son aide 3 Remerciements En premier lieu, je souhaite remercier Frédéric Monier pour son soutien, ses conseils avisés, sa disponibilité et sa hauteur de vue tout le long de mon travail. Je veux aussi remercier Jens Ivo Engels, Olivier Dard, Andréas Fahrmeir et Natalie Petiteau pour les colloques organisés lors du programme POCK avec Frédéric Monier, et leurs doctorants, notamment Anna Rothfuss, Anne‐Catherine Schmidt et Julie Bour, avec qui j’ai eu des échanges fructueux. Je tiens à exprimer ma gratitude aux enseignants‐chercheurs du laboratoire HEMOC, qui m’ont formé et conseillé tout le long de mon parcours universitaire. Je tiens aussi à remercier Robert Bernsee, Norman Domeier, Nathalie Dompnier, Bertrand Haan, Volker Köhler, Christian Kühner, Kenneth Loiselle et Christophe Prochasson. Que mes amis doctorants d’Avignon Jonathan Barbier, Aurélien Gras, ainsi que le récent docteur Cédric Audibert, soient remerciés pour nos échanges, tout comme Loïc Bost et Jean‐ Michel Zanchi. Je souhaitais aussi remercier les archivistes qui m’on guidé dans mes recherches ou m’on ouvert leurs collections, notamment Jean‐François Delmas et Christine Martella. Plus généralement, que toutes les personnes rencontrées durant ces années de recherche, en France ou en Suède, qu’ils soient archivistes, bibliothécaires ou descendants d’élus, soient ici remerciés. 4 Abréviations ‐ AD13 : Archives départementales des Bouches‐du‐Rhône ‐ AD26 : Archives de la Drôme ‐ AD30 : Archives du Gard ‐ AD75 : Archives de Paris (autrefois département de la Seine) ‐ AD84 : Archives départementales du Vaucluse ‐ AMA : Archives municipales d’Avignon ‐ AMP : Archives municipales de Pertuis ‐ AN : Archives Nationales ‐ APP : Archives de la Préfecture de Police de Paris ‐ Bibl.Ing : Bibliothèque Inguimbertine ‐ BMD : Bibliothèque Marguerite Durand ‐ BNF : Bibliothèque Nationale de France ‐ CAOM : Centre des Archives d’Outre‐Mer ‐ RS : Riksarkivet (Archives Royales de Suède) 5 Carte des principales aggglomérations du Vaucluse. Introduction générale 6 « Le peuple nous demande à la fois de voter révolutionnairement et de lui obtenir des faveurs. C’est contradictoire, et il faut vivre avec cette contradiction, fruit de son ignorance. » Alfred Naquet, lettre à Gustave Cluseret, 31 août 18851. Pour le citoyen de 2015 qui recherche qui était Alfred Naquet dans un moteur de recherche internet ou une encyclopédie, les notices biographiques qu’il rencontre sont très fragmentaires, tant du fait du manque d’études à son sujet qu’à cause de sa trajectoire politique atypique. Dans des encyclopédies généralistes, son parcours est résumé en quelques lignes, avec quelques éléments marquants : Naquet était un chimiste opposant au Second Empire. Il a ensuite été élu député en 1871 et a siégé à l’extrême‐gauche. Il a fait voter la loi sur le divorce au début des années 1880. Son engagement dans le boulangisme, sans expliquer les causes de celui‐ci, est aussi évoqué, avant sa disparition de la vie publique après le scandale de Panama2. Ces deux événements ont oblitéré sa mémoire publique : il n’existe qu’un boulevard Naquet, dans sa ville natale de Carpentras, et seulement trois rues Naquet en France3. Pour l’amoureux de la quiétude des cimetières et passionné d’Histoire, une visite au Père‐Lachaise à la recherche de la tombe d’Alfred Naquet sonne comme une déception : la concession de 50 ans, qui lui avait été accordée par le conseil municipal de Paris en 1916, a disparu. Elle n’est donc pas un lieu de visite comme d’autres tombes d’illustres républicains4. La figure d’Alfred Naquet est peu présente dans l’historiographie sur les républicains du Second Empire5. Elle est par contre souvent évoquée dans les travaux sur le radicalisme des débuts de la Troisième République, quoique l’originalité de certaines de ses idées 1 Archives Nationales, désormais AN, AP/440 1, Fonds Cluseret Lettre d’Alfred Naquet à Gustave Cluseret, 31 août 1885. 2 Armel MARIN, « NAQUET ALFRED (1834‐1916) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 15 décembre 2014. Les sites de l’Assemblée Nationale et du Sénat offrent aussi des notices biographiques, un peu plus complètes, extraites de Gaston COUGNY et Adolphe ROBERT, Dictionnaire des parlementaires français, Paris, Bourloton (1789‐1889), 1891. Voir par exemple : http://www.senat.fr/senateur‐3eme‐ republique/naquet_alfred1708r3.html 3 L’une se situe à Avignon, l’autre à Lille près d’un hôpital, pour rendre hommage à Naquet comme scientifique, et la dernière à Narbonne. 4 APP, EA/52, Dossier Alfred Naquet, lettre de demande Mme Veuve Naquet (Odile Siquoir) pour une concession de 50 ans, et extrait de journal indiquant que cette demande a été accordée par le conseil municipal de Paris. 5 Léo HAMON (dir), Les républicains sous le Second Empire, Paris, éditions de la maison des sciences de l’homme, 1993 7 concernant la révision des lois constitutionnelles de 1875 soient mal comprises6. Elu député du Vaucluse en 1871, Naquet mène campagne avec des radicaux d’extrême‐gauche, comme Louis Blanc ou le député de la Drôme Madier de Montjau. Ils rejettent les lois constitutionnelles de 1875, qui consacrent un système politique parlementaire, avec un Sénat, chose contraire à leur idéal de république radicale. Cette opposition se manifeste par des réunions, des articles dans des journaux locaux comme « Le Démocrate du Vaucluse » ou nationaux comme « Le Radical » ou « Les Droits de l’Homme », lors de ses mandats de député du Vaucluse de 1871 à 1883. Puis comme sénateur de ce même département jusqu’en 1889. Par ailleurs, Alfred Naquet est parfois cité pour son rôle dans le vote de la loi sur le divorce dans l’historiographie sur les divorciaires, et l’histoire des femmes, mais cela reste souvent allusif7. Il est aussi, plus souvent, cité dans des études historiques sur les juifs français, mais sa trajectoire politique atypique et contestataire est parfois difficilement comprise8. Sa volonté de réforme radicale de la République l’entraine dans le boulangisme, auprès d’autres hommes politiques de même sensibilité. La mémoire républicaine a célébré plutôt les radicaux ralliés au parlementarisme comme Clemenceau et Camille Pelletan que les thuriféraires de Boulanger, dénoncés comme des ambitieux, prêts au coup d’Etat pour satisfaire leur soif de pouvoir. Devenu député de la Seine, Naquet abandonne la cause boulangiste en 1890, mais sa crédibilité politique est définitivement entamée, avant que sa moralité publique soit mise en cause lors du scandale de Panama, qui marque la fin de sa vie politique. Ses événements ont entrainé la production d’images littéraires partiales à son sujet, dans les écrits de Barrès par exemple, et dans les pamphlets antisémites des années 1890 d’Edouard Drumont9. Notre démarche n’est pas de réaliser une biographie classique d’Alfred Naquet, ni une analyse complète d’un courant politique de la fin du XIXe siècle, qu’il soit appelé « radicalisme national10 » ou « nationalisme de gauche11 », dont Naquet fût une tête 6 Gérard BAAL, Histoire du radicalisme, Paris, La Découverte, 1994 ; Paul BASQUIAST [dir.] Les républicains atypiques au XIXème siècle, Paris, éditions maçonniques de France, 2003 ; Serge BERSTEIN [dir.], Un siècle de radicalisme, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004. 7 Voir par exemple : Francis RONCIN, Les divorciaires, affrontements politiques et conception du mariage dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1992. Une seule étude a été menée sur Alfred Naquet et la loi sur le divorce : 8 Pierre BIRNBAUM, « Alfred Naquet, l’anarchiste », Les fous de la République, Paris, Fayard, 1992, p.38‐57. 9 Maurice BARRES, Le roman de l'énergie nationale: L'appel au soldat, Paris, F. Juven, 1902 ; Edouard DRUMONT, De l’or, de la boue, du sang. Du Panama à l’anarchie, Paris, E. Dentu, 1896. 10 André SIEGFRIED, Tableau de la France de l'Ouest sous la Troisième République, Paris, A. Colin, 1913 . 8 pensante. L’étude de son itinéraire politique permet de comprendre sa place dans la société de son temps, qui s’explique tout d’abord par la constitution de réseaux, cimentés grâce à des relations personnelles et à l’échange de services. Les différents réseaux constitués autour de lui et la manière dont ceux‐ci se constituent puis évoluent, dans une perspective d’histoire sociale et culturelle du politique, sont au centre de cette thèse. Ces réseaux sont multiples et imbriqués, qu’ils soient familiaux, politiques, économiques ou amicaux12. Ils se constituent le temps d’une génération d’hommes politiques républicains, parmi lesquels se trouve Alfred Naquet, qui arrive au pouvoir au début de la Troisième République après un apprentissage politique dans l’opposition sous le Second Empire13. Ces réseaux existent à plusieurs échelles, et nécessitent donc une analyse localisée du politique pour les reconstituer, au travers de l’étude de cercles, de journaux, de comités politiques locaux, qui n’apparente toutefois pas cette étude à une monographie locale. L’autre clé d’interprétation de l’itinéraire personnel d’Alfred Naquet dans ce travail est la notion, en évolution constante à l’époque et autour de laquelle ont lieu des débats normatifs, de corruption. En effet, sa vie politique a été marquée par plusieurs paradoxes : il demandé des « faveurs », c’est‐à‐dire qu’il a recommandé des citoyens pour des emplois ou des aides auprès d’administrations, comme la grande majorité des parlementaires de son temps, mais il a aussi cherché à réformer le système parlementaire, source selon lui de ces « faveurs ». Il a combattu la corruption, notamment électorale, mais il a lui‐même été accusé de faire partie des « chéquards », c’est‐à‐dire d’avoir reçu de l’argent en échange de son vote, durant le scandale de Panama, de 1892 à 1898. Il est passé, en une vingtaine d’années, d’un rôle de dénonciateur de la corruption, tant sous la fin du Second Empire que pendant l’Ordre Moral critiqué pour sa corruption électorale, à une figure de corrompu suite aux révélations du scandale de Panama. Les contradictions de cet homme politique peuvent être étudiées comme révélatrices des ambiguïtés des républicains français face à la corruption à la fin du XIXe siècle. 11 Bertrand JOLY, Nationalistes et conservateurs en France 1885‐1902, Paris, Les Indes savantes, 2008. 12 Claire LEMERCIER, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°52, 2005, p. 88‐112. Sur un homme politique et ses réseaux, voir l’ouvrage récent : François DUBASQUE, Jean Hennessy. Argent et réseaux au service d’une nouvelle république, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008. 13 Ginette ANDRE, Alfred Naquet, adversaire de l'Empire et défenseur de la République radicale, 1867‐1884, Thèse, sous la direction de Pierre Guiral, Université d’Aix‐Marseille, 1972. 9 La figure d’Alfred Naquet épouse la notion de corruption telle qu’elle est débattue dans la France du XIXe siècle. L’idée de vertu républicaine face à la corruption sous le Second Empire est mise à mal pendant la Défense Nationale, à laquelle il participe, à cause des dénonciations d’enrichissement personnel ou de favoritisme formulées par les conservateurs notamment contre les républicains du Sud de la France14. Quelques années plus tard, les fraudes électorales de l’Ordre moral à l’ordre des débats relatifs aux normes électorales. Certaines pratiques issues des candidatures officielles15 sont dénoncées comme de la corruption par les républicains tel Alfred Naquet en 1876 et 1877, notamment lors de débats et lors de commissions électorales qu’il faudra présenter16. L’espace du vote, ses rituels, ses objets sont peu à peu normalisés17, et les fraudes lors des élections sont autant de remises en cause de ces normes en cours de construction. De simples citoyens du Vaucluse connaissent un apprentissage des règles de l’espace électoral, participant à leur politisation18. Ils sont aidés par Naquet et ses relations politiques qui mobilisent des électeurs pour constater ou contester toute transgression19 ou violence électorale20, tout en 14 Eric BONHOMME, L’exercice du pouvoir sous la Défense nationale (4 Septembre 1870‐8 Février 1871), thèse de doctorat, Université de Paris‐IV, sous la direction de Jean‐Marie Mayeur, 1997. 15 Christophe VOILLIOT, La Candidature officielle : une pratique d’Etat de la Restauration à la Troisième République, Paris, Presses Universitaires de Rennes, 2005, 300p. 16 Sur ces fraudes et les commissions d’enquête nommée, on se reportera notamment à Nathalie DOMPNIER, La clef des urnes. La construction socio‐historique de la déviance électorale en France depuis 1848, thèse de doctorat de science politique sous la direction d’Olivier Ihl, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, 2002 ; on trouve aussi quelques éléments sur les déviances électorales dans : Alain GARRIGOU, Le vote et la vertu, comment les Français sont devenus électeurs, Paris, Presses de Science Po, 1992 ; Christophe VOILLIOT, La Candidature officielle : une pratique d’Etat de la Restauration à la Troisième République, Paris, Presses Universitaires de Rennes, 2005, parmi d’autres. 17 Yves DELOYE, Olivier IHL, L’acte de vote, Paris, Presses de Science‐Po, 2000 ; Alain GARRIGOU, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 1988, vol.71, pp.22‐45 ; Olivier IHL, « L’urne électorale. Formes et usages d’une technique de vote », Revue française de science politique, n°1, 1993, p.30‐60 ; Michel OFFERLE, « L'électeur et ses papiers. Enquête sur les cartes et les listes électorales (1848‐1939) », Genèses, 13, 1993, pp. 29‐53. 18 Paul BACOT, « Conflictualité sociale et geste électoral. Les formes de politisation dans les lieux de vote », Revue française de science politique, vol.43 n°1, 1993 ; Yves DELOYE, « Capacités politiques et politisations : faire voter et voter, XIXème‐XXème siècle » dans Genèses, 67, Juin 2007 ; Alain GARRIGOU, Le vote et la vertu, comment les Français sont devenus électeurs, Paris, Presses de Science Po, 1992, Vincent VILLETTE, Apprendre à voter. L’apprentissage du suffrage de masse sous la IIème République dans le département de la Seine (1848‐ 1851), Thèse d’histoire contemporaine sous la direction de Christophe Prochasson, 2011. 19 Claude CARON [dir]: L'incident électoral de la Révolution à la Troisième République, Clermont‐Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2002, p.25‐44 ; Jean Paul CHARNAY, Les scrutins politiques en France de 1815 à 1962 : contestations et invalidations, Paris, Armand Colin, 1971 ; 20 Yves DELOYE, Olivier IHL, « La civilité électorale: vote et forclusion de la violence en France », Cultures & conflits, n°9‐10, 1993, p.75‐96. 10
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